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des choses dignes de mémoire. En troisième lieu, je vous dirai que j'ai si peu de temps à moi, que je ne puis faire autre chose sinon parcourir ce petit jardin de Mais, prenant sans avoir le loisir de m'y arrêter, tantôt une fleur en un endroit, tantôt une autre, pour vous former ce bouquet ; que si les fleurons qui le composent se trouvent moins artistement accomodés, je ne laisserai pas de vous le présenter volontiers, parce qu'il vous sera difficile de l'approcher sans que vous répandiez la suave odeur de cet époux des cantiques qui s'est fait suivre dans un pays éloigné par tant de personnes considérables, soit par leur démarche du corps, soit par les démarches de l'esprit et de l'affection, soit par les démarches de la bourse dont les largesses ne se sont pas fait voir avec peu de profusion et ne contribuent pas peu encore aujourd'hui aux reconnaissances et hommages qui y sont rendus au créateur de l'univers aux pieds de ces nouveaux autels surtout par plusieurs personnes qui n'y pourraient pas maintenant subsister, où du moins, elles y seraient dans la dernière misère sans les profusions charitables de la France qui les aide de temps en temps à faire leur pénitence avec moins d'inquiétude en ce grand éloignement dans lequel elles se trouvent de tous leurs amis, après avoir essuyé et courus des périls qu'il se verra dans la suite de cette histoire, à laquelle les choses qui se sont passées depuis l'an 1640 jusqu'à l'an 1641, au départ des vaisseaux de Canada en France, serviront d'une fort belle et riche entrée; ensuite nous marquerons toutes les autres années à la tête des chapitres, comptant notre année historique depuis le départ des vaisseaux du Canada pour la France dans une année jusqu'au départ d'un vaisseau du même lieu pour la France dans l'an suivant ; ce que nous faisons de la sorte parce que toutes les nouvelles de ce pays sont contenues chaque année en ce qui se fait ici depuis le départ des navires d'une année à l'autre et en ce qu'on reçoit de France par les vaisseaux qui en reviennent; et comme nous puisons dans ces deux sources ce que nous mandons tous les ans à nos amis, j'ai cru que l'ordre naturel voulait que je cottasse ainsi mes chapitres pour une plus sûre division de cette histoire.

DEPUIS L'AN DE N. SEIGNEUR 1640 JUSQU'A L'AN 1641, AU DÉPART DES

VAISSEAUX DE CANADA EN FRANCE.

La main du Tout-Puissant qui se découvre ici tous les jours en ses ouvrages voulut, l'an quarantième de ce siècle, se donner sin

gulièrement à connaître par celui du Montréal dont elle forma les desseins dans l'esprit de plusieurs d'une manière qui faisait dans le même temps voir au Dieu une bonté très-grande pour ce pays auquel elle voulut lors donner ce poste comme le bouclier et le boulevard de sa défense, une sagesse non pareille pour la réussite de ce qu'elle y voulut entreprendre n'admettant rien de ce que la prudence la plus politique eut pu requérir; une puissance prodi gieusement surprenante pour l'exécution de cette affaire, faisant de merveilleuses choses en sa considération; tous les habitants de la Nouvelle-France savent assez combien il leur a valu d'avoir ce lieu avancé vers leurs ennemis pour les arrêter et retenir dans leurs considérables descentes. Ils n'ignorent pas que très-souvent, cette isle a servi de digue aux Iroquois pour arrêter leur furie et leu impétuosité; se dégoûtant de passer plus outre, lorsqu'ils s voyaient si vigoureusement reçus dans les attaques qu'ils y faisaient et la suite de cette histoire fera tellement toucher au doigt combier le Canada lui est obligé de sa conservation, que ceux qui sauron par leurs propres expériences la sincérité et vérité de ce discours béniront en le lisant mille fois le ciel d'avoir été assez bon pou prendre et concevoir le dessein d'un ouvrage qui lui est si avan tageux; que si la bonté de Dieu a paru visiblement en cette entre prise, sa sagesse et toute puissance n'y ont pas brillé avec moin d'éclat, étant vray qu'il est impossible de repasser dans son espri toutes les choses qui se firent dans l'année, dont nous parlons su le sujet de Montréal sans admirer partout ces perfections diverse qui concouraient tellement l'une avec l'autre au dessein duque nous traitons, qu'il paraissait clairement que cet ouvrage n'appar tenait pas aux hommes mais seulement à la sagesse de Dieu et à son pouvoir infini mus par sa seule bonté, à en agir de la sorte mais voyons un peu comme ces deux attributs divins de la sagesse et de la puissance s'assistèrent l'un à l'autre afin d'enfanter et de mettre au monde cet ouvrage. La Providence de Dieu voulan rendre cette isle assez forte pour être la frontière du pays, et vou lant du reste la rendre assez peuplée pour y faire retentir les louanges de son créateur, lequel y avait été jusqu'alors inconnu, il fallait qu'elle jetta les yeux sur plusieurs personnes puissantes et pieuses afin d'en faire une compagnie qui entreprit la chose car la dépense devait en être grande, elle eut été excessive si plusieurs personnes puissantes et de qualité, ne se fussent réunies pour cet effet, et l'union n'aurait pas longtemps duré si elle n'avait été entre des personnes pieuses détachées du siècle et entièrement dans les intérêts de Notre Seigneur, d'autant que cette association se devant faire sans espoir de profit et en ayant encore même aujourd'huy

fort peu à espérer d'ici plusieurs années en ce lieu, elle se serait bientôt détruite si elle avait été intéressée quand elle n'aurait eu que ce seul chagrin d'être obligée de toujours mettre sans espérance de ne rien mettre d'un très-longtemps: de plus, il fallait que la providence divine disposant quelque illustre commandant pour ce lieu, lequel fut homme de cœur, vigoureux, d'expérience, et sans autres intérêts que ceux de l'éternité. Outre cela, il fallait que la mème providence choisit une personne pareillement dégagée pour y avoir soin des pauvres, malades et blessés en attendant que le monde se multipliant, elle procura à cette isle l'assistance d'un hôpital pour seconder on tenir la place de cette personne, sur quoi il est à remarquer qu'il était de besoin que ce fut quelque fille où femme à cause que les personnes de ce sexe sont propres à plusieurs choses qui ne se font pas communément si bien par ceux d'un sexe différent dans un lieu où il n'y en a point. Mais à dire le vrai, il fallait que ce fut une personne toute de grâce pour venir dans ce pays sy éloigné, sy sauvage et sy incommode, et il était nécessaire qu'elle fut extrêmement protégée de la main du Tout-Puissant pour conserver toujours le trésor de sa pureté sans aucun larcin où véritable où faussement présumé, venant parmis les gens de guerre. La providence a miraculeusement opéré toutes ces choses comme nous verrons dans la suite de cette histoire qui nous fera admirer également la sagesse de Dieu et son pouvoir, mais avant de parler de cet illustre commandant et de cette personne choisie pour les malades et blessés, revenons à l'érection de notre sainte compagnie, aussi bien n'oserions nous rien dire présentement de ces deux personnes que le ciel a élues parce que la main de Dieu qui travaille fortement chez elle, veut le faire comme en cachette; ces deux Ouvrages si nécessaires sans que nos associés en aient aucune connaissance jusqu'à l'an prochain afin qu'ils la reçoient alors comme une gratification purement céleste: sur donc voyons naître cette belle association et prendre son origine dans la ville de Laflèche par le moyen d'une relation de la nouvelle France, qui parlait fortement de l'Isle de Montréal comme étant le lieu le plus propre du pays afin d'y établir une mission et recevoir les sauvages, laquelle relation vint heureusement entre les mains de M. de la Doversière, personne de piété éminente qui fut d'abord beaucoup touché en la lisant, et qui le fut encore bien davantage quelque temps après, Dieu luy ayant donné une représentation si naïve de ce lieu qu'il le décrivait à tous d'une façon laquelle ne laissait point de doutes qu'il n'y eut bien de l'extraordinaire là dedans, car les guerres avaient laissé si peu de moyens pour le bien connaître, qu'à peine en pourrait-on donner une grossière idée, mais lui le

M.

dépeignait de toutes parts, non-seulement quant aux castes et partie exterieure de l'Isle, mais encore il en dépeignait le dedans avec la même facilité, il en disait la beauté et bonté et largeur dans ses différents endroits; enfin il discourait si bien du tout qu'allant un jour parler au Révérend Père Chauveau ou Chameveau, Rec teur du Collége de la Flèche qui le connaissait, et lui disant que Dieu lui avait fait connaître cette Isle la lui représentant comme l'ouvrage à laquelle il devait donner ses travaux afin de contribuer à la conversion des sauvages, par le moyen d'une belle colonie Française qui leur pouvait faire sucer un lait moins barbare; cependant il vit ce qu'il devait faire et s'il croyait que cela fut de Dieu oui ou non, alors ce père éclairé du ciel, convaincu parce qu'il entendait de sa bouche lui dit : "N'en doutez pas M. employezvous y tout de bon." Etant revenu des Jésuites, incontinent il dit tout ce qui s'était passé à M. le baron de Fauquant, gentilhomme fort riche qui était depuis peu venu demeurer chez luy, comme dans une école de piété, afin d'apprendre à bien servir N. Seigneur, Dieu l'ayant voulu conduire tout exprès sous ce pieux prétexte en la maison de son serviteur afin qu'il se trouva là à propos pour commencer le travail de cette nouvelle vigne, sur quoi il est à remarquer que ce pieux baron ayant vu la même relation que de la Doversière en avait été tellement touché qu'il ne lui eut pas plus tard fait connaître à quoi l'avait destiné le bon père Chauveau, qu'aussitôt il s'offrit à lui afin de s'associer pour le même dessein ; ces deux serviteurs du Tout-Puissant étant ainsi unis, ils prirent résolution d'aller de compagnie à Paris, afin de former quelque saint parti qui voulut contribuer à cette entreprise; y étant arrivé, M. de la Doversière alla dans un hôtel où N. Seigneur conduisit feu M. Hollie, ces deux serviteurs de J. Christ en se rendant dans ce palais furent soudain éclairés d'un rayon céleste et tout à fait extraordinaire, d'abord ils se saluèrent, ils s'embrassèrent, ils se connurent jusqu'au fond du cœur, comme St. François et St. Dominique, sans se parler, sans que personne leur en dit mot et sans que jamais ils se fussent vus. Après ces tendres embrassements, ces deux serviteurs de notre maître céleste, M. Olier dit à feu M. de la Doversière: "Je sais votre dessein, je vas le recommander à Dieu au saint autel." Cela dit, il le quitta et alla dire la sainte messe que M. de la Doversière alla entendre, le tout avec une dévotion difficile à exprimer quand les esprits ne sont pas embrâsés du même feu qui consumait ces grands hommes; l'action de grâce faite, M. Holie donna cent pistoles à M. de la Doversière, lui disant: "Tenez voilà pour commencer l'ouvrage de Dieu." Ces cent louis ont été le premier argent qui ait été donné pour cet œuvre, prémices qui

ont eu la bénédiction que nous voyons, sur quoy il est bien à remarquer que Dieu ayant le dessein de donner dans un certain temps pour lors connu à lui seul toute cette Isle au Séminaire de St. Sulpice, il en souhaita toucher le premier argent par les mains de son très-digne fondateur et premier supérieur, afin de la lui engager en quelque façon et lui donner des assurances qu'il s'y voulait faire servire un jour par ses enfants; après cela, ils ne doivent pas craindre au milieu des tempêtes, ils n'en seront pas abattus puisque Dieu est leur soutien ; et que pour le paiement de toutes les grâces qu'il a voulu verser sur cet ouvrage par leur moyen, il en a voulu recevoir les autres par des mains qui lui étaient aussy agréables que celle de feu M. Hollie; mais reprenons le fil de notre histoire et faisons revenir M. de la Doversière trouver son cher baron de Fauquand et exprimons si nous pouvons, la joie avec laquelle il lui dit ce que nous venons de rapporter au sujet de M. Holié ; exprimons si nous pouvons l'allégresse de cet illustre baron en voyant une telle merveille, ensuite voyons ces trois premiers associés dans leur première entrevue, et exprimons si nous pouvons leurs tendres embrassades mélangées de larmes et soupirs. Après disons que Dieu donne bien parfois de la joie à ses serviteurs, disons que chez les grands de ce monde rien ne se trouve de pareille, disons enfin que le lien amoureux formé par le St. Esprit entre ces trois associés ne se rompera pas aisément, qu'il sera fort, pour amener de puissants secours et faire entreprendre des merveilles dans l'Isle de Montréal; mais voyons un peu comme Dieu les conduit pour la réussite de ce dessein; il fallait avant toutes choses qu'ils se rendissent les maîtres du lieu que la provi dence les faisait envisager, mais pour y parvenir, il était nécessaire auparavant, de traiter avec M. de Lauzon 1 auquel cette terre avait été donnée, c'est ce dont s'acquitta quelques mois après avec beaucoup de vigilance et de soin le sieur de la Doversière, qui ne négligeait aucune chose à l'égard de cette affaire que le ciel lui avait commise; pour cela, il s'adressa au R. P. Charles Lallemand qui fut si convaincu après l'avoir ouï que ce dessein était de Dieu qu'il se résolut de demander la permission d'aller avec lui trouver M. de Lauson dans le Lionnais, où il était alors, afin de mieux négocier la chose; zèle à qui Dieu donna une telle bénédiction que le traité de cette Isle se fit et se passa dans la ville de Vienne peu

1

Il signait Jean de Lauson, on a. son autographie; il était alors intendant de Dauphiné et fut gouverneur du Canada de 1651 à 1656, qu'il partit tard dans l'automne sans attendre son successeur. Sa commission n'expirait que le 16 janvier 1657. Il laissa pour commander à sa place M. Charles de Lauson de Charny l'un de ses fils frère du Sénéchal.-J. VIGER.

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