Ce siècle semble destiné à triompher du temps comme de l'espace; les prévisions disparaissent comme les distances, et les révolutions s'improvisent comme les voyages. L'histoire ressemble à un roman, rien n'y procède que par aventures. Les événements deviennent des coups de théâtre, et la paix, comme la guerre, éclate avec la rapidité de la foudre. On dirait que la Providence, en se réservant à elle seule le mystère de ces prodigieuses surprises, se plaît à montrer plus directement toute la ja lousie de sa puissance, et à mieux confondre les plus savants calculs de la sagesse humaine. Mais jamais cette soudaineté prestigieuse ne se révéla en traits plus saisissants que dans les étranges péripéties que peu de mois ont suffi à accomplir. Le monde se remet à peine de sa stupéfaction : à l'aspect d'un tel passé, on se demande ce que sera l'avenir. L'étonnement el l'anxiété se partagent les esprits. En ce moment, tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde de l'histoire et dans celui de l'avenir, l'Italie, la liberté, l'Église, subissent une crise solennelle, dont le dénoûment est encore une énigme pour les plus habiles, dont les périls ne sont un problème pour personne. En même temps qu'on les cite devant un congrès de rois, on les fait comparaître devant l'opinion des peuples. Dans nos temps d'expansion et d'activité, cette opinion se fait jour à travers les obstacles. On peut la comprimer, on ne l'étouffe pas. Elle juge toujours les délibérations des couronnes, elle les détermine souvent. Malheur à qui la dédaigne, honneur à qui l'éclaire! Jamais, au reste, elle ne vit de plus hautes questions débattues, de plus chers intérêts compromis. L'Italie est la patrie immortelle et universelle tout ensemble; elle appartient à tous, nul ne s'y croit étranger. Elle porte sur son front la triple couronne de la foi, de l'histoire et des arts. Son nom seul fait palpiter les premières émotions de notre jeunesse et ranime encore la langueur de nos plus froides années. Et moi aussi, je l'ai visitée cette terre privilégiée entre toutes; je l'ai glorifiée souvent, je l'ai aimée toujours. J'y ai trouvé les plus doux délassements de ma retraite, les plus précieuses consolations de mes plus intimes épreuves. Et moi aussi, j'aime la liberté constitutionnelle, que j'ai servie; je suis fidèle surtout à la religion, qui nous sert toujours et que je voudrais servir; je n'aspirerais qu'à voir unir ces grands noms dans un commun triomphe. Leur solidarité serait si naturelle et si puissante! La religion est partout le contre-poids nécessaire des institutions politiques. Elle est toujours la sauvegarde de la liberté comme du pouvoir. Que la dictature s'appelle féodalité, tribunat ou césarisme, elle ne peut trouver de frein que dans l'autorité qui commande aux consciences. Moins elle reconnaît de limites dans les lois, plus il est nécessaire qu'elle rencontre celles de la religion. La religion fait la grandeur de l'Italie; l'union et la liberté feraient sa force." Unité religieuse, indépendance municipale, union fédérative telle fut ma constante espérance pour l'avenir de l'Italie. : Ce fut le but persévérant de ses plus grands hommes. Cette généreuse pensée arma le bras de ses plus renommés capitaines, inspira la plume de ses plus beaux gẻnies. Malheureusement les esprits ardents qui prétendent disposer de son avenir s'agitent depuis plus d'un demisiècle dans des systèmes et des entreprises contraires. Ils ont cherché la liberté de l'Italie dans la guerre à l'Église, qui fut, durant les plus mauvais jours, la seule gardienne de ses franchises, le seul bouclier de son indépendance. Ils ont cherché sa force dans la destruction de ces nationalités municipales, qui, dans les temps de servitude et d'oppression, avaient seules assuré sa domination et sa gloire. Les querelles du sacerdoce et de l'Empire, les luttes des Guelfes et des Gibelins, toute l'histoire enfin des guerres de la papauté contre l'Allemagne au profit de l'Italie a semblé s'effacer de toutes les mémoires. Les novateurs ont déclaré à la fois la guerre à l'Église et à l'Empire. Ils ont pris pour ralliement une double devise dont la contradiction eût étonné leurs ancêtres : Guerre à l'Autriche, guerre au pape ! Le premier cri a d'abord retenti seul; on a contenu le second pour ne pas effaroucher les esprits; on ne se gêne plus aujourd'hui, le drame marche. Un effort incessant mine l'unité religieuse qui fit la gloire de l'Italie, et qui est restée sa véritable puissance. Et on tente d'y substituer la création impossible d'une unité politique, qui ne relèverait pas ses forces et enchainerait toutes ses libertés. Unité impossible! Que l'Italie ne se blesse pas d'un tel mot: c'est par respect pour elle que je voudrais écarter de ses destinées une décevante et funeste chimère. C'est sa grandeur même qui lui défend l'unité. Une seule république ne pourrait suffire à la garantie de toutes ses libertės; une seule couronne serait trop étroite pour toutes ses gloires. Chacune de ses grandes cités a rayonné comme un puissant empire. La Providence a donné à chacune des souvenirs, des aspirations, une histoire, une capitale, un idiome, des monuments, des lois, des mœurs, des trésors de richesse et de génie qui suffisent à constituer et à immortaliser une grande nation. Aussi, on trouve dans ses annales toutes les grandes évolutions qui troublent ou glorifient la marche de l'humanité. Tout s'y rencontre, tout, excepté l'unité. L'Italie antique a brillé par ses guerres et par ses lois. Toutes ses républiques se sont disputė la prééminence, mais elles n'ont jamais été unies que quand elles se sont rencontrées ensemble, sous le joug de Rome, en compagnie de tout l'univers. Encore ce joug, l'Italie le subit plus durement et plus tard que le reste du monde. Cinq cents. ans suffirent à peine à la future reine des cités pour imposer ses lois à l'étroit bassin qu'on peut contempler du haut du Capitole. L'Orient lui coûta moins à conquérir que sa propre banlieue. Elle dominait Athènes et Carthage, l'Espagne et la Syrie, et toutes les républiques italiennes n'avaient pas encore perdu leur vieille liberté. On sait les périls de la guerre sociale, les oppressions des vain |