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CHAPITRE V.

DU MOUVEMENT D'UN SYSTÈME DE CORPS.

Considérons d'abord l'action de deux points matériels de masses différentes, et qui, mus sur une même droite, viennent à se rencontrer. On peut concevoir, immédiatement avant le choc, leurs mouvements décomposés de manière qu'ils aient une vitesse commune et deux vitesses contraires telles qu'en vertu d'elles seules ils se feraient mutuellement équilibre. La vitesse commune aux deux points n'est pas altérée par leur action mutuelle; cette vitesse doit donc subsister après le choc. Pour la déterminer, nous observerons que la quantité de mouvement des deux points en vertu de cette commune vitesse, plus la somme des quantités de mouvement dues aux vitesses détruites, représente la somme des quantités de mouvement avant le choc, pourvu que l'on prenne avec des signes contraires les quantités de mouvement dues. aux vitesses contraires; mais, par la condition de l'équilibre, la somme des quantités de mouvement dues aux vitesses détruites est nulle; la quantité de mouvement due à la vitesse commune est donc égale à celle qui existait primitivement dans les deux points; par conséquent, cette vitesse est égale à la somme des quantités de mouvement divisée par la somme des masses.

Le choc de deux points matériels est purement idéal; mais il est facile d'y ramener celui de deux corps quelconques, en observant que, si ces corps se choquent suivant une droite passant par leurs centres de gravité et perpendiculaire à leurs surfaces de contact, ils agissent l'un sur l'autre comme si leurs masses étaient réunies à ces centres; le mouvement se communique donc alors entre eux comme entre deux

points matériels dont les masses seraient respectivement égales à ces

corps.

La démonstration précédente suppose qu'après le choc les deux corps doivent avoir la même vitesse. On conçoit que cela doit être pour les corps mous dans lesquels la communication du mouvement a lieu successivement et par nuances insensibles; car il est visible que, dès l'instant où le corps choqué a la même vitesse que le corps choquant, toute action cesse entre eux. Mais entre deux corps d'une dureté absolue le choc est instantané, et il ne parait pas nécessaire qu'après leur vitesse soit la même : leur impénétrabilité mutuelle exige seulement que la vitesse du corps choquant soit la plus petite; d'ailleurs elle est indéterminée. Cette indétermination prouve l'absurdité de l'hypothèse d'une dureté absolue. En effet, dans la nature, les corps les plus durs, s'ils ne sont pas élastiques, ont une mollesse imperceptible, qui rend leur action mutuelle successive, quoique sa durée soit insensible.

Quand les corps sont parfaitement élastiques, il faut, pour avoir leur vitesse après le choc, ajouter ou retrancher, de la vitesse commune qu'ils prendraient s'ils étaient sans ressort, la vitesse qu'ils acquerraient ou qu'ils perdraient dans cette hypothèse; car l'élasticité parfaite double ces effets, par le rétablissement des ressorts que le choc comprime; on aura donc la vitesse de chaque corps après le choc, en retranchant sa vitesse avant le choc du double de cette vitesse com

mune.

De là il est aisé de conclure que la somme des produits de chaque masse par le carré de sa vitesse est la même avant et après le choc des deux corps, ce qui a lieu généralement dans le choc d'un nombre quelconque de corps parfaitement élastiques, de quelque manière qu'ils agissent les uns sur les autres.

Telles sont les lois de la communication du mouvement, lois que l'expérience confirme, et qui dérivent mathématiquement des deux lois fondamentales du mouvement que nous avons exposées dans le Chapitre II de ce Livre. Plusieurs philosophes ont essayé de les déterminer par la considération des causes finales. Descartes, persuadé que

la quantité de mouvement devait se conserver toujours la même dans l'univers, sans égard à sa direction, a déduit de cette fausse hypothèse de fausses lois de la communication du mouvement, qui sont un exemple remarquable des erreurs auxquelles on s'expose en cherchant à deviner les lois de la nature par les vues qu'on lui suppose.

Lorsqu'un corps reçoit une impulsion suivant une direction qui passe par son centre de gravité, toutes ses parties se meuvent avec une égale vitesse. Si cette direction passe à côté de ce point, les diverses parties du corps ont des vitesses inégales, et de cette inégalité résulte un mouvement de rotation du corps autour de son centre de gravité, en même temps que ce centre est transporté avec la vitesse qu'il aurait prise si la direction de l'impulsion eût passé par ce point. Ce cas est celui de la Terre et des planètes. Ainsi, pour expliquer le double mouvement de rotation et de translation de la Terre, il suffit de supposer qu'elle a reçu primitivement une impulsion dont la direction a passé à une petite distance de son centre de gravité, distance qui, dans l'hypothèse de l'homogénéité de cette planète, est à peu près la cent soixantième partie de son rayon. Il est infiniment peu probable que la projection primitive des planètes, des satellites et des comètes ait passé exactement par leurs centres de gravité : tous ces corps doivent donc tourner sur eux-mêmes. Par une raison semblable, le Soleil, qui tourne sur lui-même, doit avoir reçu une impulsion, qui, n'ayant point passé par son centre de gravité, le transporte dans l'espace, avec le système planétaire, à moins qu'une impulsion dans un sens contraire n'ait anéanti ce mouvement, ce qui n'est pas vraisemblable.

L'impulsion donnée à une sphère homogène, suivant une direction qui ne passe point par son centre, la fait tourner constamment autour du diamètre perpendiculaire au plan mené par son centre et par la direction de la force imprimée. De nouvelles forces qui sollicitent tous ses points et dont la résultante passe par son centre n'altèrent point le parallélisme de son axe de rotation. C'est ainsi que l'axe de la Terre reste toujours à très peu près parallèle à lui-même dans sa révolution autour du Soleil, sans qu'il soit nécessaire de supposer avec Copernic

un mouvement annuel des pôles de la Terre autour de ceux de l'écliptique.

Si le corps a une figure quelconque, son axe de rotation peut varier à chaque instant; la recherche de ces variations, quelles que soient les forces qui agissent sur le corps, est le problème le plus intéressant de la Mécanique des corps durs, par ses rapports avec la précession des équinoxes et avec la libration de la Lune. En le résolvant, on a été conduit à ce résultat curieux et très utile, savoir, que dans tout corps il existe trois axes perpendiculaires entre eux, passant par son centre de gravité, et autour desquels il peut tourner d'une manière uniforme et invariable, quand il n'est point sollicité par des forces étrangères. Ces axes ont été, pour cela, nommés axes principaux de rotation. Ils ont cette propriété, que la somme des produits de chaque molécule du corps par le carré de sa distance à l'axe est un maximum par rapport à deux de ces axes, et un minimum par rapport au troisième ('). Si l'on conçoit le corps tournant autour d'un axe fort peu incliné à l'un ou à l'autre des deux premiers, l'axe instantané de rotation du corps s'en écartera toujours d'une quantité très petite : ainsi la rotation est stable relativement à ces deux premiers axes; elle ne l'est pas relativement au troisième, et pour peu que l'axe instantané de rotation s'en écarte, il fera autour de lui de grandes oscillations.

Un corps ou un système de corps pesants, de figure quelconque, oscillant autour d'un axe fixe et horizontal, forme un pendule composé. Il n'en existe point d'autres dans la nature, et les pendules simples dont nous avons parlé ci-dessus ne sont que de purs concepts géométriques propres à simplifier les objets. Il est facile d'y rapporter les pendules composés dont tous les points sont attachés fixement ensemble. Si l'on multiplie la longueur du pendule simple, dont les oscillations sont de même durée que celle du pendule composé, par la masse de ce dernier pendule et par la distance de son centre de gravité à l'axe d'oscillation, le produit sera égal à la somme des produits de chaque molé

(1) Il y a dans cette phrase une inexactitude de rédaction que le lecteur corrigera aisément. V. P.

cule du pendule composé par le carré de sa distance au même axe. C'est au moyen de cette règle, trouvée par Huygens, que les expériences sur les pendules composés ont fait connaître la longueur du pendule simple qui bat les secondes.

Imaginons un pendule faisant de très petites oscillations dans un même plan, et supposons qu'au moment où il est le plus éloigné de la verticale, on lui imprime une petite force perpendiculaire au plan de son mouvement; il décrira une ellipse autour de la verticale. Pour se représenter son mouvement, on peut concevoir un pendule fictif qui continue d'osciller comme l'eût fait le pendule réel sans la nouvelle force qui a été imprimée, tandis que ce pendule réel oscille, en vertu de cette force, de chaque côté du pendule idéal comme si ce pendule fictif était immobile et vertical. Ainsi le mouvement du pendule réel est le résultat de deux oscillations simples, coexistantes et perpendiculaires l'une à l'autre.

Cette manière d'envisager les petites oscillations des corps peut être étendue à un système quelconque. Si l'on suppose le système dérangé de son état d'équilibre par de très petites impulsions, et qu'ensuite on vienne à lui en donner de nouvelles, il oscillera, par rapport aux états successifs qu'il aurait pris en vertu des premières impulsions, de la même manière qu'il oscillerait par rapport à son état d'équilibre, si les nouvelles impulsions lui étaient seules imprimées dans cet état. Les oscillations très petites d'un système de corps, quelque composées qu'elles soient, peuvent donc être considérées comme étant formées d'oscillations simples, parfaitement semblables à celle du pendule. En effet, si l'on conçoit le système primitivement en repos et très peu dérangé de son état d'équilibre, en sorte que la force qui sollicite chaque corps tende à le ramener au point qu'il occuperait dans cet état, et, de plus, soit proportionnelle à la distance du corps à ce point, il est clair que cela aura lieu pendant l'oscillation du système, et qu'à chaque instant les vitesses des différents corps seront proportionnelles à leurs distances à la position d'équilibre; ils arriveront donc tous au même instant à cette position, et ils oscilleront de la même manière

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