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plaines de la Flandre, sur les bords du Rhin, de la Garonne, de la Charente, du Rhône; nous y retrouvons la petite culture, mais bien autrement riche et productive. Toutes les pratiques qui peuvent féconder la terre et multiplier les effets du travail y sont connues des plus petits cultivateurs et employées par eux, quelles que soient les avances qu'elles supposent. Sous leurs mains, des engrais abondants, recueillis à grands frais, renouvellent et accroissent incessamment la fertilité du sol, malgré l'activité de la production; les races de bestiaux sont supérieures, les récoltes magnifiques. Ici c'est le tabac, le lin, le colza, la garance, la betterave, ailleurs la vigne, l'olivier, le prunier, le mûrier, qui demandent pour prodiguer leurs trésors, un peuple de travailleurs industrieux. N'est-ce pas à la petite culture qu'on doit la plupart des produits maraîchers obtenus à force d'argent autour de Paris?

On a vu que, même en Angleterre, elle n'a pas tout à fait cédé le terrain. Tout cependant paraît contribuer à la proscrire; elle n'a pas, comme en France, le point d'appui de la petite propriété et de la division des capitaux ; elle a contre elle les théories des agronomes et le système général de culture. Depuis Arthur Young, elle est en baisse, et les progrès modernes de l'agriculture nationale ont été obtenus par des voies opposées. Elle persiste cependant, et tout porte à croire que, sur quelques points au moins, elle persistera. L'industrie des fromages, par exemple, s'en accommode parfaitement. C'est une industrie toute domestique : le soin de dix à douze vaches suffit pour occuper avec fruit une famille de cultivateurs qui se servent rarement de secours étrangers. Rien n'est charmant comme l'intérieur de ces hum

bles cottages, si propres, si bien tenus, où respirent la paix, le travail et la bonne conscience, et on aime à s'imaginer qu'ils ne sont pas menacés de périr.

Même dans les conditions les plus favorables à son développement, la grande culture a des bornes, posées par la nature même des choses. Les trop grandes fermes anglaises sont sujettes à des inconvénients reconnus, à moins qu'elles n'aient beaucoup de pâturages. Dès que les céréales font partie de l'exploitation, les distances à parcourir par les hommes, les chevaux et les instruments, même avec les moyens perfectionnés inventés de nos jours, deviennent des pertes notables de temps et de force. Un seul chef peut difficilement porter son attention sur tous les points à la fois. J'ai vu de ces fermes appartenant à de très-grands seigneurs, et conduites directement par leurs agents, qu'on appelle des fermes de réserve, home farms, et qui frappent l'imagination par leur caractère grandiose, mais où le gaspillage atteint aussi des proportions homériques. Les possesseurs attachent un orgueil héréditaire à ces gigantesques établissements, monuments de richesse et de puissance ; mais le plus souvent ils gagneraient beaucoup à les diviser pour les louer à de véritables fermiers.

Si la nécessité d'employer tous les jours un capital plus considérable à la culture, pour répondre par l'accroissement de la production à l'accroissement de la consommation, doit diminuer le nombre des petites fermes, elle ne peut manquer d'avoir aussi pour effet de réduire l'étendue des plus grandes. On commence à parler en Angleterre de 1,000 francs de capital d'exploitation par hectare, et ce n'est peut-être pas trop pour les procédés nouveaux que le progrès agricole suggère tous les jours.

Or, s'il est difficile à beaucoup de cultivateurs qui exploitent par eux-mêmes de fournir une pareille somme, il ne l'est pas moins, même en Angleterre, de trouver des entrepreneurs de culture qui aient un capital de plusieurs centaines de mille francs. Il est donc probable que le nombre des grandes et des petites fermes diminuera à la fois, et que les moyennes, celles de 50 à 100 hectares, 125 à 250 acres, les plus répandues déjà, se multiplieront. Cette dimension paraît en effet la meilleure pour le genre de culture le plus généralement adopté, et ce n'est pas là de la grande culture à proprement parler 1.

1 Le Cultivateur écossais dit ici en note que la meilleure espèce de fermes en Angleterre est celle qui comprend de 300 à 400 acres ou de 120 à 160 hectares. Je sais que cette opinion est généralement partagée par les agronomes anglais, mais outre qu'elle n'a rien de contraire à ma thèse, car une pareille dimension ne serait pas encore excessive, je prie de remarquer qu'elle n'est nullement inconciliable avec les termes dont je me suis servi. Je ne dis pas qu'une étendue de 50 à 100 hectares soit toujours ce qu'il y a de mieux, mais ce qui se rencontre le plus souvent et la moyenne dont on paraît le plus se rapprocher. Il y a en effet d'autres causes que celles tirées de la culture proprement dite, bien que celles-là soient les plus puissantes, qui agissent sur l'étendue moyenne des fermes. La répartition des capitaux parmi les fermiers en est une, et je persiste à douter qu'il y ait, même en Angleterre, beaucoup de fermiers assez riches pour aborder prudemment des exploitations de 150 à 200 hectares. Les faits traditionnels, beaucoup plus favorables que la théorie à la petite et à la moyenne culture, ont résisté jusqu'ici et résisteront probablement encore. Je ne suis pas d'ailleurs tout à fait convaincu que cette étendue de 120 à 160 hectares soit réellement la meilleure. Même avec un capital suffisant, c'est beaucoup; mais je ne veux pas soulever ici les questions de tout genre qui se rattachent à ce sujet et qui mériteraient un examen détaillé ; je n'ai entendu traiter qu'un point de fait.

Il est probable aussi qu'en France une révolution du même genre se produira, à mesure qu'il deviendra possible de consacrer à la culture un plus grand capital. Les petites exploitations disparaîtront là où elles supposent la pauvreté, et il s'en formera de nouvelles là où elles indiquent la richesse. En somme, l'étendue moyenne pourra être, sans inconvénient, inférieure de beaucoup à la moyenne anglaise. Dans l'organisation de la culture, comme dans celle de la propriété, une transformation radicale n'est pas à désirer. Encore un coup, là n'est pas la véritable question. Pourquoi la culture et la propriété sont-elles, non pas précisément plus grandes, mais plus riches et plus éclairées, en Angleterre qu'en France? Voilà ce qu'il faut rechercher.

CHAPITRE IX.

LA VIE RURALE.

Selon moi, cette richesse agricole dérive de trois causes principales. Celle qui se présente la première, et qui peut être considérée comme le principe des deux autres, est le goût de la portion la plus opulente et la plus influente de la nation pour la vie rurale.

Ce goût ne date pas d'hier; il remonte à toutes les origines historiques, et ne fait qu'un avec le caractère national. Saxons et Normands sont également enfants des forêts. Avec le génie del'indépendance individuelle, les races barbares dont le mélange a formé la nation anglaise avaient toutes l'instinct de la vie solitaire. Les peuples latins suivent d'autres idées et d'autres habitudes. Partout où l'influence du génie romain s'est conservée, en Italie, en Espagne, et jusqu'à un certain point en France, les villes l'ont de bonne heure emporté sur les campagnes. Les campagnes romaines avaient été abandonnées aux esclaves; tout ce qui aspirait à quelque distinction affluait vers la ville. Le nom seul de campagnard, villicus, était

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