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CHAPITRE IV.

DES PERTURBATIONS DU MOUVEMENT ELLIPTIQUE DES COMÈTES.

L'action planétaire produit, dans le mouvement des comètes, des inégalités principalement sensibles sur les intervalles de leurs retours au périhélie. Halley ayant remarqué que les éléments des orbites des comètes observées en 1531, 1607 et 1682 étaient à fort peu près les mêmes, il en conclut qu'ils appartenaient à la même comète, qui, dans l'espace de 151 ans, avait fait deux révolutions. A la vérité, la durée de sa révolution a été de treize mois plus longue de 1531 à 1607 que de 1607 à 1682; mais ce grand astronome crut avec raison que l'attraction des planètes, et principalement celle de Jupiter et de Saturne, avait pu occasionner cette différence, et d'après une estime vague de cette action pendant le cours de la période suivante, il jugea qu'elle devait retarder le prochain retour de la comète, et il le fixa à la fin de 1758 ou au commencement de 1759. Cette annonce était trop importante par elle-même, elle était liée trop intimement à la théorie de la pesanteur universelle, dont les géomètres vers le milieu du dernier siècle s'occupaient à étendre les applications, pour ne pas exciter la curiosité de tous ceux qui s'intéressaient au progrès des sciences, et en particulier d'une théorie qui déjà s'accordait avec un grand nombre de phénomènes. Les astronomes, incertains de l'époque à laquelle la comète devait reparaitre, la cherchèrent dès l'année 1757 et Clairaut, qui l'un des premiers avait résolu le problème des trois corps, appliqua sa solution à la recherche des altérations que le mouvement de la comète avait éprouvées par l'action de Jupiter et de

Saturne. Le 14 novembre 1758, il annonça à l'Académie des Sciences que la durée du retour de la comète à son périhélie serait d'environ 618 jours plus longue dans la période actuelle que dans la précédente, et qu'en conséquence la comète passerait à son périhélie vers le milieu d'avril 1759. Il observa en même temps que les petites quantités négligées dans ses approximations pouvaient avancer ou reculer ce terme d'un mois : il remarqua d'ailleurs « qu'un corps qui passe dans des régions aussi éloignées, et qui échappe à nos yeux pendant des intervalles aussi longs, pourrait être soumis à des forces totalement inconnues, telles que l'action des autres comètes, ou même de quelque planète toujours trop distante du Soleil, pour être jamais aperçue ». Le géomètre eut la satisfaction de voir sa prédiction accomplie la comète passa au périhélie le 12 mars 1759, dans les limites des erreurs dont il croyait son résultat susceptible. Après une nouvelle revision de ses calculs, Clairaut a fixé ce passage au 4 avril, et il l'aurait avancé jusqu'au 24 mars, c'est-à-dire à douze jours seulement de distance de l'observation, s'il eût employé la valeur de la masse de Saturne donnée dans le Chapitre précédent. Cette différence paraîtra bien petite, si l'on considère le grand nombre des quantités négligées et l'influence qu'a pu avoir la planète Uranus, dont l'existence, au temps de Clairaut, était inconnue.

Remarquons, à l'avantage des progrès de l'esprit humain, que cette comète, qui dans le dernier siècle a excité le plus vif intérêt parmi les géomètres et les astronomes, avait été vue d'une manière bien différente, quatre révolutions auparavant, en 1456. La longue queue qu'elle traînait après elle répandit la terreur dans l'Europe, déjà consternée par les succès rapides des Turcs, qui venaient de renverser le Bas-Empire, et le pape Calixte ordonna des prières publiques, dans lesquelles on conjurait la comète et les Turcs. On était loin de penser, dans ces temps d'ignorance, que la nature obéit toujours à des lois immuables. Suivant que les phénomènes arrivaient et se succédaient avec régularité ou sans ordre apparent, on les faisait dépendre des causes finales ou du hasard, et lorsqu'ils offraient quelque chose

OEuvres de L. VI.

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d'extraordinaire et semblaient contrarier l'ordre naturel, on les regardait comme autant de signes de la colère céleste.

Aux frayeurs qu'inspirait alors l'apparition des comètes a succédé la crainte que, dans le grand nombre de celles qui traversent dans tous les sens le système planétaire, l'une d'elles ne bouleverse la Terre. Elles passent si rapidement près de nous que les effets de leur attraction ne sont point à redouter; ce n'est qu'en choquant la Terre qu'elles peuvent y produire de funestes ravages. Mais ce choc, quoique possible, est si peu vraisemblable dans le cours d'un siècle, il faudrait un hasard si extraordinaire pour la rencontre de deux corps aussi petits relativement à l'immensité de l'espace dans lequel ils se meuvent, que l'on ne peut concevoir à cet égard aucune crainte raisonnable. Cependant la petite probabilité d'une pareille rencontre peut, en s'accumulant pendant une longue suite de siècles, devenir très grande. Il est facile de se représenter les effets de ce choc sur la Terre. L'axe et le mouvement de rotation changés, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, une grande partie des hommes et des animaux noyés dans ce déluge universel ou détruits par la violente secousse imprimée au globe terrestre, des espèces entières anéanties, tous les monuments de l'industrie humaine renversés, tels sont les désastres que le choc d'une comète a dù produire, si sa masse a été comparable à celle de la Terre. On voit alors pourquoi l'Océan a recouvert de hautes montagnes, sur lesquelles il a laissé des marques incontestables de son séjour, on voit comment les animaux et les plantes du Midi ont pu exister dans les climats du Nord, où l'on retrouve leurs dépouilles et leurs empreintes; enfin on explique la nouveauté du monde moral, dont les monuments certains ne remontent pas au delà de cinq mille ans. L'espèce humaine réduite à un petit nombre d'individus et à l'état le plus déplorable, uniquement occupée pendant très longtemps du soin de se conserver, a dû perdre entièrement le souvenir des sciences et des arts, et quand les progrès de la civilisation en ont fait sentir de nouveau les besoins, il a fallu tout recommencer, comme si les hommes eussent été placés nouvellement sur

la Terre. Quoi qu'il en soit de cette cause assignée par quelques philosophes à ces phénomènes, je le répète, on doit être rassuré sur un aussi terrible événement pendant le court intervalle de la vie, d'autant plus qu'il parait que les masses des comètes sont d'une petitesse extrême, et qu'ainsi leur choc ne produirait que des révolutions locales. Mais l'homme est tellement disposé à recevoir l'impression de la crainte que l'on a vu, en 1773, la plus vive frayeur se répandre dans Paris et de là se communiquer dans toute la France, sur la simple annonce d'un Mémoire dans lequel Lalande déterminait celles des comètes observées qui peuvent le plus approcher de la Terre tant il est vrai que les erreurs, les superstitions, les vaines terreurs et tous les maux qu'entraîne l'ignorance se reproduiraient promptement, si la lumière des sciences venait à s'éteindre.

Les observations de la comète aperçue la première, en 1770, ont conduit les astronomes à un résultat très singulier. Après avoir inutilement tenté d'assujettir ces observations aux lois du mouvement parabolique, qui jusqu'alors avait représenté à fort peu près celui des comètes, ils ont enfin reconnu qu'elle a décrit pendant son apparition une ellipse, dans laquelle la durée de sa révolution n'a pas surpassé six années. Lexell, qui le premier fit cette curieuse remarque, satisfit de cette manière à l'ensemble des observations de la comète. Mais une aussi courte durée ne pouvait être admise que d'après des preuves incontestables, fondées sur une discussion nouvelle et approfondie des observations de la comète et des positions des étoiles auxquelles on l'a comparée. L'Institut proposa donc cette discussion pour sujet d'un prix, que M. Burckhardt a remporté, et ses recherches l'ont conduit à fort peu près au résultat de Lexell, sur lequel il ne doit maintenant rester aucun doute. Une comète dont la révolution est aussi prompte devrait souvent reparaître; cependant elle n'avait point été observée avant 1770, et depuis on ne l'a point revue. Pour expliquer ce double phénomène, Lexell a remarqué qu'en 1767 et 1779 cette comète a fort approché de Jupiter dont l'attraction puissante a diminué en 1767 la distance périhélie de son orbite, de manière à rendre cet astre visible

en 1770, d'invisible qu'il était auparavant, et ensuite a augmenté en 1779 cette même distance, au point de rendre la comète pour toujours invisible. Mais il fallait démontrer la possibilité de ces deux effets de l'attraction de Jupiter, en faisant voir que les éléments de l'ellipse décrite par la comète pouvaient y satisfaire. C'est ce que j'ai fait, en soumettant cet objet à l'Analyse, et par ce moyen l'explication précédente est devenue vraisemblable.

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De toutes les comètes observées, celle-ci a le plus approché de la Terre, qui, par conséquent, aurait dù en éprouver une action sensible, si la masse de cet astre était comparable à celle du globe terrestre. En supposant ces deux masses égales, l'action de la comète aurait accru de 11612 la durée de l'année sidérale. Nous sommes certains, par les nombreuses comparaisons des observations que MM. Delambre et Burckhardt ont faites pour construire leurs Tables du Soleil, que, depuis 1770, l'année sidérale n'a pas augmenté de 3'; la masse de la comète n'est donc pas de celle de la Terre, et si l'on considère que cet astre, en 1767 et 1779, a traversé le système des satellites de Jupiter sans y causer le plus léger trouble, on verra qu'elle est moindre encore. La petitesse des masses des comètes est généralement indiquée par leur influence insensible sur les mouvements du système planétaire. Ces mouvements sont représentés par la seule action des corps de ce système avec une précision telle qu'on peut attribuer aux seules erreurs des approximations et des observations les petits écarts de nos meilleures Tables. Mais des observations très exactes, continuées pendant plusieurs siècles et comparées à la théorie, peuvent seules éclairer ce point important du Système du monde.

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