CHAPITRE XI. De la suppression des Jésuites dans toute la catholicité. 1. Il ne restait plus, pour consommer l'entière abolition de la Société des jésuites, que d'y faire intervenir le Saint-Siége, par une bulle qui eût force de loi dans toute l'Église. Clément XIII résista long-temps à la demande qui lui en fut faite par les cours de Bourbon et par celle de Bragance; mais enfin toute sa répugnance céda à la crainte de les porter à quelque mesure qui aurait pu entraîner un schisme. Convaincu qu'une opération de cette nature avait besoin d'être sérieusement méditée, il indiqua un consistoire pour le 3 février 1769, dans lequel il se proposait d'annoncer aux cardinaux sa résolution de satisfaire ces cours; mais dans la nuit qui précéda le jour indiqué, il mourut subitement contra omnium expectationem, dit Clément XIV. : Son successeur, pressé par les mêmes cours, ne voulut rien précipiter dans une affaire de cette importance. Il prit le terme de quatre an nées pour faire les informations nécessaires, pour examiner avec maturité, discuter, délibérer avec prudence, sur les motifs, les inconvéniens et les résultats d'une telle démarche. Lorsque les souverains le pressaient de hâter sa décision, il leur répondait : « Laissez-moi le loisir d'exa» miner cette importante affaire; je suis le père » commun des fidèles, et surtout du clergé ; je » ne puis me résoudre à détruire un Ordre cé, » lèbre, sans en avoir des raisons qui puissent » me justifier aux yeux de tous les fidèles, et » surtout aux yeux de Dieu (1), » Il établit une congrégation de cinq cardinaux, de quelques évêques, et de plusieurs canonistes, pour examiner, dans le plus grand détail, l'origine, les progrès et l'état actuel de la Société des jésuites. Le résultat du travail de cette congrégation fut que la Société avait été, dès sa naissance, en proie à toute sorte de dissensions intestines; qu'elle s'était mise perpétuellement en opposition avec les autres ordres religieux, avec le clergé séculier, et même avec les gouvernemens; que les troubles intérieurs venaient du pouvoir exorbitant du général et des vices du régime; que ses querelles au dehors avaient (1) Mémoires pour servir à l'Histoire de Clém. XIV, Bruxelles, 1781. leur source dans le système particulier de doctrine qu'elle s'était formée, et de ses procédés hautains envers les autres écoles; dans l'abus qu'elle faisait de ses priviléges au préjudice de la juridiction des pasteurs; que, de toutes ces causes, on avait vu éclater des accusations contre son esprit d'intolérance et de domination, d'où étaient provenues des disputes propres à compromettre la paix et la tranquillité de la république chré tienne. A l'appui de tant et de si graves inculpations, Clément XIV cite des faits nombreux et incontestables. Le Saint-Siége, dit-il, se vit assailli de plaintes, spécialement sous Paul IV, Pie V, Sixte V. Le roi Philippe II, entre autres, fit à ce dernier pape les représentations les plus fortes, tant en son nom qu'au nom des grands inquisiteurs. Il demanda un visiteur pour vérifier les faits sur les lieux, et réformer les abus. La mort du pontife fit évanouir les espérances qu'on avait conçues de son plan de réforme. Sous Grégoire XIII, les jésuites eurent le crédit de faire renouveler les exemptions et les priviléges qui avaient donné lieu aux plaintes du roi d'Espagne, et de faire imposer silence à tous les plaignans, sous peine d'excommunication. Les réclamations devenant de jour en jour plus générales, et prenant un caractère plus grave, on dénonça leur doctrine comme contraire à la foi et à la morale. Différens princes, alarmés de leur ambition, et inquiets des troubles que leurs disputes bruyantes avec les autres ordres causaient dans l'État, furent obligés de prendre contre eux des partis rigoureux. Le Saint-Siége se vit si fatigué par tant de plaintes sans cesse renaissantes, que Paul V ne consentit à conserver Ja Société dans ses priviléges, qu'à condition que les jésuites contracteraient l'engagement de ne plus s'immiscer dans les affaires séculières : précaution illusoire qui né les empêchá pas de continuer les mêmes intrigues politiques en Europe, en Asie et en Amérique. Les choses allèrent au point, continue la bulle, que le pape Innocent XI, convaincu qu'il n'y avait pas d'espoir de les soumettre à aucune réforme, leur défendit de recevoir des novices. Innocent XIII leur en renouvela la menace; mais ils trouvèrent toujours les moyens de se soustraire à toutes les injonctions de ce genre, sans rien changer à leur plan de conduite. Benoît XIV eut beau nommer un commissaire pour faire la visite de leurs maisons de Portugal, ils déjouerent encore cette mesure; enfin, sous Clément XIII, au moment où l'orage était sur le point d'éclater, ils eurent l'adresse d'obtenir de ce pape, ou plutôt d'en extorquer, extortis po tiùs quam obtentis, des lettres d'approbation de l'Institut, et d'y faire insérer un magnifique éloge de l'Ordre. Ce fut dans ces circonstances que les princes, dont le dévouement à la Société était héréditaire dans leurs familles, se virent réduits, après les avoir bannis de leurs états, à solliciter du Saint-Siége son entière abolition, persuadés qu'elle ne cesserait d'être un dangereux instrument de désordre, tant qu'elle subsisterait dans quelque coin de l'univers.. Telles sont les considérations d'après lesquelles Clément XIV prononça solennellement, par sa bulle Dominus ac Redemptor, du 8 mai 1773, l'extinction de la Société des jésuites dans toute la catholicité. On assure qu'après l'avoir signée, il dit, en s'appuyant sur son bureau : « La voilà » donc, cette suppression; je ne m'en repens » pas. J'ai cru devoir la faire; et je la ferais >> encore, si elle n'était pas faite. Je ne faite. Je ne m'y suis » déterminé qu'après avoir tout examiné et bien pesé Ma questa suppressione ci darà la » morte, » Clément XIV déclare, dans le préambule, que le devoir de sa place l'obligeait d'user de tous les moyens possibles pour conserver l'union du Saint-Siége avec les puissances, et pour procurer Ja paix de l'Église, en détruisant tout ce qui pouvait y porter atteinte; qu'il eût été impossi |