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auquel ils n'avoient pas été accoutumés sous l'empire d'un homme qui ne savoit que gourmander durement ses meilleurs amis.

Le 2 mai, S. M. partit de Compiègne, et arriva à Saint-Ouen sur les cinq heures du soir. Elle y reçut de nouveau les maréchaux et les généraux, et les députations du Sénat et du Corps-Législatif.

Le 3 mai étoit le jour désigné pour l'entrée du Roi dans sa capitale. Dès le matin des salves d'artillerie annoncèrent la solennité du jour. Une foule immense se porta dans les rues que devoit suivre le cortége, et même hors des barrières. La population de Paris sembloit s'être plus que doublée ce jour-là. Des étrangers y affluoient de toutes parts. On avoit peine à se procurer des moyens de transport, et ce matin là même, on arrivoit encore de lieux fort éloignés pour assister à cette fête vraiment françoise. Il semble que toute la France voulût être té– moin de ce spectacle, et qu'elle y envoyât ses députés pour s'unir à notre bonheur. Les rues étoient parées de guirlandes, et les maisons tendues de tapisseries. Chaque habitant avoit imaginé quelque décoration. Des écharpes, des drapeaux, des fleurs, des inscriptions, des draperies, des devises, formoient un coup d'oeil agréable par l'élégance et la variété. Les figures répondoient à cet appareil; elles portoient l'empreinte de la joie. C'étoit de tous côtés un mouvement, un air de satisfaction, un besoin de la communiquer aux autres, qui annonçoient assez que le coeur présidoit à cette fête.

Le Roi partit de Saint-Ouen à onze heures. Il trouva toute la route couverte de spectateurs. La foule s'étoit aussi portée hors des barrières, et S. M. put juger par les acclamations qu'elle entendit, de la réception qu'on alloit lui faire dans sa capitale. Elle fut reçue à la barrière par M. le préfet du département, qui vint lui remettre les clefs de sa capitale, et lui exprimer l'allégresse générale. Le Roi répondit qu'il étoit charmé de se réunir à ses enfans, et qu'il remettoit volontiers les clefs de Paris dans

les mains de magistrats dignes de sa confiance, et capables de faire le bonheur du peuple. Au même endroit, une députation de quarante-huit jeunes demoiselles harangua Mme. la duchesse d'Angoulême, qui parut sensible à leur hommage, et leur répondit avec bonté.

- S. M. entra dans sa capitale vers midi et demi. Ce moment ne pouvoit manquer de rappeler bien des sou venirs, et d'être mêlé de quelque amertume. If y avoit vingt-trois ans que le Roi étoit sorti de Paris. Que de scènes tristes et terribles s'y étoient passées dans cet intervalle! que d'excès, de folies et de crimes avoient souillé cette cité malheureuse! Nous avions tout perdu, pour ainsi dire, en perdant nos Rois; et l'honneur, la justice, la morale, la religion sembloient s'être exilés en même temps qu'eux, et avoir abandonné une terre inhospitalière et barbare. Mais pourquoi revenir sur ces idées lugubres? Imitions plutôt la sage réserve d'un prince gé→ néreux, qui ne veut plus que nous parlions de nos torts, de nos erreurs, de nos attentats, et qui, jetant un voile sur le passé, ne nous promet que paix, espérance et bonheur.

Le cortége étoit nombreux et brillant. Il étoit ouvert par des détachemens de troupes de ligne et de gardes nationales à cheval. Huit voitures de la cour, attelées chacune de huit chevaux, et décorées, comme autrefois, des armes de France aux portières, étoient occupées: par les ministres et les personnes de la maison du Roi. Des jeunes filles, vêtues de blanc, suivoient des détachemens de la garde nationale à pied. L'une d'elles portoit une bannière sur laquelle étoit cette inscription si juste: La Providence nous rend les Bourbons. Vive le Roi!! Venoient ensuite les voitures de la ville, au nombre de dix-sept; puis un état-major extrêmement nombreux, composé d'officiers-généraux françois et étrangers. Car, cette fête sembloit nous être commune avec toutes les nations, et il étoit juste que les alliés prissent part à un triomphe dont nous leur étions redevables. La plupart

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avoient joint la cocarde blanche à celle de leur nation. Le Roi étoit dans une calèche découverte, afin de. procurer à ses sujets le bonheur de le mieux voir. Elle, étoit traînée par huit superbes chevaux blancs, richement caparaçonnés. Le Roi occupoit le fond de la voi¬ ture, ayant à ses côtés cette princesse aimable et vertueuse, ce rejeton des Rois, cette fille des saints, éprouvée par tant de malheurs, et qui partageoit en ce moment. avec le Roi les hommages et les voeux expiatoires d'un peuple empressé de sécher ses larmes et de lui faire oublier ses chagrins. Le Roi étoit en habit bleu, avec les épaulettes de général. Il ôtoit souvent son chapeau, malgré le soleil, pour répondre aux acclamations de la foule. La figure de S. M. ne nous a point paru se ressentir, autant qu'on nous l'avoit dit, des impressions du temps. Son air de tête est plein de bonté, et les chagrins, qui l'ont privé de presque tous ses cheveux, n'ont point. ôté à sa physionomie l'expression du calme et de la douceur. Mme. la duchesse d'Angoulême étoit vêtue d'une robe blanche, avec une toque et une ombrelle de la même couleur. On lisoit sur son visage je ne sais quelle sorte de joie grave qui á frappé tous les spectateurs. Elle paroissoit incommodée de la chaleur et de la poussière, ou plutôt c'étoit le moral qui souffroit chez elle plus. encore que le physique. Elle n'avoit pu entrer dans nos rues sans se rappeler un autre cortége..... Ces souvenirs se mêloient visiblement à sa joie. On eût dit que les ombres des victimes illustres, enlevées successivement à son amour, planoient en ce moment devant ses yeux, et provoquoient des larmes qu'elle ne pouvoit retenir, Sa figure est pleine à la fois d'expression et de grâce, de finesse et de bonté. Devant le Roi et elle étoient deux princes, qui ont aussi leurs sujets de deuil, Mgr. le prince de Condé et Mgr. le duc de Bourbon, S. A. R. MONSIEUR et Mgr. le duc de Berry étoient à cheval aux portières de la voiture.T

Il est impossible de peindre l'enthousiasme qui se ma¬

nifestoit surtout quand la voiture de S. M. passoit. Les cris de Vive le Roi! remplissoient les airs. On frappoit dans les mains, on agitoit des drapeaux, on faisoit mille signes de joie différens. Les coeurs étoient émus, et les acclamations répétées sans relâche annonçoient assez les dispositions générales des esprits. Ce n'étoit point là l'engourdissement, la froideur et le silence de ces fêtes prétendues que nous avons vu se succéder depuis vingt ans. Ce n'étoient point les cris rares, sourds et glacés qu'achetoit à prix d'argent un tyran imposteur. Non, nous n'étions pas payés. Une police adroite et active ne nous avoit pas commandé d'applaudir, et ne nous avoit pas chargé d'exciter un enthousiasme factice, Notre allégresse étoit naturelle et franche. C'étoit l'explosion spontanée des sentimens du coeur; c'étoit un épanchement vif et loyal, une effusion prompte, rapide, aussi impossible à comprimer qu'à feindre. Nous n'avions pas joui d'un tel spectacle depuis vingt ans, et nous pouvons dire actuellement, comme ce digne et ingénieux Parisien dans la devise mise à la porte de sa maison: Nos fetes ne seront plus sans allégresse. C'étoit en quelque sorte un débordement de joie; et comme un ressort long-temps comprimé revient avec plus de force, à son état naturel, ainsi nous sommes retournés avec plus d'ardeur à nos anciennes habitudes et au cri françois.

A la porte Saint-Denis une couronne est descendue de la voûte au-dessus de la tête du Roi. A la place des Innocens, les femmes de la halle ont présenté un bouquet et des vers.

*Il étoit deux heures passées quand S. M. descendit à l'église Métropolitaine. M. de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims et grand-aumônier de France, y avoit précédé le Roi. Ce vieillard, vénérable par son âge et par sa fidélité, remplissoit, pour la première fois, les fonctions de sa charge à Paris.

Arrivée sous le dais, S. M. se mit à genoux et baisa la vraie Croix, qui lui fut présentée par M. l'abbé de la

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Myre, grand-vicaire de Paris. Il harangua le Monarque

en ces termes :

SIRE,

L'un des illustres aïeux de Votre Majesté déposoit ici, avec une religieuse confiance, ses prières et ses vœux aux pieds de notre auguste patrone, et il obtint la naissance d'un fils, Louis XIV. Pendant bien des années, nous avons déposé, sur le même autel, dans le silence de la douleur, nos prières et nos larmes, et le ciel nous rend aujourd'hui notre Roi, notre père, Louis XVIII. ‚†

» Le Dieu de saint Louis a relevé votre trône, vous raf fermirez ses autels. Dieu et le Roi, telle est notre devise, telle a toujours été celle du clergé de France, dont l'église de Paris se félicite d'être en ce moment l'organe »>,

Sa Majesté a répondu à-peu-près en ces termes :t «En entrant dans ina bonne ville de Paris, mon premier soin est de venir rendre grâces à Dieu et à sa sainte mère, la toute puissante protectrice de la France, des merveilles qui ont terminé nos malheurs. Fils de saint Louis, je tâcherai d'imiter ses vertus ».

Le Roi a dit à l'officiant: «Je connois M. l'abbé Dastros. ་ འ ་ C'est sans doute à lui que je parle ». M. de la Myre s'est álors nommé, et le Roi lui a dit des choses obligeantes.

Arrivé dans le choeur, le Roi s'est mis à genoux sur un prie-Dieu recouvert d'un drap de velours cramoisi, semé de fleurs de lis d'or. Le trône étoit un simple fauteuil sans estrade, suivant l'antique usage; la piété de nos Rois leur interdisant un appareil qui ne paroît pas convenable dans le temple de celui devant lequel les trônes s'abaissent. A droite et à gauche du Roi étoient cinq coussins et cinq pliaus pour les quatre princes et la princesse, Derrière le Roi et les princes étoient le prélat grand-aumônier, M. l'abbé de Chambre, ancien grandvicaire de Metz, qui vient d'être nommé aumônier du Roi; M. l'abbé de Latil, aumônier de MONSIEUR; M. l'ahbé de Reclesne, ancien aumônier de M. le comte de Pro

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