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COUR DE CASSATION.

i la femme néglige de prendre inscription sur les biens du mari dans les deux mois de l'exposition du contrat de vente, son hypothèque légale est-elle totalement éteinte, en sorte qu'elle ne puisse en suivre l'effet ni sur les biens aliénés, ni sur le prix encore dú par l'acquéreur, mais transporté par le mari à un tiers? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 2155, 2180 et 2194.

DAME DUFOUR, C. DAME TARDIF.

Cette question présente une difficulté sérieuse. Jusqu'ici es auteurs out unanimement enseigné que la purge des hyothèques légales n'est établie que dans l'intérêt des acquéeurs, mais qu'à l'égard des créanciers, la femme, en cas de ente des biens du mari, n'a pas besoin d'inscription pour onserver son hypothèque, et que, tant que le prix n'est pas istribué, elle peut toujours se présenter à l'ordre, et se ire colloquer au rang qui lui appartient (1). Cette doctrine même été consacrée par divers arrêts des cours souveraies, notamment par deux arrêts émanés des cours de Douai t de Rouen. Elles ont considéré que l'hypothèque de la emme, n'ayant pas besoin d'inscription pour prendre date, loit pouvoir s'exercer sur le prix de l'immeuble frappé de 'hypothèque légale comme celle des créanciers inscrits; qu'il mporte peu qu'aux termes de l'art. 2195 du cod. civ., les mmeubles vendus passent à l'acquéreur sans charge des lroits de la femme, à défaut d'inscription dans les deux mois le l'exposition du contrat de vente, puisqu'en degrévant 'immeuble, la loi n'affranchit pas le prix qui le représente, et ne prononce aucune forclusion de l'hypothèque légale sur es deniers qui tiennent lieu de l'objet vendu ; que, si le code dispensé les femmes de la formalité de l'inscription, c'a été parce qu'elles sont placées sous l'empire de leurs maris, sou

(1) Delvincourt, Cours de droit civil, tom. 5, pag. 372; Persil, Régime hypothécaire, tom. 2, pag. 393; Grenier, Traité des hypothèques, Tom. 1o, pag. 592.

Tome IIe de 1827.

Feuille 51.

vent intéressés à paralyser les précautions qu'elles pourraient prendre pour la conservation de leurs droits; mais que cette dispense deviendrait illusoire si, en cas de vente des biens de leurs époux, elles étaient tenues, sous peine de déchéance, à prendre une inscription qui le plus souvent contrarierait l'intérêt et la volonté de ces derniers; qu'enfin les dispositions des art. 2194 et 2195 n'ont pour objet que de rendre invariable le prix de l'immeuble, en privant le créancier négligent de la faculté de surenchérir, de sorte qu'étant uniquement destinées à donner une garantie à l'acquéreur, elles sont tout-à-fait étrangères aux débats des créanciers entre eux (1).

Toutefois il faut convenir que d'autres cours ont consacré le système contraire. De ce nombre sont les cours de Metz et de Grenoble. Ces cours ont pensé qu'en admettant, comme le prétendent certains auteurs, que la disposition de l'art. 2195 du cod. civ. n'a été introduite que dans l'intérêt de l'acquéreur seul, et que la femme n'en conserve pas moins, dans tous les cas, la faculté de se présenter à l'ordre en qualité de créancière hypothécaire, on prêterait au législateur une contradiction frappante; qu'en effet ce serait supposer qu'il aurait voulu tout à la fois priver la femme de son hypothèque à défaut d'inscription, et la lui conserver sans qu'elle fût inscrite; mais qu'il est évident qu'en assujettissant la femme à s'inscrire, dans le cas où l'acquéreur yeut purger les hypothèques, il l'a assimilée à un créancier ordinaire; qu'il a voulu la soumettre à la disposition irritante de l'art. 2180, suivant lequel les hypothèques s'éteignent par Paccomplissement des formalités prescrites aux tiers détenteurs pour les purger; qu'enfin il est évident qu'à défaut d'inscription, la loi prive la femme du droit d'intervenir dans l'ordre, puisque l'art. 775 du cod. de proc. dispose que l'ordre ne pourra être provoqué qu'après l'expiration du dé lai accordé à la femme par l'art. 2194 du eod. civ., c'est-àdire lorsqu'il sera devenu certain qu'elle a conservé ou perdu son hypothèque. (2)

(1) Voy. ces arrêts, nouv. édit., tom. 22, pag. 356, et tom. 1o de 1825, pag. 536.

(2) Voy. ces arrêts, t. 3 de 1823, p. 281, et. t 1er de 1824, p. 69.

Telle était la controverse à laquelle cette grave question vait donné lieu, lorsque enfin elle fut soumise au tribunal égulateur dégagée de toutes circonstances particulières, et anchée dans le sens qui suppose l'extinction totale de l'hyothèque de la femme, à défaut d'inscription dans les deux tois qui suivent l'exposition du contrat de vente des biens u mari. Voilà donc la jurisprudence fixée sur cette imporinte matière. Mais il ne fallait rien moins qu'un arrêt de la our suprême pour affaiblir la profonde impression qu'avaient roduite dans l'esprit les raisonnements judicieux sur lesquels fondaient les commentateurs pour enściguer une doctrine

ontraire.

Le 17 juin 1822, le sicur Auguste Tardif vend une mai›n qu'il possédait à Rouen au sieur Alexandre Tardif son ère, moyennant la somme de 38,000 fr. Le contrat de vente st transcrit, déposé au greffe du tribunal, et reste affiché penant deux mois dans l'auditoire, conformément à l'art. 2194 a cod. civ., sans qu'il survienne aucune inscription de la art de la dame Tardif, femme du vendeur, bien qu'elle ait, exercer contre son mari des reprises pour lesquelles la loi i accorde une hypothèque légale.

Dès le 24 juillet, le sieur Auguste Tardif, débiteur de la ame Dufour de Longuerue, lui avait transporté les 58,000 r., montant de la vente faite à son frère, et le 2 août, cetie ame avait fait signifier son transport à l'acquéreur.

Cependant ce dernier n'avait point encore payé son prix orsque la dame Tardif, qui avait obtenu sa séparation de iens et fait liquider ses reprises, forma, dans les mains d'Aexandre son beau-frère, une saisie-arrêt sur les 38,000 fr., montant de la vente faite par son mari, et prétendit qu'elle evait être colloquée sur les deniers saisis, à la date de son ontrat de mariage, pour le montant de sa dot et de ses aues reprises. « Tant que l'acquéreur, disait-elle, ne s'est pas essaisi du prix de la vente, j'ai le droit d'exercer mon hyponèque légale sur ce prix, sans le secours d'aucune inscripon, parce que la formalité de purge n'est prescrite que pour franchir l'immeuble, mais laisse subsister l'hypothèque léale sur le prix qui le représente, tant qu'il n'a pas été distriué, qu'il est encore libre dans les mains de l'acquéreur; et adame Dufour peut d'autant moins contester cette préten

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tion, que, comme simple cessionnaire de mon mari, elle n'a pas plus de droit que ce dernier, et qu'elle est obligée de souffrir l'exercice de mon action hypothécaire. »>

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La dame Dufour répondait que, dans l'économie des art. 2194 et 2195 du cod. civ., la femme doit, pour conserver son hypothèque légale sur les biens du mari, prendre inscription dans les deux mois de l'exposition du contrat de vente; qu'à défaut de cette précaution, son hypothèque est totale ment éteinte, et qu'elle retombe dans la classe des créanciers chirographaires, qui, n'ayant ni privilége, ni hypo-o thèque, ne peuvent empêcher leur débiteur de disposer de ce qu'il a, sauf leur droit d'opposition; que, dans l'espèce, la saisie-arrêt de la dame Tardif, étant postérieure à la signification du transport, n'avait pas pu en arrêter l'effet.

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Le 20 novembre 1825 jugement qui accueille cette défense, et déclare la dame Tardif mal fondée dans sa demande.

Mais, sur l'appel, arrêt du ro août 1824, par lequel la cour de Rouen infirme la sentence des premiers juges, déclare bonne et valable la saisie-arrêt de la dame Tardif, ordonne en conséquence que l'acquéreur sera tenu de lui payer la somme de 7,000 fr., montant de ses reprises, etc. (1)

Pourvoi en cassation pour fausse application de l'art. 2155 du cod. civ., et pour violation des art. 2180, 2194 et 2195 du même code.

C'est une grave erreur, a-t-on dit, que de prétendre diviser l'hypothèque, que de la présenter comme se composant de deux droits distincts et séparés, l'un existant sur l'immeuble, l'autre sur le prix. En effet, qu'est-ce que l'hypothèque ? C'est l'affectation d'un immeuble à la garantie d'une créance : ainsi, lorsque l'immeuble est affranchi, il n'y a plus d'affectation, plus d'hypothèque. Les créanciers sans doute peuvent se faire payer sur le prix tant qu'il appartient à leur débiteur, tant qu'il est libre dans les mains des tiers détenteurs; mais il est tellement vrai qu'ils ne conservent ni droit de préférence ni privilége sur ce prix, que le ven

(1) Voy. les motifs des deux décisions contradictoires rendues en première instance et sur l'appel, tom. 1o de 1825, pag. 538 et 542.

leur peut en disposer comme bon lui semble, et que, s'il en a lisposé, ils n'ont ni le droit de suite sur les deniers, `ni rien i demander à l'acquéreur qui a payé. Ce qui prouve encore que l'hypothèque n'affecte que l'immeuble et ne s'étend pas u prix, c'est que, si, dans l'intervalle qui sépare la délirance des bordereaux de collocation et le paiement, le prix vient à périr, la perte est pour le vendeur ou l'acheteur, elon qu'il a été ou n'a pas été consigué; mais il ne périt amais pour les créanciers hypothécaires, dont tous les droits se concentrent sur le domaine qui leur est affecté. Répétonsle donc avec assurance, l'hypothèque ne subsiste que sur l'immeuble. La distribution du prix n'est que l'effet de l'affectation de l'immeuble, et non l'exercice d'un privilége sur le prix, qui puisse exister distinctement et indépendamment de cette affectation: d'où sort la conséquence que, dès que l'immeuble est affranchi par la purge, l'hypothèque s'évanouit, elle n'a plus de substance, et par suite elle ne peut plus produire d'effet.

Cette doctrine, qui découle de la nature même de l'hypothèque, est en harmonie parfaite avec le texte de la loi. Eu effet, l'art. 2180 du code place l'accomplissement des formalités introduites pour la purge au nombre des causes qui produisent l'extinction de l'hypothèque, et l'art, 2195, dont les adversaires argumentent avec tant de confiance, ne présente point le sens restrictif qu'on lui suppose. Au contraire, il vient fortifier l'induction prise de l'art. 2180. Pourquoi dispose-t-il qu'à défaut d'inscription sur les immeubles vendus dans les deux mois de l'exposition du contrat, ils passent à l'acquéreur sans aucune charge des dots, reprises et conventions matrimoniales de la femme? pourquoi, dans ce cas, ne réserve-t-il qu'un simple recours contre le mari ? C'est parce que, se référant à l'art. 2180, il suppose l'extinction de l'hypothèque, et par suite l'immeuble et ses accessoires affranchis de tous les droits que la femme pouvait y prétendre; c'est parce qu'il reconnaît que la saisine de cette créancière

ne subsiste plus.

C'est ainsi que se coordonnent les dispositions de la loi, et sous ce rapport elles n'ont rién que de sage, que d'équitable. C'était déjà beaucoup que d'avoir accordé à une certaine classe de créanciers une hypothèque affranchie de la publicité

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