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proposition était évidemment fausse dans sa généralité. Supposez, en effet, une secte religieuse dont les constitutions soient injurieuses à la majesté divine et à la majesté des rois, attentatoires à leur personne sacrée et à leur autorité, injurieuses à tous les corps, destructives de la liberté naturelle des esprits et des consciences, contraires au droit naturel et au droit divin, au droit des gens et à celui de toutes les nations, au bien et à la paix des états, à la sûreté des contrats et des conventions des particuliers (ce sont les expressions d'un arrêt du parlement de Paris du 27 mai 1762): une telle société outrage incontestablement la morale publique et religieuse, et encourt l'animadversion des lois. Cependant on ne doit encore procéder contre elle qu'avec beaucoup de circonspection et de maturité, car elle invoque le nom de la Divinité, et se présente revêtue du caractère sacré de la religion.

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Ce n'est pas ainsi qu'a procédé le tribunal de Strasbourg contre les piétistes. Il n'a rien rapporté de leurs livres ou de leurs doctrines qui indique la plus légère atteinte portée à l'ordre public ou à la morale. Ils rejettent l'intervention des prêtres, les cérémonies, les sacrements, etc.; mais ce sont là des hérésies qui peuvent être justement condamnées par, l'église, sans blesser la morale publique et religieuse. Ils sont, à cet égard, sur la ligne des protestants, des anglicans, des schismatiques grecs, et autres hérétiques, dont les doctrines ou les pratiques n'ont jamais été considérées comme offensantes pour la morale. - Ne vient-on pas d'accueillir tout récemment en France une colonie musulmane, à laquelle on donne une maison, avec la permission d'y exercer son culte? Et les piétistes, français et chrétiens, seraient expulsés de France, ou subiraient des peines prononcées par le code pénal!

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M. l'avocat-général fait d'abord remarquer que l'arrêt de la cour royale de Colmar ne prononce pas que les art. 291 et 294 du cod. pén. sont abrogés par l'art. 5 de la Charte; il dit, au contraire, en termes formels, que l'art. 291 ne s'applique qu'aux associations qui voudraient se former depuis la loi, ce qui signifie bien clairement qu'il ne considère pas cet art. 5 comme abrogatoire des dispositions du cod. pén. La question d'abrogation pure et simple à laquelle s'est livré

le défendeur n'était donc pas la véritable question du procès. Cependant, abordant cette question elle-même, le ministère public soutient que les art. 291 et 294 du cod. pén. se concilient parfaitement avec l'art. 5 de la charte: « Chacuu professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. » -- Sans doute, mais encore faut-il bien que l'autorité publique surveille, dans l'intérêt de l'ordre et du repos de la société, toutes les réunions d'hommes excédant le nombre de vingt, et qui ont un but déterminé par la loi. - Ce n'est pas pour gêner une croyance religieuse ou pour entraver le libre exercice d'un culte que la loi exige l'autorisation préalable pour ces réunions : c'est pour s'assurer que rien de contraire à l'ordre et à la police générale du pays ne doit éveiller sa sollicitude. Prétendre une liberté indéfinie serait vouloir s'arroger un privilége monstrueux que n’a jamais réclamé aucune association religieuse, et qui irait directement contre l'esprit et contre le sens naturel de la charte ellemême. — Au reste, en admettant l'existence des piétistes antérieurement au code pénal, M. l'avocat-général, soutient que cette secte n'avait jamais eu, soit avant le code, soit depuis, le droit de se réunir au nombre de plus de vingt dans une maison particulière. La cour royale avait donc commis une erreur grave lorsqu'elle avait posé en principe que toute association existante avant le code pénal échappait à l'application des art. 291 et 294 de ce code.

Le ministère public parcourt ensuite la législation antérieure au code pénal. La loi du 7 vendémiaire an 4, invoquée par le défendeur, ne saurait être considérée comme loi de la matière : faite en haine de la religion catholique, professée par la grande majorité des Français, elle appartient à un ordre d'idées et à une époque qui sont déjà loin de nous. -Elle est d'ailleurs. législativement abrogée par la loi du 18 germinal an. 10, promulguée à la suite du concordat, et qui a spécialement pour objet la. police et. la. discipline de tous les cultes reconnus en France. Enfin, cette loi, si elle devait servir de règle, placerait le défendeur dans une position plus désavantageuse que le code pénal.,

Abordant ensuite la véritable question du procès, M. l'a-. vocat-général convient, ce dont tout le monde est d'accord,. que la liberté de conscience et de la pensée ne saurait être: Tome II de 1827. Feuille 2..

entravće par aucune loi de police; mais en est-il de même de l'exercice du culte? Sera-t-il défendu à l'autorité publique d'intervenir dans les pratiques de chaque culte pour les surveiller? Trouve-t-on des traces d'une pareille prohibition dans l'art. 5 de la charte ?

Mais s'il en était ainsi, que deviendraient les libertés de l'église gallicane, et la loi de l'an 10 elle-même, relative à la police des cultes dissidents? La confusion, les plus dangereux résultats, seraient la suite inévitable d'un pareil état de choses.

Que réclament les piétistes? La faculté de se réunir pour l'exercice de cérémonies quelconques, pour professer une morale inconnue du gouvernement, et dans une maison privée où il est interdit à tout officier de police de pénétrer. Ainsi, une classe composée de paysans et d'artisans, dont le chef est un tisserand, et l'instituteur inspiré un boulanger, en l'absence de toute règle et de ministres éclairés propres à les diriger, se réunira dans une maison particulière, pour y exposer ce que chacun croit être son opinion sur les livres saints, sur la morale; et la société, sans aucune garantie à cet égard, devra fermer les yeux sur de pareilles réunions. Il est impossible d'entendre ainsi la législation qui nous régit. Que tout ce qui fait partie du dogme ou dépend du for intérieur reste étranger à la loi, c'est ce qu'il est facile de concevoir, et ce que nous admettons; mais l'autorité doit toujours avoir dans les mains les moyens nécessaires de surveiller et de réprimer tout écart, toute atteinte portée à l'ordre public ou à la morale. Ce n'est donc pas le droit garanti par la charte à tous les Français de professer librement sa religion, ou d'exercer librement son culte, que ment les piétistes: c'est le privilége singulier de se réunir dans une maison privée, en quelque nombre que ce soit, sans être soumis à aucune espèce de surveillance.

-

récla

Sur le deuxième chef, M. l'avocat-général soutient qu'on ne saurait admettre en principe, et d'une manière absolue, que la profession d'un dogme quelconque ne peut jamais constituer un outrage à la morale publique et religieuse.

Du 3 août 1826, ARRÊT de la section criminelle, après délibéré en chambre du conseil, M. Bailly faisant fonctions de président, M. Ollivier rapporteur, M. Isambert avocat, par lequel:

« LA COUR,—Sur les conclusions de M. Laplagne-Barris, avocatgénéral; -Sur le chef de prévention d'outrage à la morale publique et religieuse,—Attendu qu'en rejetant ce chef, la cour n'a violé ni la loi du 17 mai 1819 ni celle du 25 mars 1822; · Sans approuver les motifs donnés à cet égard dans l'arrêt, REJETTE également le pourvoi du procureur-général; — En ce qui touche le renvoi de prévention prononcé par la cour royale sur le chef ayant pour objet la réunion de la société religieuse dite des piétistes, sans autorisation du gouvernement, -Vu l'art. 5 de la Charte constitutionnelle, qui porte : « Chacun pro» fesse sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la » même protection. »;—Vu les art. 291, 292 et 294 du cod. pén.; — Considérant que ces trois derniers articles se concilient parfaitement tant avec le principe consacré par la charte qu'avec le besoin de surveillance et de police, dans tout ordre social sagement organisé; et que. d'après les mêmes articles du cod. pén., nulle association de plus de vingt personnes, dont le but est de se réunir tout les jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets religieux ou autres, ne peut se former ni se réunir qu'avec l'agrément du gouvernement, et que tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, accorde ou consent l'usage de sa maison ou de ses appartements, en tout ou en partie, pour l'exercice d'un culte, est punissable d'une amende de 16 fr. à 200 fr.; Attendu qu'il est déclaré constant par le jugement de première instance, et que la cour royale n'a pas contredit ni méconnu, que l'association des piétistes s'était réunie au nombre de plus de vingt, et sans l'autorisation du gouvernement, dans la maison du sieur Nordmann, pour s'y occuper d'objets religieux; que, néanmoins, la cour royale de Colmar a renvoyé Nordmann de la plainte portée contre lui, en quoi elle a violé ledits articles; CASSE et ANNULLE, quant à ce chef. l'arrêt attaqué. » A. M. C.

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COUR DE CASSATION.

Le constructeur chargé d'établir une machine sur un plan donné, et moyennant une somme déterminée par écrit, peut-il exiger le prix convenu, encore bien qu'il ait fait des changements au plan primitivement arrété, changements qui n'ont point été fixés par une nouvelle convention, s'il est constant en fait que l'ordonnateur les a connus et ne s'y est point opposé. (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1793.

Mais dans ce cas, et par la raison qu'il n'y a point de con

vention écrite qui règle un prix nouveau pour ces chan-. gements, le constructeur ne peut-il exiger que la somme primitivement fixée? (Rés. aff. ) Cod. civ., art. 1793.. Lorsque le constructeur d'une machine pour laquelle il a été accordé un brevet d'invention n'est pas payé, et qu'il ya méme entre lui et l'inventeur contestation sur le prix, les juges peuvent-ils, sans violer les lois relatives, aux brevets d'invention, laisser au constructeur l'option de conserver la machine, ou d'en recevoir le prix ? ( Rés. aff.)

PINARD, C. DARET.

Le sieur Pinard était l'auteur d'une presse olyptique, pour laquelle il obtint un brevet d'invention. Le 28 décembre 1822, il s'aboucha avec un sieur Daret pour l'exécution de cette presse, dont il lui remit le modèle, avec un plan et un mémoire explicatif. Le prix, en y comprenant ce que coûterait la pompe à vapeur, fut fixé par écrit à 14,000 fr., avec clause expresse que, dans tous les cas, il ne pourrait pas excéder 15,000 fr.

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Daret, s'étant mis en devoir d'exécuter le plan du sieur Pinard, prétendit que le procédé de ce dernier était impraticable, et que la roue à rayon pourrait être avantageusement remplacée par une chaîne sans fin. Il paraît que Pinard donna son approbation au changement proposé. Toutefois il ne fut arrêté aucune convention écrite, ni de ce changement, ni, d'un nouveau prix pour le surcroît de travail qu'il pourrait exiger.

Quoi qu'il en soit, la machine fut établie avec la chaîne sans, fin, et offerte à l'ordonnateur moyennant 34,000 fr. Pinard se récria sur le prix, se plaignit des changements faits par le constructeur au plan qu'il lui avait donné, et refusa définitivement de prendre livraison.

Daret soutint, de son côté, que la somme qu'il, demandait n'était point excessive, mais. proportionnée à l'importance du travail qu'avaient exigé les changements faits au premier plan; et que Pinard avait d'autant plus mauvaise grâce de se plaindre de ces changements, qu'il en avait reconnu luimême la nécessité, et qu'il les avait approuvés, en les annotaut de sa main sur le nouveau plan, dont il avait lui-même surveillé l'exécution.

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