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CHAPITRE III.

DE L'ÉQUILIBRE D'UN SYSTÈME DE CORPS.

Le cas le plus simple de l'équilibre de plusieurs corps est celui de deux points matériels qui se rencontrent avec des vitesses égales et directement contraires. Leur impénétrabilité mutuelle, propriété de la matière en vertu de laquelle deux corps ne peuvent pas occuper le même lieu au même instant, anéantit évidemment leurs vitesses et les réduit à l'état du repos. Mais si deux corps de masses différentes viennent à se choquer avec des vitesses opposées, quel est le rapport des vitesses aux masses, dans le cas de l'équilibre? Pour résoudre ce problème, imaginons un système de points matériels contigus, rangés sur une même droite et animés d'une vitesse commune dans sa direction; concevons pareillement un second système de points matériels contigus, disposés sur la même droite et animés d'une vitesse commune et contraire à la précédente, de manière que les deux systèmes se cho

quent mutuellement en se faisant équilibre. Il est clair que si le pre

mier système n'était composé que d'un seul point matériel, chaque point du second système éteindrait dans le point choquant une partie de sa vitesse égale à la vitesse de ce système; la vitesse du point choquant doit donc être, dans le cas de l'équilibre, égale au produit de la vitesse du second système par le nombre de ses points, et l'on peut substituer au premier système un seul point animé d'une vitesse égale à ce produit. On peut semblablement substituer au second système un point matériel animé d'une vitesse égale au produit de la vitesse du

premier système par le nombre de ses points. Ainsi, au lieu de deux systèmes, on aura deux points qui se feront équilibre avec des vitesses contraires, dont l'une sera le produit de la vitesse du premier système par le nombre de ses points, et dont l'autre sera le produit de la vitesse des points du second système par leur nombre; ces produits doivent donc être égaux dans le cas de l'équilibre.

La masse d'un corps est la somme de ses points matériels. On nomme quantité de mouvement le produit de la masse par la vitesse; c'est aussi ce que l'on entend par la force d'un corps. Pour l'équilibre de deux corps ou de deux systèmes de points matériels qui se choquent en sens contraires, les quantités de mouvement ou les forces opposées doivent être égales, et par conséquent les vitesses doivent être réciproques aux

masses.

Deux points matériels ne peuvent évidemment agir l'un sur l'autre que suivant la droite qui les joint : l'action que le premier exerce sur le second lui communique une certaine quantité de mouvement; or on peut, avant l'action, concevoir le second corps sollicité par cette quantité et par une autre égale et directement opposée; l'action du premier corps se réduit ainsi à détruire cette dernière quantité de mouvement; mais pour cela il doit employer une quantité de mouvement égale et contraire, qui sera détruite. On voit donc généralement que, dans l'action mutuelle des corps, la réaction est toujours égale et contraire à l'action. On voit encore que cette égalité ne suppose point une force particulière dans la matière; elle résulte de ce qu'un corps ne peut acquérir du mouvement par l'action d'un autre corps sans l'en dépouiller, de même qu'un vase se remplit aux dépens d'un vase plein qui communique avec lui.

L'égalité de l'action à la réaction se manifeste dans toutes les actions de la nature le fer attire l'aimant comme il en est attiré; on observe la même chose dans les attractions et dans les répulsions électriques, et même dans le développement des forces animales; car, quel que soit le principe moteur de l'homme et des animaux, il est constant qu'ils reçoivent, par la réaction de la matière, une force égale et contraire à

celles qu'ils lui communiquent, et qu'ainsi, sous ce rapport, ils sont assujettis aux mêmes lois que les êtres inanimés.

La réciprocité des vitesses aux masses, dans le cas de l'équilibre, sert à déterminer le rapport des masses des différents corps. Celles des corps homogènes sont proportionnelles à leurs volumes, que la Géométrie apprend à mesurer. Mais tous les corps ne sont pas de même nature, et les différences qui existent, soit dans leurs molécules intégrantes, soit dans le nombre et la grandeur des intervalles ou pores qui séparent ces molécules, en apportent de très grandes entre leurs masses renfermées sous le même volume. La Géométrie devient alors insuffisante pour déterminer le rapport de ces masses, et il est indispensable de recourir à la Mécanique.

Si l'on imagine deux globes de différentes matières, et que l'on fasse varier leurs diamètres jusqu'à ce qu'en les animant de vitesses égales et directement contraires, ils se fassent équilibre, on sera sûr qu'ils renfermeront le même nombre de points matériels, et par conséquent des masses égales. On aura donc ainsi le rapport des volumes de ces substances à égalité de masse; ensuite, à l'aide de la Géométrie, on en conclura le rapport des masses de deux volumes quelconques des mêmes substances. Mais cette méthode serait d'un usage très pénible dans les comparaisons nombreuses qu'exigent à chaque instant les besoins du commerce. Heureusement la nature nous offre dans la pesanteur des corps un moyen très simple de comparer leurs masses.

On a vu, dans le Chapitre précédent, que chaque point matériel dans le même lieu de la Terre tend à se mouvoir avec la même vitesse par l'action de la pesanteur; la somme de ces tendances est ce qui constitue le poids d'un corps; ainsi les poids sont proportionnels aux masses. Il suit de là que, si deux corps suspendus aux extrémités d'un fil, qui passe sur une poulie, se font équilibre lorsque les deux parties du fil sont égales de chaque côté de la poulie, les masses de ces corps sont égales, puisque, tendant à se mouvoir avec la même vitesse par l'action de la pesanteur, elles agissent l'une sur l'autre comme si elles se choquaient avec des vitesses égales et directement contraires. On peut en

core mettre deux corps en équilibre au moyen d'une balance, dont les bras et les bassins sont parfaitement égaux, et alors on sera sûr de l'égalité de leurs masses. On aura ainsi le rapport des masses de différents corps au moyen d'une balance exacte et sensible et d'un grand nombre de petits poids égaux, en déterminant le nombre de ces poids nécessaire pour tenir ces masses en équilibre.

La densité d'un corps dépend du nombre de ses points matériels renfermés sous un volume donné; elle est donc proportionnelle au rapport de la masse au volume. Une substance qui n'aurait point de pores aurait la plus grande densité possible en lui comparant la densité des autres corps, on aurait la quantité de matière qu'ils renferment. Mais, ne connaissant point de substances semblables, nous ne pouvons avoir que les densités relatives des corps. Ces densités sont en raison des poids sous un même volume, puisque les poids sont proportionnels aux masses; en prenant ainsi pour unité la densité d'une substance quelconque, à une température constante, par exemple, le maximum de densité de l'eau distillée, la densité d'un corps sera le rapport de son poids à celui d'un pareil volume d'eau réduite à ce maximum. Ce rapport est ce que l'on nomme pesanteur spécifique.

Tout cela semble supposer que la matière est homogène et que les corps ne different que par la figure et la grandeur de leurs pores et de leurs molécules intégrantes. Il est cependant possible qu'il y ait des différences essentielles dans la nature même de ces molécules, et il ne répugne point au peu de notions que nous avons de la matière de supposer l'espace céleste plein d'un fluide dénué de pores, et cependant tel qu'il n'oppose qu'une résistance insensible aux mouvements planétaires. On pourrait ainsi concilier l'inaltérabilité de ces mouvements, prouvée par les phénomènes, avec l'opinion de ceux qui regardent le vide comme impossible. Mais cela est indifférent à la Mécanique, qui ne considère dans les corps que l'étendue et le mouvement. On peut alors, sans craindre aucune erreur, admettre l'homogénéité des éléments de la matière, pourvu que l'on entende par masses égales des masses qui, animées de vitesses égales et directement contraires, se font équilibre.

Dans la théorie de l'équilibre et du mouvement des corps, on fait abstraction du nombre et de la figure des pores dont ils sont parsemés. On peut avoir égard à la différence de leurs densités respectives, en les supposant formés de points matériels plus ou moins denses, parfaitement libres dans les fluides, unis entre eux par des droites sans masse, inflexibles dans les corps durs, flexibles et extensibles dans les corps élastiques et mous. Il est clair que, dans ces suppositions, les corps offriraient les apparences qu'ils nous présentent.

Les conditions de l'équilibre d'un système de corps peuvent toujours être déterminées par la loi de la composition des forces, exposée dans le Chapitre Ier de ce Livre. Car on peut concevoir la force dont chaque point matériel est animé appliquée au point de sa direction où vont concourir les forces qui la détruisent, ou qui, en se composant avec elle, forment une résultante qui, dans le cas de l'équilibre, est anéantie par les points fixes du système. Considérons, par exemple, deux points matériels attachés aux extrémités d'un levier inflexible, et supposons ces points sollicités par des forces dont les directions soient dans un plan passant par le levier. En concevant ces forces réunies au point de concours de leurs directions, leur résultante doit, pour l'équilibre, passer par le point d'appui qui peut seul la détruire, et, suivant la loi de la composition des forces, les deux composantes doivent être alors réciproques aux perpendiculaires menées du point d'appui sur leurs directions.

Si l'on imagine deux corps pesants attachés aux extrémités d'un levier inflexible, dont la masse soit supposée infiniment petite par rapport à celle des corps, on pourra concevoir les directions parallèles de la pesanteur réunies à une distance infinie; dans ce cas, les forces dont chaque corps pesant est animé ou, ce qui revient au même, leurs poids doivent, pour l'équilibre, être réciproques aux perpendiculaires menées du point d'appui sur les directions de ces forces; ces perpendiculaires sont proportionnelles aux bras du levier; ainsi les poids de deux corps en équilibre sont réciproques aux bras du levier auquel ils sont

attachés.

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