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Discours de M. de Trinquelague, prononcé à Montpellier, le 6 novembre dernier.

Quelques journaux ont cité des fragmens de discours prononcés à la dernière rentrée des cours royales. On a rapporté entr'autres un passage d'un discours prononcé par M. Morgan - Béthune, procureur-général, à Amiens. Ce passage renfermoit une tirade contre l'hypocrisie, et le Constitutionnel en a paru fort content. Nous n'avons point lu le discours en entier, et nous ne saurions juger quel en est l'esprit général. Peut-être le morceau détaché du reste présente-t-il une autre couleur que s'il étoit joint à ce qui le précède et à ce qui le suit. Nous nous abstiendrons donc de toute réflexion sur ce passage, sur lequel l'auteur croira peut-être devoir donner quelque explication. On sait que M. Morgan fut destitué sous le ministère de M. de Cazes, pour avoir fait partie d'une société royaliste secrète, et il n'est pas vraisemblable qu'il se soit jeté dans d'autres rangs et qu'il ait arboré d'autres couleurs. Quoi qu'il en soit, un autre discours nous a paru digne d'être mis, au moins par extrait, sous les yeux du lecteur; c'est celui de M. de Trinquelague, premier président de la cour royale de Montpellier. Le nom de ce respectable magistrat est déjà connu de la manière la plus honorable. M. de Trinquelague fut député à la chambre de 1815, et y vota constamment avec les amis de la religion. C'est sur son rapport que le divorce fut aboli. Depuis, il remplit successivement plusieurs fonctions importantes. Aujourd'hui premier président de la cour royale de Montpellier, il y donne l'exemple de cette sagesse qui convient aux interprètes des lois. Ou sera bien aise de voir comment s'explique un si digne magistrat sur des questions et des circonstances qui ont donné lieu à tant de divagations et de déclamations. On l'entendra avec plaisir répondre aux détracteurs du clergé, et signaler la licence de ses ennemis. Le langage de ce respectable vétéran de la magistrature nous offre quelque chose de consolant au milieu des égaremens, des préjugés et des passions. Puisse ce grave

Tome L. L'Ami de la Religion et du Roi.

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et noble langage servir d'exemple et de leçon à ceux qui seroient tentés de suivre une autre route et de céder à de fâcheuses préventions :

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« Nous ne pouvons pas nous le dissimuler, les doctrines les plus subversives du bonheur public, celles qui tendent à anéantir la Jeligion et la monarchie, se propagent avec une incroyable audace. Comme elles vont au même but, elles se correspondent dans leur marche; leurs progrès se prêtent un mutuel appui, et leurs triome phes se confondent. Rappelez-vous que la constitution civile du clergé date de l'époque où fut porté le premier coup à l'autorité royale, et que le trone fut renversé quand, sur l'autel du Saint des saints, fut élevé l'impudique simulacre d'une vaine raison.

"D On se dirige aujourd'hui par les mêmes voies, et l'impiété vient encore au secours de l'anarchie.

Combien donc il importe de l'arrêter dans ses attaques! combien il est nécessaire de se convaincre toujours davantage de ce que l'Etat doit à la religion!

»Je ne la considère point ici dans ses rapports particuliers; j'oublie dans ce moment ses consolations, ses promesses, son origine céleste je ne la vois que comme moyen de gouvernement. En est-il de plus puissant? Que sont nos lois auprès des siennes? Les nôtres n'atteignent que les actions, les siennes soumettent leur empire la volonté, la pensée même. Nous n'avons aucune législation morale. Ou sont les peines contre l'ingratitude, l'infidélité, les passions haineuses, et tant d'autres vices, principes funestes de désordres et des malbeurs? Ce n'est que dans les lois religieuses que les vices trouvent, un frein, et les vertus un encouragement.

Elles seules établissent sur un fondement solide le devoir de bien faire. En vain quelques hommes, dans leurs abstraites et impuissantes theories, ont cherché à lui donner d'autres bases; la religion est restée la morale du genre humain. Elle s'allie à nos intérêts les plus chers. Nous exaltons la liberté : songeons que c'est le christianisme qui porta le coup mortel à l'esclavage. Nous réclamons l'égalité des droits: eh! qu'est-ce qui peut mieux rappeler à cette égalité civile que l'égalité religieuse? Où les hommes sont-ils plus égaux que dans les temples de celui qui les fit tous à son image, et les appelle tous à la même destinée?

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» Mais cette égalité même, il faut une autorité qui la maintienne; de qui cette autorité peut-elle emprunter un caractère plus imposant que de la religion, qui lui imprime le sceau de la Divinité?

»Aussi, quel est le législateur qui n'ait pas mis ses lois sous la garde de la religion? Parcourez l'histoire de tous les peuples; partout, depuis l'origine du monde, vous verrez la religion associée aux institutions politiques. Si elle fortifie l'autorité de ceux qui commandent, elle sert aussi de garantie à ceux qui obéissent. La religion montre aux rois, qui ne connoissent pas de juge sur la térré, une autorité supérieure, à laquelle ils rendront compte de l'usage qu'ils auront fait de la 'leur, << II importe, dit Montesquieu, que les princes blanchis

» sent d'écume le scul frein que ceux qui né craignent pas les lois hu >> maines puissent avoir. »

» Ces vérités sont d'une évidence trop sensible pour qu'on se permette de les attaquer de front; mais ce qu'on n'ose pas faire directement, on le tente par des voies détournées. En paroissant respecter la religion, on dirige sur ses ministres les coups qu'on veut lui porter; on verse sur eux sans mesure les soupçons, le mépris, les plus injurieuses accusations. On sait trop bien que, quoique le sacerdoce ne soit pas la religion, leur union est trop intime pour que la dégradation de l'un ne s'étende pas sur l'autre. L'esprit religieux se nourrit des enseignemens, des conseils, des exemples des ministres du culte mais, sans la confiance, que peuvent leurs efforts? Croira-t-on à leurs enseignemens et à leurs conseils, si l'on soupçonne leur bonne foi? Quelle impression feront sur les cœurs leurs discours et leurs exemples, si l'on peut les supposer inspirés par l'intérêt et l'am bition? Et la fidélité due à Dieu et au Roi aura-t-elle beaucoup de crédit dans la bouche d'un conspirateur?

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» Ce système de diffamation et de calomnie rempliroit donc parfaitement les vues des ennemis de la religion et de l'Etat, si la vérité ne sortoit pas de toutes parts pour les confondre...

*

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» A les entendre, un esprit d'envahissement s'est emparé du clergé ; il marche sourdement à la domination; les droits les plus sacrés du trône sont en péril, il conspire pour le détruire. Et afin de donner quelque couleur à ces chimériques suppositions, on traverse les siècles, on nous montre les souverains pontifes s'élevant au-dessus de tous les pouvoirs, attaquant l'indépendance temporelle des rois, mettant les royaumes en interdit, disposant des couronnes; les peuples, dans leur stupide crédulité, prêtant à ces excès un déplorable appui; et l'on nous menace, sinon du retour, du moins de l'approche de ces temps d'aveuglement et d'erreur.

>> Etrange illusion! Comment n'a-t-on pas senti que tout déceloit la mauvaise foi de ces craintes?

>> Qu'ont de commun, en effet, les temps dont on nous parle avec les temps où nous vivons? L'ignorance, qui traine toujours la superstition à sa suite, couvroit alors les Etats de ses plus épaisses ténèbres; la noblesse ne savoit que combattre, le peuple ne savoit qu'obéir; le clergé seul avoit conservé le dépôt des lumières, et, à l'influence religieusé, il joignoit celle du pouvoir et des richesses. Faut-il s'étonner si quelquefois il fit servir une aussi grande supériorité à l'agrandir encore? L'abus de nos moyens ne fut-il pas toujours le triste apanage de notre nature?

>> Mais que voyons-nous aujourd'hui de semblable? Portez vos regards sur la société; vous trouverez l'instruction répandue partout; elle a pénétré dans les classes les plus obscures. Tous les droits sont mis en discussion; chacun connoit les siens. Une sage liberté fournit à chacun les moyens de les défendre. La constitution politique ne laisse aux abus, ni l'espoir de se cacher, ni le temps de s'établir; et ces augustes assemblées, où s'unissent, pour veiller au salut de l'Etat, d'une part l'élite des citoyens, et de l'autre cette illustre noblesse, aussi éclairée aujourd'hui qu'elle fut brave dans tous les temps, ne

sont-elles pas d'invincibles barrières contre tous les genres d'usurpations?

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Que peut-on craindre du clergé? Son concours dans les affaires publiques? il en est exclu. Il étoit le premier ordre de l'Etat, il ne lui appartient plus que par ses prières. Ses richesses? elles ont disparu; son existence est devenue précaire; elle est dans les mains de ceux qui le salarient. Ses principes et ses sentimens? les échafauds teints de son sang, les nations étrangères, témoins de son dévoùment, attestent leur pureté. Ses réunions? il n'en a plus ; à ces assemblées solennelles et périodiques, où se discutoient, avec ses intérêts particuliers, les intérêts de la religion; à ces assemblées qui contribuèrent si puissamment à la gloire de l'église gallicane et à l'affermissement de ses libertés, a succédé l'isolement le plus absolu. Plus de moyen de concert, plus de possibilité d'agir ensemble. Répartis dans les différentes circonscriptions des lieux où ils doivent exercer leurs fonctions, ses membres forment des classes indépendantes l'une de l'autre, et sur chacune desquelles l'autorité civile et locale exerce une surveillance attentive et perpétuelle. Dans un tel état de choses, la crainte de son influence politique n'est-elle pas dérisoire?

>> On s'alarme du redoublement de ses efforts pour ranimer dans les cœurs les sentimens religieux, et l'on oublie que les doctrines et les fureurs de la révolution les y avoient à peu près éteints. Quand les secousses d'un violent tremblement de terre ont ébranlé l'édifice jusque dans ses fondemens, ne faut-il pas de nouveaux appuis et des précautions nouvelles pour prévenir sa chute?

>> On semble craindre le succès de ces efforts. Ah! qu'on se rassure; les passions n'y mettront que trop d'obstacles. Mais d'ailleurs ces efforts, si amèrement censurés, quel est donc leur objet? N'est-il pas de pénétrer le cœur des peuples de cette morale évangélique, de ces vertus célestes que la terre doit au christianisme? et ce résultat pourroit-il être à redouter pour la société?

» Ce n'est pas ce qu'en pensoit Montesquieu réfutant les paradoxes de Bayle. « De véritables chrétiens, dit ce profond publiciste, se»roient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, et qui au» roient un très-grand zèle pour les remplir. Plus ils croiroient devoir » à la religion, plus ils penseroient devoir à la patrie. Les principes » du christianisme, bien gravés dans les coeurs, seroient infiniment » plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus humai»nes des républiques, et cette crainte servile des Etats despotiques. »

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» Non, Messieurs, non, ce n'est pas là qu'est le danger. Chaque siècle a son caractère particulier; chaque siècle obéit à des impulsions qu'il faut favoriser ou combattre, accélérer ou retenir, selon leur nature ou leurs progrès. Si la superstition aveugla nos pères, craiguons que l'abus des lumières ne nous précipite dans des excès contraires. La lutte a changé d'objet; elle est aujourd'hui entre la religion et l'incrédulité, entre l'indépendance et l'autorité légitime. On ne se déguise plus; c'est ouvertement que les fondemens de la religion et du trône sont attaqués. L'esprit révolutionnaire, un moment comprimé, s'est relevé audacieux et menaçant, et agite les deux mondes. Des torrens de livres, où toutes les ressources d'une philosophie so¬

phistique se joignent à tout ce que la licence des mœurs a de plus effréné pour séduire les esprits et les cœurs, inondent les cités et les campagnes. Des associations sont formées pour diriger l'agression et les mouvemens; on ne se borne pas à des écrits, on a recours à la violence. En proclamant la liberté des cultes, on s'oppose avec fureur à l'exercice du culte de la religion de l'Etat. Les temples sont profanés, les prêtres sont assaillis. Des forcenés, dans leur délire irréligieux, osent porter leurs mains impies sur ces ministres de paix, dont la bouche ne s'ouvre que pour inspirer l'union et la charité...

» Et c'est au milieu de pareils désordres, que l'on vient simuler des craintes sur ces vieilles querelles religieuses élevées entre les théologiens d'en-deçà et d'en-delà des monts! Ne nous y trompons pas, Messieurs, ce n'est évidemment là qu'une diversion artificieuse, pour détourner notre sollicitude de ce qui doit le plus essentiellement l'exciter. Si quelques voix se sont fait entendre pour réveiller ces querelles depuis si long-temps oubliées, elles sont demeurées solitaires. La voix imposante de l'épiscopat français s'est hâtée de désavouer au pied du trône ces attaques téméraires dirigées contre les antiques maximes de l'église de France, et de rendre un hommage solennel au dogme politique et religieux de l'indépendance pleine et absolue des rois dans l'ordre temporel, de toute puissance ecclésiastique.

» Bannissons donc de vaines alarmes. Sans doute que si jamais elles pouvoient être justifiées, notre zèle ne seroit point au-dessous de nos devoirs. Il appartient à la magistrature de veiller, dans le cercle de ses attributions, à la garde de ces inviolables limites qui séparent les deux autorités. Elle doit aussi surveillance et protection e ces libertés qui, bien que communes de droit à toutes les églises catholiques, semblent appartenir plus spécialement à l'église gallicane, par la fermeté que dans tous les temps elle mit à les défendre et à les conserver. Loin de nous la pensée de manquer à de si grands intérêts. Nous saurons, s'il le faut, les soutenir, sans cesser toutefois de respecter le lien sacré qui, depuis quatorze siècles, nous unit au chef de l'Eglise.

» Mais sachons aussi apprécier les circonstances..

» C'est surtout du zèle qui enflammoit les d'Aguesseau et les Seguier, quand ils poursuivoient de toute la sévérité des lois ces écrits immoraux et séditieux, élémens funestes de notre révolution, qu'il importe aujourd'hui de nous armer. Mais il ne suffit pas de le faire éclater dans les actes de notre ministère. Une force morale est attachée à l'exemple du magistrat : faisons-la valoir, Messieurs, au profit de la religion et de la monarchie. Les regards sont fixés sur nous. La nation est sans crainte pour la liberté : de nombreuses barrières l'entourent; la magnanime générosité du monarque l'a mise à l'abri de toute atteinte; mais le trône est dans ce moment l'objet de ses inquiètes pensées. Dans sa sollicitude, elle n'oublie pas que la magistrature en est un des plus solides appuis c'est sur elle qu'elle fonde ses espérances; c'est son zèle qu'elle appelle de ses vœux; c'est particulièrement d'elle qu'elle attend la défense et l'affermissement des principes sur lesquels repose la stabilité de ce trône, protecteur luimême de tous les droits.

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