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les Lothians. La pointe septentrionale de cette région est à six degrés de latitude au-dessous de Berwick, et sa pointe méridionale à la hauteur de Venise; le souffle ardent de l'air d'Italie arrive jusqu'à Lyon.

Des deux fractions de l'Irlande, celle du nord-ouest, qui embrasse un quart de l'île et qui comprend la province de Connaught avec les comtés adjacents de Donegal, de Clare et de Kerry, ressemble beaucoup au pays de Galles, et même, dans ses parties les plus mauvaises, à la haute Écosse. Il y a là encore 2 millions d'hectares disgraciés, dont l'aspect effrayant a donné naissance à ce proverbe national: Aller en enfer ou en Connaught. L'autre, celle du sud-est, beaucoup plus considérable, puisqu'elle embrasse les trois quarts de l'île et comprend les trois provinces de Leinster, d'Ulster et de Munster, c'està-dire environ 6 millions d'hectares, égale au moins l'Angleterre proprement dite en fertilité naturelle. Tout n'y est cependant pas également bon; l'humidité y est plus grande encore qu'en Angleterre. De grands marais tourbeux appelés bogs, couvrent un dizième environ de cette surface; plus d'un autre dizième est à déduire pour les montagnes et les lacs. En somme 5 millions d'hectares sur 8 sont seuls cultivés.

Déduction faite du nord-ouest que nous avons comparé à l'Angleterre, du centre et de l'est que nous avons comparés à l'Ecosse, la France ne nous offre plus que le midi à comparer à l'Irlande. Ce rapprochement se justifie à quelques égards, car la France du midi est à l'égard du nord un pays distinct et inférieur en richesse acquise, comme l'Irlande à l'égard de l'Angleterre ; mais là s'arrête l'analogie, car rien ne se ressemble moins sous tous les rapports. Le parallèle tourne, comme les précédents,

et plus qu'eux encore peut-être, en faveur de la France. Notre région méridionale s'étend de l'embouchure de la Garonne à celle du Var; elle embrasse une vingtaine de départements environ et 13 millions d'hectares, ce qui maintient la proportion : elle a aussi, dans les Pyrénées et les Cévennes, sa partie montagneuse; mais il y a déjà loin, comme fécondité, des montagnes de l'Hérault et du Gard, qui produisent la soie, et même des cantons pyrénéens, où la culture peut s'élever jusqu'au pied des neiges éternelles, aux glaciales aspérités du Connaught et du Donegal ; à mesure qu'on descend dans les plaines, la supériorité devient de plus en plus frappante, malgré les avantages naturels qui ont fait donner à l'Irlande ce surnom poétique : La plus belle fleur de la terre et la plus belle perle de la mer.

La plaine qui s'étend de Dublin à la baie de Galway, dans toute la largeur de l'Irlande, et qui fait l'orgueil de cette île, est dépassée en richesse comme en étendue par la magnifique vallée de la Garonne, un des plus beaux pays de culture de la terre. La vallée d'or, golden vale, dont se vante Limerick, les pâturages des bords du Shannon, les terres profondes si favorables à la production du lin des environs de Belfast, ont sans doute une grande valeur; mais les vignobles du Médoc, les sols du Comtat qui portent la garance, ceux du Languedoc où le froment et le maïs peuvent se succéder, ceux de la Provence où mûrissent l'olive et l'orange, valent plus encore. L'Irlande a sur l'Angleterre cet avantage qu'elle a moins d'argiles, de sables et de craies, et que le sol y est généralement de bonne qualité; mais le midi de la France a sur elle la supériorité de son ciel. Les bogs irlandais n'ont pas leur équivalent dans les landes marécageuses de la Gascogne et de la

Camargue, bien moins impropres qu'eux à la production.

Ainsi notre territoire l'emporte de tous points sur le territoire britannique, non-seulement en étendue, mais en fertilité. Notre région du nord-ouest vaut mieux que l'Angleterre et le pays de Galles, celle du centre et de l'est vaut mieux que l'Ecosse, celle du sud vaut mieux que l'Irlande.

Il y a déjà plus de soixante ans qu'Arthur Young, le grand agronome anglais, a reconnu cette supériorité de notre sol et de notre climat : « Je viens de passer en revue, dit-il à la fin de son Voyage agronomique en France, de 1787 à 1790, toutes les provinces de France, et je crois ce royaume supérieur à l'Angleterre en fait de sol. La proportion de mauvaises terres qui se trouvent en Angleterre, par rapport à la totalité du territoire, est plus grande qu'en France; il n'y a nulle part cette prodigieuse quantité de sable sec qu'on trouve dans les comtés de Norfolk et de Suffolk. Les marais, bruyères et landes, si communs en Bretagne, en Anjou, dans le Maine et dans la Guienne, sont beaucoup meilleurs que les nôtres. Les montagnes d'Ecosse et du pays de Galles ne sont pas comparables, en fait de sol, à celles des Pyrénées, de l'Auvergne, du Dauphiné, de la Provence et du Languedoc. Quant aux sols argileux, ils ne sont nulle part aussi tenaces qu'en Angleterre, et je n'ai pas rencontré en France d'argile semblable à celle de Sussex. » Le célèbre agronome anglais rend le même hommage au ciel de la France: Nous savons tirer parti de notre climat, dit-il avec orgueil, et les Français sont encore dans l'enfance sous ce rapport, mais quant aux propriétés intrinsèques des deux climats, il n'hésite pas à donner la préférence au nôtre : cette conviction se reproduit à chaque ligne de son livre.

Et cependant, malgré des exceptions de détail nombreuses sans doute, mais qui ne détruisent pas la règle, l'Angleterre, même avant 1848, était mieux cultivée et plus productive, à surface égale, que le nord-ouest de la France; la basse Écosse rivalisait au moins avec l'est, l'Irlande elle-même, la pauvre Irlande, était plus riche en produits que notre Midi. Il n'y a que la haute Écosse qui, comme région, soit dépassée par la région correspondante, et ce n'est pas la faute des hommes; encore est-il possible de trouver, hors du territoire continental, mais toujours dans un département français, l'île de Corse, une contrée comparable à la haute Ecosse pour la valeur actuelle de sa production, malgré l'immense disproportion la nature a mise entre leurs ressources, et ce que n'est pas la seule comparaison qu'il serait facile d'établir entre ces deux pays, tous deux d'un accès si rude, tous deux anciennement habités par une population indomptée de pâtres et de bandits.

Si la France est restée en arrière du Royaume-Uni, elle est bien en avant des autres nations du monde, excepté la Belgique et la haute Italie, qui ont sur elle des avantages naturels. Les causes de cette infériorité relative ne tiennent pas, d'ailleurs, à notre population agricole, la plus laborieuse, la plus intelligente et la plus économe qui existe peut-être. Ces causes sont multiples et profondes, je me propose de les rechercher; mais auparavant je dois prouver ce que je viens d'avancer. Je suis obligé d'entrer à cet effet dans quelques détails purement agricoles. Je dirai d'abord comment l'agriculture anglaise est plus riche que la nôtre; je me demanderai ensuite pourquoi.

CHAPITRE II.

LES MOUTONS.

Le trait le plus saillant de l'agriculture britannique comparée à la nôtre, c'est le nombre et la qualité de ses moutons. Il suffit de traverser, même en chemin de fer, un comté anglais pris au hasard, pour voir que l'Angleterre nourrit proportionnellement beaucoup plus de moutons que la France; il suffit de mesurer d'un coup d'œil un de ces animaux, quel qu'il soit, pour voir qu'ils sont beaucoup plus gros en moyenne, et qu'ils doivent donner plus de viande que les nôtres. Cette vérité, qui saisit en quelque sorte de tous les côtés l'observateur le plus superficiel, n'est pas seulement confirmée par l'examen attentif des faits; elle prend, par cette étude, des proportions inattendues ce qui n'est pour le simple voyageur qu'un objet de curiosité, devient pour l'agronome et l'économiste le sujet de recherches qui l'étonnent lui-même par l'immensité de leurs résultats.

Le cultivateur anglais a remarqué, avec cet instinct de calcul qui distingue ce peuple, que le mouton est de

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