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exagération même, étaient insuffisans; ne voir dans les Hommes de Mer que des Recrues éventuelles pour l'Armée de Terre; voilà le système constamment suivi par le Gouvernement qui vient de finir; et qui a amené l'anéantissement de la Population maritime, et l'entier épuisement de nos Arsenaux. Les représentations des Hommes les plus sensés, des Marins les plus expérimentés, l'évidence matérielle même, furent toujours vaines pour arrêter ces folles entreprises, ces mesures violentes qui appartenaient à un plan de domination oppressive dans toutes ses parties.

C'est ainsi qu'en 1804 on annonça fastueusement le projet d'une déscente en Angleterre. Aussitôt un Port où l'on ne devait jamais voir que des Barques de pêches et des Paquebots, est converti en un vaste Arsenal maritime; on fait des travaux hydrauliques immenses sur une plage que les vents et les marées couvrent sans cesse de sable; on élève à grands frais des forts, des batteries, des ateliers, des magasins; des milliers de Bâtimens sont mis en construction, sont achetés sur toutes les Côtes de l'Océan, dans l'intérieur des Rivières, sans considérer s'ils pourront parvenir au lieu marqué pour leur réunion ; Paris même voit dans ses murs se former un chantier naval: les bois, les approvisionnemens les plus précieux sont consacrés à construire, à armer ces Bateaux de différentes espèces qui n'avaient pas même l'avantage de convenir à leur destination! et que reste-t-il aujourd'hui de tous ces armemens? Des débris de quelques Barques; de déplorables comptes qui attestent que, pour créer et voir se détruire successivement cette Flottille monstrueuse, plus de 150,000,000 ont été sacrifiés depuis 1803 jusqu'à ce jour.

Tout ce que le talent des Ingénieurs, la persévérance courageuse des Marins pouvait faire, on l'avait obtenu sur l'Escaut; en peu de tems une Escadre nombreuse navigue facilement sur un Fleuve que l'on croyait inaccessible à de grands Bâtimens de Guerre; de nombreux Equipages formés par les soins d'un Amiral habile, secondent quand il faut les opérations de l'Armée de Terre ; et tout récemment on les a vus défendre avec une rare bravoure l'Arsenal d'où leur Flotte était sortie.

Mais ce genre de succès ne suffit pas à l'orgueil de la Puissance; c'est l'espoir de vaincre la nature qui peut seul le flatter; et aussitôt Jes bords de l'Escaut se couvrent de chantiers que toutes les forêts voisines n'auraient pu alimenter, si l'activité de ces constructions eût dû se prolonger. C'est en vain que l'on représente qu'il peut suffire d'un hiver rigoureux pour changer le gisement des bancs et fermer les passes que des Vaisseaux de premier rang auraient à franchir; que chaque année, à l'approche des glaces, les Equipages viennent se renfermer dans des bassins ou ils perdent en peu de mois ce que leurs Officiers leur ont si péniblement enseigné pendant la belle saison; rien n'est écouté, et les Trésors de la France sont prodigués pour parvenir à un but qu'il était impossible d'atteindre.

L'expérience constate que l'emploi des approvisionnemens n'est jamais plus économiqué et mieux surveillé que lorsque l'on concentre sur un seul point les plus grandes et les plus petites constructions; mais il faut imposer; et sous prétexte de procurer du travail aux Ouvriers marins, de mettre en œuvre les bois existans sur les lieux, on entreprend des constructions dans des Ports envasés, sans rade, sans mouillage sur et protégé, exposés pendant l'hiver à l'effet des débâcles, ou dont l'entrée est fermée par une barre difficile à franchir. De-là des états-majors nombreux et une administration considérable et dispendieuse.

Les grands Travaux exécutés à Cherbourg avec tant de succès, la belle Escadre de Toulon, présentent seuls des résultats utiles; ailleurs on n'apperçoit que fautes, qu'imprévoyances.

Tous nos Arsenaux sont entièrement démunis; on a dissipé cet immense mobilier naval que Louis XVI avait soigneusement fait préparer lors de la Paix de 1783, et depuis 15 ans la France a perdu en expéditions mal conçues, mal combinées, 43 Vaisseaux, 82 Frégates, 76 Corvettes et 62 Bâtimens de transport ou avisos que l'on ne remplacerait pas avec 200,000,000. (Tableau A.)

Le Port de Brest, le plus beau*, le meilleur peut-être de l'Europe, où des Flottes immenses peuvent être réunies en sûreté, où il existe de vastes et magnifiques établissemens, a été entièrement délaissé.

Si les Arsenaux sont épuisés et sans munitions, les Vaisseaux sont encore plus dépourvus de véritables Hommes de Mer.

La perte de nos Colonies, les mesures arbitraires qui tourmentaient sans cesse le commerce, les vexations exercées sur les Pêcheurs, la longue durée de la Guerre, les revers éprouvés par nos Flottes auraient suffi pour anéantir la Population maritime; mais par une autre cause encore, le dernier Gouvernement en avait, pour ainsi dire, prononcé la perte absolue.

Nos Equipages, que l'extinction de la race des Gens de Mer ne permettait plus de recruter qu'avec des Conscrits, ont reçu l'organisation des Régimens de Ligne; et l'on a vu plusieurs de ces Equipages courir de leurs Vaisseaux dans les champs de l'Allemagne et dans les montagnes des Asturies; commandés par des Chefs valeureux, ils ont concouru à soutenir l'éclat des Armes Françaises; mais ils perdaient dans les Camps toutes les habitudes de la Mer.

Cette double gloire avait dû séduire beaucoup d'Officiers de la Marine; le désir d'avoir toujours avec eux les mêmes Compagnons, leur semblait se justifier par l'espérance d'une plus forte discipline; mais il échappait à ces Officiers que la Guerre ne pouvait pas être

Depuis la rédaction de cette note, le Roi a ordonné des dispositions qui vont rendre au Port de Brest son ancienne importance.

perpétuelle; qu'en tems de Paix l'Etat ne pouvait pas garder sous son Pavillon cette foule de Matelots Soldats; que ce Régime était entièrement opposé aux goûts et aux usages des Marins, qu'il tendait sur-tout à les retenir dans un célibat funeste pour la Marine et pour le Royaume.

Il importe donc de faire cesser un Régime qui présente aussi le grave inconvénient de faire trop reposer les intérêts pécuniaires du Matelot entre les mains de ses Officiers, pour lesquels rien ne doit altérer son respect et sa confiance.

Le Tableau ci-joint fera connaître l'état actuel de nos Forces Navales. (Tableau B.)

La dette totale de la Marine se monte à 61,300,000 francs.

Ministère des Finances.-L'exposé de la situation du Ministère des Finances doit offrir l'explication de celle de tous les autres Ministères ; mais ici se concentrent les résultats. Avant de les faire connaître, il importe d'expliquer de quelle manière l'ancien Gouvernement était parvenu à les cacher.

Au premier coup-d'œil, le système de finances de l'ancien Gouvernement se présente avec une apparence d'ordre et d'exactitude.

Avant le commencement de chaque année, le Ministre des Finances devait réunir les demandes des Ministres pour les dépenses de l'année, et en former le Budjet des Dépenses.

Il devait également former, par apperçu, l'état du produit des Impôts et Revenus, et en déduire le Budjet des Recettes.

Ces 2 Tableaux mis en balance composaient le Budjet général de l'Etat, et semblaient promettre qu'on pourrait pourvoir aux dépenses de tous les services, en réalisant tous les Revenus.

Mais cet équilibre n'était que fictif, et le Budjet, soit des Recettes, soit des Dépenses, était altéré par une foule d'inexactitudes et même de faussetés.

Les fonds dits Spéciaux, objet de plus de 100,000,000 par an, n'étaient pas compris dans le Budjet; beaucoup de dépenses extraordinaires n'étaient portées à aucun Ministère.

Les dépenses de la Guerre étaient calculées sur un effectif, trèsinférieur à l'effectif réel; une ou plusieurs Conscriptions étaient levées; des remontes, des approvisionnemens et des travaux étaient ordonnés dans le cours d'une année, sans que les crédits fussent augmentés proportionnellement. Les crédits devenaient donc nécessairement insuffisans, et un arriéré considérable se formait et s'accroissait chaque jour.

La plupart des produits présumés portés au Budjet étaient de plus ou éventuels ou exagérés; on ne pouvait les réaliser; ou l'on n'obtenait qu'une somme inférieure à leur évaluation. Ainsi les Budjets

et 1813 offrent un déficit de 312,032,000 francs.

de 1812 et 1813 offrent bleau C.)

(Ta

Le Chef du Gouvernement n'ignorait pas ces déficits; mais il espérait toujours les combler, soit par ces Tributs de l'Etranger que lui avaient valus ses premières Campagnes, soit en puisant des ressources dans les Fonds spéciaux, dans le Domaine extraordinaire, dans la Caisse d'Amortissement, dans la Caisse du Service, &c. C'est ainsi que presque tous ces fonds, qui n'étaient pas destinés aux dépenses de la Guerre, y ont été employés, et de là est né, dans les finances, un arriéré considérable dont nous allons faire connaître l'étendue.

ronne

........

1. 11 a été enlevé aux Fonds spéciaux et employé aux dépenses du Budjet, une somme de ........ 53,580,000 2. Il a été prélevé sur les Caisses du Domaine, et de la Cou.............................................. 236,550,000 3. La Caisse de Service et celle du Trésor ont avancé et consommé ............. ............. 162,014,000 4. Il a été détourné de la Caisse d'Amortissement et employé aux dépenses ......... ............. 275,825,000 5. Il faut ajouter à ces diverses sommes, l'arriéré existant dans les dépenses, à la charge particulière du Ministère des Finances, puisque le paiement n'en a été refusé ou retardé que parce que les fonds en avaient été employés à d'autres dépenses; cet arriéré, en y comprenant 12,000,000 dûs pour la solde de retraite, est de 77,500,000

Ainsi, le total des anticipations ou fonds détournés et dévorés à l'avance par l'ancien Gouvernement est de ............... 805,469,000 Ajoutons maintenant à cette somme l'arriéré des divers Ministères, que l'on ne connaît pas encore avec exactitude, mais que l'on ne peut guères évaluer à moins de 500,000,000, en y comprenant 150,000,000 ordonnancés par ces Ministères dans les premiers mois de 1814, mais non acquittés par le Trésor, la somme totale des anticipations, et de cet arriéré s'élevera à .............. ................................................................1,305,469,000

Si l'on y joint enfin la création de 17,000,000 de rentes perpétuelles, représentant un capital de 340,000,000, dont moitié, à la vérité, a été employée au paiement des dettes antérieurs à l'an 8, on aura pour montant de l'accroissement des dettes de l'Etat pendant le cours de 13 années, la somme de .............................................................................1,645,469,000

Ce calcul est effrayant, sans doute; il ne faut cependant pas en considérer les résultats comme un mal sans remède. Le Ministre des Finances vous expliquera quelles sont les sommes immédiatement exigibles, celles qui ne peuvent être exigées qu'à des époques encore éloignées, et celles qui doivent se résoudre en une simple charge d'intérêts. Pour nous, appelés uniquement à vous présenter l'Exposé

de la situation actuelle du Royaume, nous avons dû nous renfermer dans cette pénible tâche; nous n'avons rien dissimulé; les Tableaux ci-joints renferment le détail et la preuve des faits que nous vous avons sommairement rapportés. Ces détails vous montreront à-la-fois le mal et l'espoir de la guérison; vous y verrez quelle force de vie toujours agissante a constamment soutenu et renouvelé la France au milieu de ses pertes, quelles ressources ont lutté sans relâche contre des désastres toujours renaissans;. vous vous étonnerez de voir si fertiles et si bien cultivées ces campagnes long-tems exposées à tous genres de dévastation.

Effrayés de la Dette du Gouvernement, vous verrez, d'un autre côté, entre les mains des particuliers, de nombreux capitaux prêts à se verser dans des entreprises utiles: loin de désespérer alors de la prospérité nationale, en considérant tout ce qu'a souffert la France et tout ce qu'elle a supporté, vous jugerez tout ce qu'elle doit se promettre d'elle-même, sous un Gouvernement dont elle n'aura plus qu'à seconder les bienfaisantes intentions.

Mais les soins de ce Gouvernement ne se borneront pas au rétablissement d'une prospérité purement matérielle; d'autres sources de bonheur et de gloire ont été cruellement attaquées. La morale comme la richesse publique ne saurait échapper à l'influence funeste d'un mauvais Gouvernement. Celui qui vient de finir a comblé dans ce genre les maux qu'avait causés la Révolution; il n'a rétabli la religion que pour en faire un instrument à son usage.

L'instruction publique, soumise à la même dépendance, n'a pu répondre aux efforts du corps respectable qui la dirige; ces efforts ont été sans cesse contrariés par un despotisme qui voulait dominer tous les esprits pour asservir sans obstacle toutes les existences; l'éducation nationale a besoin de reprendre une tendance plus libérale pour se maintenir au niveau des lumières de l'Europe, en revenant à des principes trop long-tems oubliés parmi nous.

Que ne peut-on rendre aussi tout d'un coup à la France ces habitudes morales et cet esprit public de cruels malheurs et une longue oppression y ont presqu'anéantis ! Les sentimens nobles ont été opprimés; les idées généreuses ont été étouffées; non content de condamner à l'inaction les vertus qu'il redoutait, le Gouvernement a excité et fomenté les passions qui pouvaient le servir; pour éteindre l'esprit public, il a appelé à son aide l'intérêt personnel; il a offert ses faveurs à l'ambition pour faire taire la conscience; il n'a plus laissé d'autre état que celui de le servir, d'autre espérance que celles qu'il pouvait seul réaliser; aucune ambition n'était indiscrette, aucune prétention ne semblait exagérée: de là cette continuelle agitation de tous les intérêts et de tous les désirs; de là cette instabilité dans les situations qui ne laissait presqu'à Personne les vertus de son état,

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