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santeries qui n'étaient pas déjà très-neuves au temps de Molière, certains couplets grossiers que le goût seul suffit pour désavouer. Béranger s'est expliqué là-dessus dans sa Biographie. « Les chansons mises à l'index, dit-il, ont été faites sous l'Empire. Or il est remarquable que c'est habituellement à des époques de despotisme qu'on voit naître de pareilles productions'. » Mais quand un horizon plus vaste s'est ouvert pour la pensée, il est certain que Béranger a su se faire une place, qui reste à lui seul, que dans un cadre restreint il a été créateur, que souvent il y a atteint la perfection. C'est plus qu'il ne faut pour faire vivre sa mémoire, même à côté des grands poëtes de notre âge, si supérieurs à lui pour l'ampleur et pour l'élan.

Si, à l'occasion de l'article sur Béranger, nous avons dû faire nos réserves, nous ne trouverons qu'à louer dans l'excellent article où M. Bersot examine les doctrines du père Ventura. Elles sont assez singulières; mais ce qui n'est pas moins curieux, ce sont les textes sur lesquels s'appuie le hardi théologien. C'est ainsi qu'il croit pouvoir citer comme un témoignage d'une haute valeur ces paroles du premier consul au clergé de Milan, en 1800 : « A vous, ministres de la religion qui est aussi la mienne, je déclare que j'envisagerai comme perturbateurs du repos public et ennemis du bien commun, et que je saurai punir comme tels, de la manière la plus éclatante, et même, s'il le faut, de la peine de mort, quiconque fera insulte à notre commune religion, ou qui osera se permettre le plus léger outrage envers vos personnes sacrées. » M. Bersot le remarque, ce qui diminue un peu la valeur de ce témoignage, c'est que tout récemment, en Égypte, le même homme avait tenu un autre langage : « Nous aussi, disait-il dans sa proclamation aux Égyptiens, nous sommes de vrais musulmans. N'est-ce pas nous qui avons détruit le pape qui disait qu'il fallait faire la guerre aux musulmans? » Mais, à son tour, le père Ventura eût pu opposer à M. Bersot les considérants du décret qui réunit les États romains à la France, et où, se déclarant plus catholique que le pape, Napoléon justifie cette réunion par le refus que le pape aurait fait de joindre ses efforts aux siens pour combattre les hérétiques anglais ennemis de la religion 2. Le fait est que ces textes,

1. Page 181.

2. « Considérant que le souverain temporel de Rome a constamment refusé de faire la guerre aux Anglais. .

« Considérant que la donation de Charlemagne, notre illustre prédécesseur, des pays qui composent l'État pontifical, a été faite au profit de la chrétienté et jamais à l'avantage des ennemis de la religion.

« Nous avons décrété et décrétons, etc. >>

Saint-Cloud, 2 avril 1808.

fort intéressants au point de vue historique, n'ont qu'une valeur médiocre au point de vue théologique, et l'on peut trouver avec M. Bersot que le père Ventura ne se montrait pas assez difficile dans le choix des autorités dont il se servait pour appuyer ses opinions. Tout cet article est excellent.

Les mélanges publiés par M. Bersot marqueront leur place parmi les recueils de ce genre les plus instructifs et les plus attachants. Ces recueils tendent à se multiplier, on le conçoit : c'est un des avantages assez rares que le régime actuel de la presse assure aux journalistes. Jadis, à la première page des journaux, il se dépensait beaucoup de talent, avec profit sans doute pour la cause que défendait le journaliste, mais avec très-peu d'avantages pour sa renommée durable et personnelle. Aujourd'hui, la troisième page de quelques journaux a gagné en intérêt ce que la deuxième a perdu les variétés, simple accessoire autrefois, sont devenues, dans le Journal des Débats par exemple, la partie essentielle. Obligé de traiter des questions plus générales, et par conséquent d'un intérêt moins éphémère, l'écrivain y amasse peu à peu les éléments d'un livre; jadis, on l'aurait lu et oublié, maintenant on peut le relire. Ajoutez à cela que, débarrassé des entraves qui pèsent sur le journaliste quotidien, il est lui-même plus indépendant à l'égard du journal, qu'il cesse d'être responsable et de la direction générale, et du passé de la feuille où il écrit. Sans vouloir sur ce point pousser trop loin un optimisme qui n'est nullement dans nos idées, on peut donc dire que le journaliste a plus gagné que perdu au régime actuel de la presse : quant au public, c'est autre chose; et encore peut-on dire que le lecteur intelligent, ne pouvant plus prendre dans son journal son opinion toute faite, .obligé de se la faire, finira peut-être par être amené à exercer son initiative et à marcher tout seul, ce qui serait un énorme progrès. Tâchons de nous persuader, en dépit de M. Jules Favre, que la philosophie de Pangloss est la vraie, et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles: cultivons notre jardin comme Candide, et, si petit qu'il soit, tâchons d'en tirer le meilleur parti possible. Il n'est pas si stérile qu'il en a l'air, et M. Bersot nous prouve qu'on y peut faire venir d'excellents fruits.

EUGÈNE DESPOIS.

ROBESPIERRE ET SAINT-JUST

Essai sur la Révolution française, par M. P. Lanfrey, 1 vol. in-8°. Chez Chamrot, éditeur, rue du Jardinet, no 3.

Nous éprouvons un grand embarras à rendre compte de ce livre, qui est déjà en si haute estime auprès des meilleurs esprits. Si nous disions sur lui toute notre pensée à cette place où nous écrivons, nos éloges pourraient, malgré leur sincérité, paraître d'autant plus suspects, que l'indépendance des jugements individuels n'est pas chose commune à notre époque. Nous préférons transcrire ici un fragment du livre de M. Lanfrey et laisser au public toute son indépendance. Le livre et le lecteur y gagneront.

Robespierre et Saint-Just sont les deux hommes qui caractérisent le mieux cette heure de fanatisme et de lutte à outrance qui fut la dernière crise de la Révolution; et, bien que comme politiques et comme penseurs ils s'élèvent un peu au-dessus du médiocre, ils ont eu sur leur temps plus d'influence qu'aucun de leurs rivaux. Chose plus invraisemblable encore, cette influence si peu justifiée leur a survécu, et, soit analogie des idées et des systèmes, soit contraste et opposition des natures, notre génération l'a subie plus docilement peut-être que la leur. Ils avaient, en effet, ce qui lui manque le plus : la volonté et le caractère. Ce qu'il y eut en eux d'excessif n'a fait qu'ajouter à cet attrait: la faiblesse ne se plaît qu'aux extrêmes. Ils devaient être les idoles préférées d'un temps où l'imagination a eu tant d'empire aux dépens du bon sens, la sentimentalité aux dépens du cœur, la déclamation et l'emphase aux dépens du naturel, de la sincérité, de toutes les vertus viriles. Ils ont, à travers un demi-siècle d'oubli, séduit et fasciné par l'étrange fixité de leurs froids regards toute une race fort peu héroïque de pauvres faiseurs de phrases, née pour la promiscuité du phalanstère ou les verges du sacerdoce positiviste, éprise avant tout du confortable et du bien-vivre, désireuse de remuer le ciel et la terre, incapable de remuer un grain de sable, aussi inoffensive qu'ils étaient résolus et implacables, et qu'ils eussent désavouée avec mépris. Elle a cru leur dérober leur force parce

qu'elle leur empruntait leur rhétorique; elle nous a pendant plusieurs années répété leurs lieux communs les plus sonores en roulant des yeux terribles, et a disparu sans laisser d'autres traces de son passage que des mots et du bruit.

Je vais définir Robesbierre d'un mot: Robespierre, c'est le Contrat social fait homme.

Jamais, peut-être, ce singulier phénomène de l'absorption d'un homme dans un système ne s'est produit avec un caractère si frappant et si absolu. On cherche une âme, on ne trouve qu'une théorie. De là, le froid de ce cœur de marbre qui ne battit jamais pour l'amitié tout ce qu'il avait de chaleur allait à l'abstraction. Elle arriva å se combiner si intimement avec sa personnalité, qu'il est impossible de dire quand il agit par ambition pour lui-même ou par dévouement pour ses idées.

Le Contrat social n'a jamais été aux yeux de son auteur Rousseau qu'une ébauche incomplète, et à beaucoup d'égards une espèce d'utopie qu'il déclarait lui-même inapplicable à un peuple moderne. On sait combien il s'en éloignait dans le plan de constitution qu'il écrivit pour la Pologne. Mais ç'a été son châtiment d'échoir en partage à un tel interprète. La plus rude épreuve à laquelle puisse être soumis un paradoxe, c'est d'être un seul instant traité comme une vérité. Servile comme sont les disciples sans génie, Robespierre prit le thème au pied de la lettre. Il trouvait là des propositions simples, bien enchaînées, déjà populaires par le renom de leur auteur; il les étudia avec le respect religieux d'un apôtre; il les commenta avec l'exactitude minutieuse et formaliste d'un procureur. Ce n'est pas un politique, c'est un croyant.

Un zèle sombre et dévorant lui vint avec la foi. Il lui dut aussi cette espèce d'éloquence qui arrive à l'effet comme l'idée fixe à l'action, à force de volonté, d'obstination, d'effort, mais qui n'a ni souffle ni grandeur. Plus convaincu que Rousseau lui-même, il eût brûlé le maître au nom de la doctrine. Ces formules simples et brèves, cette logique tranchante, ces dogmes inflexibles allaient à son esprit sans étendue et sans invention, impuissant à voir plus d'un côté des choses comme à comprendre plus d'une idée, et aussi incapable d'éprouver un doute que son âme l'était d'éprouver un scrupule. Ce livre s'empara de lui. Il n'y ajouta, il n'y retrancha rien. Pas une de ses opinions qui ne puisse s'y rapporter. Pas un de ses discours qui

ne soit un développement pénible et laborieux de quelque texte qui lui est emprunté.

Ce catéchisme démocratique, fruit d'une incubation solitaire, et conçu en dehors de toute pensée d'application, allait bien plus loin encore que la Constitution de 93, qui paraît timide auprès de lui. Robespierre prit plaisir à en rétrécir encore les maximes par une interprétation étroite et mesquine. Et, comme si ce n'était pas assez de tous les faux principes qu'il en déduisait après Rousseau ou malgré lui le pouvoir social maître souverain des existences, la propriété méconnue, la liberté des opinions enchaînée, le peuple législateur et magistrat, tous les droits livrés à l'arbitraire, au caprice si changeant de la volonté générale, on le voyait, lorsque le texte lui faisait défaut, remonter jusqu'aux premiers essais du maître pour y chercher sa règle de conduite. Il prenait au mot le paradoxe sur les spectacles, que la mort seule l'empêcha de convertir en loi; il faisait un décret de ses déclamations sur la Vertu, et de la métaphysique inoffensive de l'Émile, complétée par une page imprudente du Contrat social, il dégageait le culte oppresseur de l'Être suprême.

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Tel fut Robespierre comme penseur. Comme homme, c'est l'instinct populaire qui, dans un instant de divination, lui donna son nom, lorsque après le 10 août et à l'unanimité des suffrages il le proclama accusateur public. Ce cri de l'opinion est écrit en lettres de feu sur son front inquiet et dur. Sa vie est une accusation perpétuelle. << Du sommet de la Montagne je donnerai le signal au peuple et je lui dirai frappe!» Voilà son rôle défini par lui-même. Il y fut cruellement fidèle. Il se montra persévérant, mais comme la Haine; incorruptible, mais comme l'Envie. Il dénonce sans trêve et sans relâche : après Lafayette, Barnave; après Barnave, Dumouriez; après Dumouriez, la Gironde; après la Gironde, Hébert; après Hébert, Danton; après Danton, les Comités : la mort l'arrêta là. Plus tard, il eût sans doute dénoncé son autre lui-même, Saint-Just; mais Saint-Just l'eût prévenu.

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Il est impossible de mettre en doute, pour quiconque le connaît bien, qu'il ne fût très-profondément convaincu de l'incompatibilité de l'existence de ses adversaires avec ce qu'il regardait comme la réalisation de la justice absolue; mais il est encore plus impossible de contester qu'il se servit sciemment pour les perdre des plus grossiers artifices et des plus noires calomnies. La sincérité de son fanatisme a fait croire à la sincérité de sa conduite politique : rien de plus

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