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d'un chrétien qui sentait qu'il avait mal dépensé les plus belles années de sa jeunesse. Il est des gens trop sévères, comme il en est de trop indulgents pour leurs fautes. Cowper était de ceux là; et le mémoire où il a retracé d'une main si ferme le souvenir de ses erreurs ne saurait être interprêté rigoureusement sans injustice. D'autres, dans leurs confessions, ont dit moins qu'ils n'avaient fait, Cowper en a dit plus. Une des singularités de cet aimable génie, a toujours été de se croire plus coupable qu'il ne l'était en réalité, et, conséquemment, d'être plus malheureux qu'il n'en avait le droit. Bien ne lui a manoué de ce qui peut rendre la vie tolérable, et cependant la seule chose nécessaire, la paix de l'âme, il ne l'a pas connue.

A peine établi au Temple où il avait, suivant l'usage, pris un logement, il devint, en 1752, la proie de cette mélancolie qui, plus ou moins, n'a cessé de peser sur lui. « Je tombai bientôt, dit-il au début de son mémoire, dans un abattement tel qu'on ne peut, sans l'avoir éprouvé, s'en faire la moindre idée. Nuit et jour j'étais à la torture, me couchant dans l'horreur, me levant dans le désespoir. Je perdis aussitôt toute espèce de goût pour les études qui m'avaient attaché aupara

vant; les classiques n'eurent plus aucun charme pour moi; j'avais besoin de quelque chose de plus salutaire que les amusements, mais je n'avais personne pour m'enseigner où le trouver. » Il se mit à composer des prières, ce qui le soulagea pendant un certain temps; puis à voyager; mais au retour, il brûla ses prières, et toute sa dévotion s'en alla. Il reprit alors la vie indolente et facile que lui faisaient son patrimoine, l'attente de quelque emploi public, des amitiés agréables et le goût des vers. De ses amis, il n'y a que peu de chose à dire ici, tous, sauf un, s'étant fait une place dans l'histoire littéraire de leur temps. Bonnell, Thornton et Lloyd sont, il est vrai, fort peu connus aujourd'hui; mais les pièces de Colman se jouent encore, et les satires de Churchill se lisent toujours. Et cependant, le plus connu, c'est peut-être celui qui n'a rien écrit et qui s'est borné à être l'ami des bons et des mauvais jours, celui auquel Cowper a adressé quelques-unes de ses plus jolies lettres, Joseph Hill. Il en est un autre qui tient une certaine place dans la politique de cette époque, c'est Thurlow, destiné à s'asseoir sur le sac de laine, à qui Cowper disait un soir en présence de quelques dames, tout en buvant du thé: «Thurlow, je ne suis rien, ni ne serai ja

mais rien; et vous, vous serez chancelier. Vous penserez alors à moi, n'est-ce pas ? » et Thurlow répondait en souriant: « Je n'y manquerai pas. » La prédiction devait se réaliser, mais non la promesse. Tous ces anciens écoliers de Westminster avaient formé sous le nom modeste de Club de la Bêtise (Nonsense Club), une petite association littéraire, et fondé une revue périodique où il n'y avait guère que le fond qui manquât. Le Connaisseur, humble descendant du Spectateur, du Babillard et du Rôdeur ne mena pas grand bruit dans le monde. Cependant ce fut là que Cowper s'essaya dans la prose. A propos d'un Essai sur la Discrétion qu'il y inséra, on a même rappelé le nom d'Addison, ce qui n'est pas un mince éloge pour un débutant. On se délassait de la prose en faisant aussi des vers burlesques et des parodies. Rien ne prouve que Cowper ne se soit pas associé à ces amusements, car il avait naturellement l'humeur enjouée. Il composa même quelques chansons politiques à un sou qui eurent, à ce qu'il assure, leur popularité. Enfin il paraît avoir traduit pour son frère quelques chants de la Henriade. Mais ce n'était là que des caprices ou des études. Tous les vers, traductions, imitations ou pièces originales qui appartiennent à cette époque, et dont le

nombre est d'ailleurs fort restreint, car il en détruisit beaucoup, montrent plus d'habileté que de personnalité. Cowper était né pour quelque chose de plus élevé; il était né aussi pour une société moins légère et moins facile; et la crise terrible qui le força plus tard à quitter le Temple eut cet avantage qu'elle l'éloigna d'un monde qui valait moins que lui. Toutefois, si l'emploi de son temps ne fut pas ce qu'il aurait pu être, il ne faudrait pas croire que ces onze années furent entièrement perdues pour le futur poète. D'abord, il s'y façonna un instrument, sans y penser peutêtre, et sans prévoir lui-même quels sons il en tirerait un jour; ensuite, le peu de connaissance pratique des hommes qu'il ait jamais eu, c'est là qu'il le prit. La seule fenêtre d'où il ait pu regarder le spectacle des choses humaines allait se fermer pour lui, et pour longtemps; mais cela lui suffit: il devait deviner le reste.

Cowper avait trente-deux ans ; la petite fortune qu'il tenait de son père, mort en 1756, avait à peu près fondu entre ses mains sans qu'il s'en fût aperçu. L'inquiétude de l'avenir commençait à l'assaillir, et il sentait qu'il fallait prendre une résolution, faire un effort de volonté. Nul doute d'ailleurs que, apparenté comme il l'était, on ne

pût lui trouver, sans chercher beaucoup, une de ces places bien rétribuées qui ne demandent pas de connaissances spéciales et qu'il suffit d'être honnête homme pour occuper convenablement. « Ce n'est jamais, a-t-il dit lui-même en vers mordants, par incapacité que l'on perd les charges lucratives; donnez même à un sot l'emploi qu'il demande: un office avec un revenu à la suite fournit toujours assez d'huile pour en graisser les roues.»> Il était déjà Commissaire des banqueroutes, ce qui ne lui donnait pas beaucoup de besogne. Il jeta les yeux sur une de ces nombreuses charges. que protégeait alors l'ombre des priviléges aristocratiques et parlementaires; c'était celle de secrétaire aux Journaux de la Chambre des Lords. Il fit même plus que d'y penser; il souhaita la mort de celui qui l'occupait. C'est là du moins ce qu'il a prétendu plus tard, tout heureux de pouvoir ajouter la pensée de l'homicide à la foule de péchés dont il s'accusait. Toujours est-il que le secrétaire, cause innocente de tant de remords, mourut à ce moment et que le Major Cowper, qui avait la disposition de la charge, la donna à Cowper dont il était le parent, après lui en avoir offert une autre plus considérable, que celui-ci refusa par modestie. A vrai dire il aurait mieux fait de ne

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