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Rosback. A la manière dont ils contemplaient nos monumens, on eût dit que toute la splendeur de Paris s'était formée de leurs dépouilles. Ils roulaient leurs canons en triomphe, prenaient plaisir à les braquer autour du château des Tuileries, du Louvre et du Luxembourg, et les mêches fumantes qu'ils tenaient à la main semblaient tout menacer d'une explosion prochaine. Le général Blücher se piquait de répéter sur sa figure, naturellement sombre, toutes les fureurs de sa nation. Le duc de Wellington se montrait flegmatique. Ce n'était point un ennemi fougueux, ce n'était point un protecteur. Il tardait aux Parisiens de se voir défendus par leur roi contre des ennemis qui se souvenaient si peu du traité de la veille.

Le duc d'Otrante, président du gouvernement provisoire, comptait sur le succès des premières intelligences qu'il avait entretenues pendant les cent jours, soit avec le roi, soit avec son auguste frère, et sur la grandeur du service qu'il venait de rendre à la monarchie et à la capitale. Il avait demandé que le roi entrât à Paris avec la cocarde tricolore, en assurant que l'armée, tout à l'heure rebelle, reviendrait avec enthousiasme à un roi qui lui donnerait ce gage de ralliement, et

1815.

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Entrée du roi

à Paris.

qu'elle pourrait former encore une barrière contre l'insolente domination des étrangers. Mais c'était-là une concession qui répugnait à la dignité royale comme à toute saine politique. En changeant de couleurs, le roi semblait se déclarer vaincu par la rébellion, il excitait la colère des monarques étrangers et leur dangereux mépris.

Pendant deux jours le roi attendit à SaintDenis le moment de faire son entrée dans sa capitale, déjà occupée par les Anglais et les Prussiens, mais où le duc d'Otrante conservait encore le pouvoir civil. La puissance éphémère de Fouché fut assez forte pour empêcher de nombreux habitans de se porter au-devant du roi. Quelques volontaires royaux l'avaient fait, mais il leur fut défendu de repasser la barrière. Fouché agissait de concert avec les députés et les généraux qui avaient consenti à une capitulation. Enfin il leva tout obstacle. Le roi exigea que les étrangers ne fissent point partie de son cortége; ils lui donnèrent encore une fois ce gage de déférence. Le 8 juillet, dès le matin, quelques compagnies royalistes de la garde nationale fermèrent les deux chambres, d'après un ordre du roi. Quelques membres signèrent une protestation

qui resta déposée entre les mains de M. Lanjuinais, président de cette chambre. Les armées étrangères paraissaient garder une stricte neutralité. Cependant le même jour le roi était en marche. Le faubourg SaintDenis, par lequel il faisait son entrée, avait fourni beaucoup de fédérés bonapartistes. On craignait que, des fenêtres, la décharge d'une arme ou des pierres lancées sur une calèche

découverte ne portassent le coup le plus

exécrable et le plus fatal à la France. Le roi, à qui on représentait ce danger, répondit : Il y a un malheur que je ne connaîtrai jamais, c'est celui de craindre mon peuple. En s'offrant à tous les regards, il ne vit partout que des témoignages d'amour. Son aspect noble et serein épanouissait pour un moment des âmes comprimées. Les grenadiers de la garde nationale formaient la marche en dansant, plusieurs portaient des bouquets de fleurs au bout de leur fusil. Les lis reparaissaient de toutes parts. Un esprit de parti ou de légèreté s'efforça de continuer cette joie du moment, et, quand le joug étranger pesait sur nous avec une rudesse qui tendait chaque jour à s'accroître, on venait tous les soirs saluer le roi au château des Tuileries, l'appeler sur son balcon et

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Formation du ministère.

fouler les gazons par des danses et des jeux qui formaient un déplorable contraste avec les misères du jour, avec l'humiliation pré

sente.

Le roi avait renouvelé en partie son ministère. Ce n'était pas sans un amer regret qu'il s'était séparé de M. de Blacas, qui avait la plus haute part à sa faveur. M. de Talleyrand fut nommé président du conseil et garda le département des affaires étrangères. Il y avait un autre genre de dettes à acquitter envers le duc d'Otrante, auteur de la capitulation de Paris. Le roi éprouvait une mortelle répugnance à voir siéger dans son conseil un homme qui avait prononcé le vote régicide, et qui tout à l'heure encore voulait lui imposer des conditions peu honorables. Le duc de Wellington appuya fortement l'ambition d'un ministre qui se précipitait dans une situation fausse et révoltante. Obsédé des souvenirs de sa première vie politique, le duc d'Otrante regardait peut-être le pouvoir comme sa seule égide; mais au nom de qui allait-il l'exercer et contre qui allait-il en diriger les armes? Il avait demandé le ministère de l'intėrieur, il n'obtint que celui de la police. Le premier resta vacant; on dit qu'il fut

offert à M. le comte Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie, mais qui, né dans la Corse, avait siégé à l'assemblée législative parmi les derniers défenseurs de la cause royale. M. le baron Louis reprit le ministère des finances, où, par des actes d'une équité courageuse, il avait donné la plus heureuse impulsion au crédit public. M. Pasquier fut nommé garde des sceaux; le maréchal Gouvion-Saint-Cyr fut appelé à la guerre; M. de Jaucourt à la marine; le duc de Richelieu à la maison du roi, mais celui-ci ne voulut point s'asseoir dans un conseil où siégeait le duc d'Otrante; M. Decazes fut nommé préfet de police. Jamais un ministère, si ce n'est dans les jours qui précédèrent la catastrophe du 10 août, n'eut une existence plus courte, n'eut moins d'empire sur la France. Le but de ces hommes d'état fut évidemment conforme aux intentions que le roi avait manifestées dans la déclaration de Cambrai; mais leur modération se trouvait aux prises avec les passions fougueuses d'un parti qui ressaisissait la victoire. Une pensée les préoccupait; c'était celle de donner plus de force au sentiment de la légitimité. Plusieurs de ceux qu'ils appelèrent pour la défendre partagèrent trop peu leurs principes constitutionnels. D'ailleurs, un

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