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le P. Lainez, successeur de saint Ignace, lui eût inspiré un esprit étranger à l'esprit de sa première institution, et qu'il lui eût fait prendre une direction différente de celle qu'il avait reçue de son fondateur, il ne s'est guère passé d'événement un peu considérable dans l'Église, ni même dans l'État, où les jésuites n'aient été signalés comme des agens très actifs, sans avoir jamais pu se justifier d'une manière satisfaisante des torts qui leur ont été gé néralement reprochés. Ils auraient évité ce grave reproche, s'ils avaient pris pour règle de leur conduite la maxime de saint Paul : « Que celui>> là qui s'est consacré à Dieu, ne s'immisce point » dans les affaires du siècle. » Ils y étaient d'autant plus obligés, que leur chapitre général de 1606, sur les remontrances du pape Paul V avait fait un décret par lequel ils reconnurent que, «< sans aller contre l'esprit de leur institut, ils ne pouvaient, sous aucun prétexte, se mêler des affaires du monde, quand même ils y seraient invités. » Mais, dit un de leurs plus zélés panégyristes, ils oublièrent trop souvent les fonctions » dans lesquelles un institut religieux doit se

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>> renfermer, et ils portèrent leur inquiète acti>>vité dans toutes les affaires publiques (1). »

Au seizième siècle, ils se montrèrent les plus ardens promoteurs de la ligue, dont l'objet était d'exclure Henri IV du trône, comme au dixhuitième, ils se trouvèrent impliqués dans les troubles de la Régence, contre le gouvernement du duc d'Orléans. On les vit figurer, plus ou moins ostensiblement, dans la conjuration de Cellamare, et dans les intrigues de la cour de Sceaux. C'était dans les intérêts des princes légitimés que le P. Daniel, pour complaire à Mme. de Maintenon, avait fait ressortir avec une certaine affectation, dans son histoire de France, tout ce qui pouvait favoriser les prétentions des enfans naturels de Louis XIV à la couronne, au préjudice des droits des princes légitimes. Plus tard, et même après la suppression de la Société qui les avait séparés sans les désunir, ils reparurent dans les agitations de la Bretagne, dans

(1) Hist. de Bossuet, par le card. de Bausset, tom. 1, pag. 189.

la révolution parlementaire de 1771, dont l'auteur avait un de leurs anciens confrères pour secrétaire intime. Or, à quel autre corps religieux aurait-on pu faire les mêmes reproches? Ils avaient bien cherché à compromettre la modeste Société de Port-Royal dans la guerre de la Fronde; mais ils échouérent dans cette entreprise.

Leur conduite dans les affaires ecclésiastiques porte le même caractère, et eut des suites plus funestes par les guerres intestines qu'ils excitèrent dans les écoles; par l'opiniâtreté avec laquelle ils les soutinrent; par la nouveauté de leur système théologique dont aucune considération ne put les faire départir; par leurs attaques et leurs vexations contre ceux qui ne goûtaient pas leurs innovations. Ils furent partout les assaillans dans ces scandaleuses disputes; et dans tous les temps ils invoquèrent l'intervention des puissances, là où la force des argumens leur manquait. Ce fut sous leurs coups que périt la célèbre Société dont nous venons de parler, l'asile des vertus et des talens, l'école du bon goût

et de la bonne littérature, l'un des principaux boulevards de l'Église contre les hérésies des derniers siècles : ils lui déclarèrent une guerre à mort, la lui firent avec acharnement; et leur rage ne fut assouvie que par son entière destruction, qui n'en laissa pas subsister pierre sur pierre.

Placés à la source de toutes les faveurs, dans la cour des princes dont ils avaient accaparé les consciences, ils eurent l'art de se faire un titre d'honneur et un moyen de puissance d'une position qui devait son origine à leur déloyauté et à la défiance qu'ils avaient inspirée. Tout en professant une doctrine qui portait atteinte à la sûreté des rois, et qui les effrayait jusque dans le sein de leurs palais, ils surent les intéresser à leur ambition. Ils sont même parvenus jusqu'à leur persuader que le salut de leurs sujets et celui de leur propre personne dépendaient de la conservation de ces dangereux serviteurs. Dévoués à la cour de Rome par un vœu spécial qui les mettait à la disposition du pape, ils firent accumuler sur leur Ordre des priviléges immenses qui

n'étaient distribués sur les autres Ordres qu'avec une certaine mesure; et tandis qu'ils proclamaient ses décrets en Europe comme émanés d'une autorité infaillible, pour s'en faire des instrumens de persécution contre leurs adversaires, ils se jouaient, dans les autres parties du monde, de ceux que le Saint-Siége lançait contre leur tolérance pour les cultes idolâtres, autorisés par leurs missionnaires.

Souples ou hautains, selon les circonstances, envers les évêques qui entreprenaient de les contenir dans une juste subordination, ils savaient au besoin intimider les uns par leur crédit dans les cours, ou paralyser le zèle des autres par des soumissions hypocrites; et ils réussirent, au bout d'une lutte longue et scandaleuse, à les attacher à leur char, en leur jetant l'amorce d'une hérésie imaginaire, pour les détourner de s'occuper du relâchement des casuistes de la Société. C'est par ce manége qu'ils étaient parvenus à changer les dogmes en opinions et les opinions en dogmes, à populariser le berruyanisme que le savant Tournemine ne cessait de leur dénoncer comme

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