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en faveur des protestants enrôlés sous les drapeaux de la France. Ce fut là le dernier ordre créé sous l'ancienne monarchie.

Le titre de chevalier, on le voit par ce qui précède, a subi bien des vicissitudes et répondu à des conditions sociales bien diverses. Il en a été de même du titre d'écuyer, qui a désigné successivement un propriétaire foncier, soumis au service militaire; un jeune homme attaché comme compagnon de guerre à la personne d'un chevalier, pour faire l'apprentissage des armes, et une espèce de familiers titrés, qui vivaient à la cour des grands feudataires ou à celle des rois, et qui, selon qu'ils se nommaient écuyers de corps, écuyers d'échansonnerie, de panneterie, de chambre, habillaient leur patron, versaient à boire, apportaient le pain sur la table ou faisaient les lits. La noblesse, qui dérogeait par le commerce, ne dérogeait point par ces offices qui, en définitive, n'étaient autres que ceux de la domesticité.

Ce qui caractérise principalement l'histoire des appellations nobiliaires en France, c'est qu'après avoir répondu d'abord à une fonction plus ou moins élevée, après avoir été l'attribut distinctif d'une classe, elles se séparent des fonctions et ne représentent plus que des dignités abstraites. Elles se mêlent et se confondent sans cesse, et l'on finit par ne plus savoir à quel rang les classer dans la hiérarchie aristocratique. Ce travail de vulgarisation et de dégradation politique et sociale des titres s'accomplit en raison directe de l'agrandissement du pouvoir royal, et l'on peut en fixer le point de départ au règne de saint Louis. Les ducs souverains de la première féodalité disparaissent successivement, par suite de la réunion des grands fiefs à la couronne, pour faire place aux ducs et pairs qui n'ont plus d'autre privilége que de siéger au parlement avec quelques droits de préséance honorifique; puis viennent les ducs héréditaires qui n'ont point la pairie, et enfin les ducs à brevets dont le titre est personnel et viager. Les marquis, investis à l'origine du commandement militaire des frontières, ne laissent aucune trace à travers le moyen âge, et quand ils reparaissent au seizième siècle, ce n'est plus en vertu de ce qu'on appelait les droits du sang, mais tout simplement par collation royale. Les barons, qui formaient primitivement la haute cour de justice des rois, n'ont plus leur raison d'être quand cette cour a cessé d'exister; après avoir occupé le premier rang, ils descendent lentement jusqu'au dernier; et déjà dans le douzième siècle, en 1145, le titre de baron est accordé par Louis VII aux habitants de Bour

ges. Le nom de prince, attribué aux membres des familles régnantes, est également porté par les propriétaires de certaines terres féodales, telles que celles d'Orange, de Chabannais, de Marsillac, de Thalemond, mais ces terres n'occupent qu'un rang très-secondaire, puisqu'elles sont mouvantes de simples comtés. Les noms d'écuyer et de chevalier, considérés à l'origine comme l'indice certain de la véritable noblesse, « de celle qui avait pris naissance au milieu des armes, » finissent par n'être plus qu'un nom générique. Tous les nobles se l'attribuent indistinctement, et des nobles il arrive aux bourgeois qui s'en parent moyennant finance. Au quinzième siècle, on voit paraître un titre nouveau, celui de gentilhomme de nom et d'armes; il est exigé par Philippe, duc de Bourgogne, pour l'ordre de la Toison d'or; par Louis XI pour l'ordre de Saint-Michel; par Henri III pour l'ordre du Saint-Esprit; mais quand il s'agit de le définir, personne n'est d'accord. Schoier, l'auteur du Traité de l'état et comportement des armes, dit que ce sont ceux qui portent le nom d'une terre ayant des armoiries particulières; d'autres, ceux qui suivent la carrière militaire; d'autres encore, ceux qui peuvent justifier de leur noblesse par les quatre quartiers ou lignes, c'est-àdire ceux dont les aïeux et les aïeules paternels et maternels étaient nobles'.

On ne sait pas davantage à qui appartiennent légalement les titres de messire, de noble homme, de seigneur. Le nom de noble homme, le nobilis vir des premiers temps, qui s'appliquait seulement aux grands personnages, est porté au seizième et au dix-septième siècle par les bourgeois de quelques villes privilégiées; mais ceux qui le prennent n'ont pas le droit de se dire nobles, comme on le voit par un arrêt rendu en 1667 contre un habitant de Poitiers. Messire, qui au treizième siècle désignait un chevalier, appartient indistinctement au dix-septième aux conseillers du parlement, aux gens de robe, aux curés de paroisse, à la haute bourgeoisie et à la haute noblesse 2. Seigneur, qui signifiait dans son acception primitive le possesseur d'une terre noble, rendant hommage au roi pour cette terre, est pris, à partir du quinzième siècle, par les bourgeois possesseurs de francs

1. Voir Ducange, Dissertation xe sur Joinville. Delaroque, Traité de la noblesse, p. 7 et suiv. André Duchesne, Hist. de la maison de Béthune, ch. vi, p. 32.

2. Archives de l'empire, Sect. domaniale, Registres de la Chambre des comptes, p. 99-1.

fiefs, qui se placent par là à côté des grands propriétaires de la vieille aristocratie terrienne.

Au fur et à mesure que les titres se vulgarisent, on voit se multiplier autour d'un seul et même nom les appellations nobiliaires. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, on s'intitule tout à la fois chevalier, comte et marquis', et à ces mots on ajoute ceux de très-haut et très-puissant seigneur. Jusqu'aux derniers jours de la vieille monarchie, ces formules honorifiques ont fait à la noblesse une complète illusion sur son importance. Elle retrouvait des ducs et des comtes sous les Carlovingiens; des chevaliers, des écuyers et des barons sous les premiers rois de la dynastie capétienne; elle en fit ses aïeux directs, sans soupçonner que depuis plusieurs siècles déjà ces noms avaient cessé de représenter, comme au temps de la première féodadalité, les dépositaires de la puissance politique, les chefs des armées, les conseillers des rois; ils n'étaient plus qu'un souvenir, qu'elle les considérait encore comme une puissance; elle n'avait gardé de son passé que des titres qui avaient perdu leur signification primitive, des priviléges qui la plaçaient en dehors de la société, et c'est ainsi qu'elle se trouva impuissante et désarmée le jour où la révolution la fit rentrer dans le droit commun.

1. Voir pour la confirmation de ce fait au dix-septième siècle: Archives de l'empire. Sect. domaniale, Registres de la Chambre des comptes, p. 99-1. On trouve, entre autres, dans ces registres, Charles du Plessy, seigneur de Liancourt, comte de Beaumont, marquis de Guercheville; Daniel de Boulainvilliers, chevalier, seigneur de la vicomté de Dreux, baron de la Coudraye. Ces désignations sont très-fréquentes dans les derniers temps de la monarchie.

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CH. LOUANDRE.

(La suite à la prochaine livraison.)

RÉCITS D'UNE PAYSANNE

GERMAIN

I

C'était l'époque des semailles, et Germain Leroux labourait un de ses champs, situé au pied de la montagne de Soissons.

Allons, allons! disait-il à son cheval, encore un peu de courage, encore un sillon, c'est le dernier !

Lorsqu'il eut fini de labourer, le jeune homme passa autour de son cou un grand sac rempli de blé, puis marchant dans les sillons, et prenant å poignées du grain dans son sac, il lança ce grain de toutes ses forces, à droite et à gauche, sur la terre fraîchement remuée.

Germain semait plus vite qu'on ne sème d'ordinaire. Espérait-il jeter sa dernière tristesse avec sa dernière poignée de blé?

Comme ceux qui ne travaillent pas doivent souffrir! pensait le laboureur. Malgré ma besogne, je ne puis venir à bout de chasser mes inquiétudes; que serait-ce donc si je ne faisais rien? Autrefois, lorsque mon cœur était triste, il n'était chant de petite caille, d'alouette ou de cigale, qui ne parvînt à l'égayer. Les brises de la montagne rafraîchissaient sans peine mon front brûlant, et il me semblait voir le vent emporter les mauvaises pensées de ma tête avec les mauvaises graines de mon champ. Au temps passé, quand mon blé commençait à poindre, ou qu'il sortait dru et vert de dessous la neige, je songeais à la moisson et je me sentais plus heureux qu'un roi... Aujourd'hui...

-Germain prit une dernière poignée de blé qu'il jeta en croix sur sa terre. Il attela son cheval à sa herse, et la promena en tous sens pour recouvrir les grains, puis il traversa un petit pont de bois qui séparait le champ de la route, et, monté sur son cheval, il des

cendit la montagne, traînant sa herse dans la poussière du chemin. D'autres laboureurs descendaient en même temps de la montagne et chantaient. Germain seul ne chantait pas. Il regardait fixement devant lui.

Bonsoir, Germain Leroux, dit une paysanne qui retournait à Morsains. Prends garde d'écraser ta promise si elle vient à ta ren

contre.

Germain, sans répondre, se retourna du côté de la montagne. Voyant le soleil prêt à disparaître, il pressa l'allure de son cheval.

Parmi les enfants qui jouaient sur la route, plus d'un saisit la herse de Germain, et se fit traîner dans la poussière. Le laboureur agitait son fouet et menaçait de frapper la marmaille qui retardait sa marche. La nichée prenait son vol et revenait un moment plus tard Se percher de nouveau sur la herse.

Germain, en passant devant les portes, envoyait un bonsoir aux ménagères. Celles-ci, fort occupées par le repas du soir, répondaient de l'intérieur des maisons.

Au lieu de prendre la grande rue de Blérancourt, le jeune homme, laissant le hameau de Saint-Pierre derrière lui, tourna à droite, et prit un petit chemin bordé de pommiers qui conduisait à la ferme de son père.

A peine avait-il fait quelques pas, qu'une jeune fille accourut vers lui en criant: « Bonsoir, Germain ! >>

Le laboureur sauta lestement à bas de son cheval, et répondit d'un ton joyeux: << Bonsoir, Adèle ! » Puis, saisissant la jolie fille par la taille, il déposa sur ses joues deux baisers sonores.

Qu'as-tu fait aujourd'hui, mon Germain ? dit Adèle sans chercher à se dégager de l'amoureuse étreinte du jeune laboureur.

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— J'ai semé du blé dans notre champ de la Carrière.

Te souviens-tu, reprit la jeune fille, d'un jour où, pour la première fois, tu me conduisis à ce champ que tu avais labouré et semé toi-même? La moisson était proche. Tu cueillis des gerbes de bluets, et tu me dis en les jetant sur mon tablier : « Moi qui croyais que les bluets ne servaient à rien ! » Je fis des couronnes et des houquets assise près de ton beau blé. Le vent courba les épis jusque sur ma tête; tu étais loin de moi et je te criai: « Viens donc voir, Germain, ton blé qui m'embrasse! » Les cailles et les alouettes chantaient dans ton champ comme je chanterais moi-même dans ta maison... Tu me dis, ce jour-là, que je serais ta femme avant les

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