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APRÈS LE FEUILLETON.

Mes colonnes sont alignées
Au portique du feuilleton;
Elles supportent résignées
Du journal le pesant fronton.

Jusqu'à lundi je suis mon maître.
Au diable chefs-d'œuvre mort-nés !
Pour huit jours je puis me permettre
De vous fermer la porte au nez.

Les ficelles des mélodrames
N'ont plus le droit de se glisser
Parmi le fil soyeux des trames
Que mon caprice aime à tisser.

Voix de l'âme et de la nature,
J'écouterai vos purs sanglots,
Sans que les couplets de facture
M'étourdissent de leurs grelots.

Et portant, dans mon verre à côtes
La santé du temps disparu,

Avec mes vieux rêves pour hôtes

Je boirai le vin de mon cru:

Le vin de ma propre pensée,
Vierge de toute autre liqueur
Et que, par la vie écrasée,
Répand la grappe de mon cœur.

THEOPHILE GAUTIER.

I

On raconte qu'Hérodote ayant lu son histoire aux Grecs assemblés aux jeux Olympiques, les auditeurs en furent tellement charmés qu'ils donnèrent le nom d'une Muse à chacun des neuf livres qui la composent. La postérité les connaît encore sous ces titres décernés par l'admiration publique. Je ne vois pas trop ce qui de nos jours peut rappeler les jeux Olympiques, si ce n'est, peut-être, d'un certain côté, nos expositions universelles; je vois encore moins un Hérodote parmi nos chroniqueurs parisiens, et, en existât-il un, je crois qu'il serait fort mal accueilli s'il s'avisait d'infliger à l'impatience d'une foule moderne la lecture publique de ses œuvres; mais, si l'on pouvait admettre, au temps où nous sommes, la possibilité d'un triomphe comme celui de l'historien grec, il me semble qu'on ne serait pas embarrassé du choix de la divinité dont il faudrait donner le nom à l'histoire du mois qui vient de finir. Cela ne devrait-il pas s'appeler de droit Plutus? à moins cependant que cela ne se nommât Mercure...? Et, toutes réflexions faites, eu égard au grand événement historique de l'abolition des tourniquets de la Bourse, je penche décidément pour Mercure.

Toujours est-il que ce mois de novembre est tombé dans l'abîme du passé avec un bruit sourd et métallique comme le son que rendrait un sac de fausse monnaie. Jamais il ne fut plus question d'argent sous toutes ses formes, jamais tant de chiffres ne s'alignèrent sur le papier. L'honnête bourgeois, en lisant son journal à haute voix pour l'édification de sa famille, était forcé de s'interrompre pour compter les formidables groupes de zéros avant d'oser énoncer les millions qui se rangeaient devant lui. Il oubliait un instant ses embarras personnels de fin d'année pour contempler, avec une respectueuse terreur, qui n'était pas tout à fait exempte d'orgueil, les complications grandioses du Trésor. Mais ensuite, quel retour sur lui-même! Qui saura jamais le nombre de confessions bourgeoises provoquées par le Confiteor du Moniteur? On aura beau dire et chercher à séparer la loi politique de la loi morale, la vie privée, chez

tous les peuples, reflétera toujours plus ou moins la vie publique, et l'observateur attentif retrouvera sans peine dans l'une et l'autre les mêmes grandeurs et les mêmes désordres. Aussi voyons-nous depuis quelques années l'habitude de dépasser son budget se répandre parmi ces ménages parisiens, jadis si rangés et si économes. Combien en est-il, à cette heure, qui cherchent leur M. Fould, et seraient prêts à tout avouer, à tout abdiquer, si cela pouvait réparer quelque chose! Le chef de famille, si jaloux de son omnipotence paternelle, qui ne devait, disait-il, de compte à personne, comme le voilà disposé à renoncer aux crédits supplémentaires dont il a si largement usé! Avec quelle persistance il cherche à établir l'équilibre entre ses dix mille francs de revenu et ses douze mille francs de dépense! Va, pauvre Parisien! cherche quelle privation tu t'imposeras pour tes étrennes! Quant à la Parisienne, elle est bien plus tranquille : elle ne se privera de rien. Elle tient en réserve une ressource qui lui permet d'envisager avec satisfaction l'avenir : elle a les virements. On ne sait pas assez que cette invention financière, dont les hommes politiques ont revendiqué l'honneur dans ces derniers temps, est mise en pratique avec succès, depuis un temps immémorial, par les femmes de toutes les conditions. Que lui importe, après tout, qu'on rogne le chapitre de la modiste ou du tapissier, si elle a à sa disposition l'allocation du marchand de bois et de l'épicier? Surtout elle est bien décidée à ne point désarmer. Sans doute, elle pourrait réaliser de notables économies en se mettant sur le pied de paix: mais songe-t-on sérieusement à ce qu'on lui demande là? On lui demande de renoncer à toute pensée de conquête, de ne plus s'occuper que du bien-être intérieur, de l'éducation des enfants, enfin, de se contenter de l'estime et du respect des étrangers, au lieu de leur méfiance et de leur jalousie. Plutôt la ruine! Que les autres que les amies commencent, et puis on verra. Aussi, tenez pour certain qu'une fois ce mauvais moment passé, après quelques économies sur les étrennes des enfants, et quelques reproches à de pauvres domestiques qui n'en peuvent mais, les gens qui veulent paraître plus riches qu'ils ne sont reprendront leurs habitudes et feront des dettes comme par le passé, jusqu'à ce qu'on ne leur fasse plus crédit.

Le Parisien qui ne veut pas faire de dettes et qui ne veut pas faire d'économies, — deux choses qui ont chacune leurs désagréments,

a encore la ressource de faire fortune. La Bourse, d'où sont sortis tant de millionnaires de vaudeville et de roman, est enfin ouverte au public, et l'on n'a plus à payer ces malheureux vingt sous d'entrée qui, chose étrange! ont suffi pour paralyser depuis cinq ans l'ardeur de la spéculation. Il ne faut pas grand'chose, comme on le voit, pour

calmer la furia francese: le moindre tourniquet en a raison. C'est qu'un tourniquet, il faut bien le dire, n'est pas seulement ce qu'il semble être, une barrière physique qui s'abaisse devant une pièce de monnaie ou une carte d'abonnement; c'est aussi, et surtout, une entrave morale, et les braves gens qui voudraient en mettre partout, en poliique, en religion, en littérature même, devraient bien tirer un enseignemeut de ce qui s'est passé au sujet de la Bourse.

Il n'est pas possible d'admettre qu'un droit d'entrée d'un franc ait pu empêcher un homme raisonnable d'aller à la Bourse s'il y avait affaire ou même s'il était tenté d'y jouer, en supposant qu'un homme raisonnable pût être tenté de jouer à la Bourse. Il n'est pas d'affaire ou de spéculation, si minime qu'elle soit, dans laquelle une pièce de vingt sous doive entrer en ligne de compte. Et pourtant, qu'avonsnous vu? La Bourse, qui avant le décret de décembre 1856 pouvait à peine contenir la foule qui s'y pressait, est graduellement devenue déserte sous le régime des tourniquets. Il n'y a pas grand mal à cela, disent certaines gens. Un journaliste religieux a même été jusqu'à exprimer le vœu singulier-qui prouve chez lui plus de naïveté que de connaissances commerciales -que l'entrée de la Bourse fût interdite au public. C'est pousser un peu loin, en conscience, l'amour du huis clos, que de l'étendre à la vente et à l'achat de la rente, et l'on se demande en vertu de quel principe on couvrirait d'un même voile les actes d'officiers publics et ceux que relatent en général les procès cléricaux. Je ne sais s'il est désirable que la Bourse ne soit pas fréquentée, la chose me paraît douteuse, mais il est certain du moins que ce résultat n'avait pas été prévu par l'autorité qui a établi le droit d'entrée. Lorsqu'on décrète une nouvelle taxe, c'est apparemment pour se créer une nouvelle source de revenu, et c'est une hypocrisie qui ne trompe personne que de prétendre qu'on met un impôt sur un vice dans le but de le restreindre. On le fait parce qu'on compte que ce vice continuera à fleurir et à se développer. Si cette pensée ne préside pas à la création du nouvel impôt, on peut du moins affirmer quelle en sera la conséquence. Du jour qu'un vice devient contribuable, il est non-seulement toléré, mais protégé : les preuves ne manquent pas à l'appui de cette assertion. Lorsqu'on a imposé un droit d'entrée à la Bourse en faveur de la ville de Paris, on espérait que la spéculation continuerait à y affluer. Si celle-ci s'est effarouchée, il ne faut en faire honneur ni aux homélies de certains journaux, ni aux tirades de vertueux vaudevillistes, mais bien à l'aversion innée de l'homme pour le numérotage, la surveillance et la constatation de ses actions. Plus d'un demi-siècle de centralisation et de sollicitude administrative n'a pu déraciner ce sentiment naturel

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