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note que M. Martinot a publiée, dans l'un des derniers bulletins de la Société des anciens élèves des écoles d'arts-et-métiers.

Pour clore le procès que nous avons intenté à la machine Lenoir, signalons, en terminant, l'influence qu'elle exerce sur les becs allumés dans le voisinage. Lorsqu'on établit directement la prise de gaz sur la conduite, les vacillations de la flamme sont telles, même à 30 mètres de distance, qu'il est impossible de les tolérer; à 100 mètres, cette influence se fait encore sentir; jusqu'à 10 mètres, il ne reste pas un seul bec allumé. A côté du mal il est juste que nous indiquions le remède. Au lieu de prendre directement le gaz sur la conduite, on devra interposer un réservoir d'environ 300 litres de capacité pour une machine d'un cheval.

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Malgré ces chiffres et ces critiques, il n'en est pas moins établi que la machine Lenoir laisse loin derrière elle et les moteurs à poudre, et les machines à explosion, et la machine Ericson. Elle résout, d'une manière très-remarquable, le problème de la distribution des petites forces à domicile. Nous conclurons donc, avec M. Tresca, que « si le moteur à gaz ne doit encore être recommandé que dans les cas où il n'est pas possible d'établir une machine à vapeur, ce moteur constitue cependant l'une des plus utiles conquêtes de la mécanique moderne. »

On dirait qu'il en est, dans le monde des idées, comme dans la nature vivante, où la naissance est précédée d'une longue gestation. La science a toutes les tendresses et toutes les défaillances d'une mère elle suit d'abord avec sollicitude les moindres évolutions du germe qu'elle couve dans son sein. Viennent ensuite les heures de doute, d'abattement, où elle porte impatiemment le joug qui lui semblait autrefois si doux. Enfin, elle reprend courage en songeant au jour de la délivrance!

Cette histoire est celle de la plupart des inventions. Près de trois siècles se sont écoulés depuis les premiers projets de Jean de Hautefeuille. Pendant ces trois siècles, quelles transformations, quelles métamorphoses, quelles vicissitudes les moteurs à gaz n'ont-ils pas subies? Leur dernière forme a été la machine Lenoir, que l'on a, depuis sa naissance, un peu traitée en enfant gâtée.

E. MENU DE SAINT-MESMIN.

PEINTURES MURALES

DE SAINT-GERMAIN DES PRÉS

PAR M. HIPPOLYTE FLANDRIN.

Le plus vieux des monuments chrétiens de ce vieux Paris, qui disparaît chaque jour, la basilique de Childebert, l'église monacale de l'abbé Morard, Saint-Germain des Prés, est en fête. Sur les murs de sa nef débarrassée des échafaudages qui l'encombraient depuis longtemps, se déroule une frise immense composée de dix-huit tableaux peints à la cire; frise de six pieds et demi de hauteur environ, et surmontée par quarante et une figures de proportions colossales. Aujourd'hui, et sans retard, je voudrais donner une idée de ce grand et nouveau travail du maître auquel nous devons déjà tant de belles peintures murales à Nîmes, à Lyon, à Paris, et, qui plus est, 'cette admirable frise de Saint-Vincent de Paul, ingénieusement nommée par un éminent critique les « Panathénées chrétiennes. >> Mais je désespère, je l'avoue, de pouvoir faire connaître aux lecteurs éloignés de Paris, aussi bien que je l'aurais souhaité, une œuvre d'art très-considérable, œuvre excellente et d'une haute signification.

Toutes les fois que ma pensée se reporte sur la peinture murale, j'éprouve un vif sentiment de reconnaissance pour le conseil municipal de la ville de Paris et l'administration qui l'a si bien secondé. Voilà vingt-cinq ans qu'il excite et encourage les artistes à aborder ces travaux d'un ordre supérieur. Si la grande peinture fleurit encore en France, c'est lui qu'il faut remercier. Avec une générosité de prince, il s'est hâté d'ouvrir un vaste champ à ceux dont l'inspiration a besoin d'air et d'espace. Il est venu en aide à ces talents dont l'énergie productrice se déploie surtout dans la sphère élevée des sujets sacrés. Oui, le conseil municipal a sauvé le grand art si fortement atteint par la mesquinerie de nos mœurs et de nos for

Tome VII.

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tunes. Il l'a rendu indépendant du public, qui ne s'éprend d'ordinaire que pour ce qui l'amuse ou flatte ses passions.

Décorer les monuments, tel a été le premier objet de la peinture, tel est son plus noble emploi. Non-seulement la peinture murale enrichit un édifice, le caractérise, mais elle lui donne la vie, elle le fait parler. Les Grecs l'avaient bien vu. Pour les faire concourir à un but commun, ils réunirent les trois arts par le lien le plus étroit, trinité charmante d'où jaillirent des effets d'une beauté inouïe. Guidé par quelques traditions classiques échappées au naufrage, le moyen âge prit feu pour la peinture murale. En Allemagne, en France, en Italie, églises, chapelles, oratoires et monastères, tout fut couvert de peintures qui remplacèrent les mosaïques ou vinrent les compléter. Une église nue paraissait à nos pères une œuvre morne, insipide ou muette. Nous les appelons barbares. Ah! ils l'étaient bien moins que ceux qui, dans des siècles policés et savants, nous ont dérobé, par un affreux badigeon, les naïves, les poétiques inventions des siècles d'enthousiasme et de foi.

Malgré sa révolte contre le moyen âge, la Renaissance est entrée dans la voie qu'il avait suivie. Et de même que les fresques d'Assise et du Campo-Santo nous font voir comment la peinture murale régénérée en Italie annonça, dès son éclosion, qu'elle serait la gloire de l'art, de même la Cène, par Léonard de Vinci, les Loges, les Stanze, au Vatican, et la chapelle Sixtine, productions immortelles, nous la montrent à son apogée, et par cela même voisine de son déclin.

Nulle église ne pouvait mieux que Saint-Germain des Prés présenter une belle page à remplir au pinceau chaste et grave de M. Hippolyte Flandrin. Beaucoup de Parisiens n'ont visité et ne visiteront de leur vie cet édifice, dont les constructions accusent deux dates différentes, car il est moitié roman et moitié gothique. Dix piliers, cinq de chaque côté, formés de quatre colonnes engagées sur lesquelles retombent des arcades à plein cintre, séparent la nef romane de ses bas-côtés, tandis qu'au rond-point du chœur gothique les arches en ogive reposent sur des colonnes isolées. Rehaussée par des couleurs, grâce au talent sérieux de M. Victor Baltard, cette architecture, redevenue ce qu'elle était, c'est-à-dire polychrome, ressort merveilleusement. Tout renaît, tout revit dans la décoration de cette église nommée jadis Saint-Germain le Doré. Longtemps inaperçus, les détails de l'ornementation ressortent maintenant avec une netteté admirable. Imaginez un heureux mélange de simplicité et de richesse,

de sévérité et de grâce, de noblesse et de force, et vous connaîtrez Saint-Germain des Prés.

Il y a déjà vingt ans que pour la première fois M. Flandrin a commencé l'œuvre de restauration qu'il termine aujourd'hui. Ce chœur, tout éclatant de dorures comme une église vénitienne, était alors nu et délabré. Ce fut pour ainsi dire à l'insu du public que l'artiste, dans toute la verdeur de la jeunesse, couvrit ce sanctuaire de peintures selon le goût byzantin. Jésus portant sa croix (composition pathétique), l'Entrée du Christ à Jérusalem; des évangélistes, des saints d'un style grandiose et du dessin le plus correct, se détachant sur un fond d'or, révélèrent qu'un homme nouveau et convaincu, qu'un vrai peintre catholique, rareté bien grande, promettait d'honorer l'art français. Des travaux de cet ordre ne pouvaient rester inachevés; le conseil municipal le sentait à merveille. Toutefois rien ne se faisait; mais un beau jour la ville décide que la nef de Saint-Germain des Prés sera décorée. De là les nouvelles peintures, dont il est temps de parler.

Ces peintures sont l'expression d'une idée théologique fondamentale, dont l'art ne s'était point encore emparé avec autant d'intensité et de persévérance. Leur auteur a voulu montrer « Jésus-Christ dévoilé pour les chrétiens après avoir été voilé pour les patriarches et pour les Juifs.» En d'autres termes, il a représenté sur les vieilles murailles de l'église de Childebert le mystère de la Rédemption apparaissant déjà sous les voiles du symbole dans l'Ancien Testament. A-t-il interprété dignement des paroles d'esprit et de vie? Comment son talent élevé s'est-il rendu maître d'un sujet si auguste et si mystérieux? Voilà ce que nous allons examiner.

La frise dont nous avons parlé offre des divisions architecturales que M. Flandrin a mises à profit, car elles forment naturellement les sections ou chapitres du livre sacré qu'il déroule sous nos regards. Ainsi, dans l'espace compris entre chacun des piliers sur lesquels retombe chaque arcade, piliers s'élançant jusqu'aux voûtes, cette frise renferme deux compositions qui ne sauraient être séparées sans perdre leur signification et par là de leur importance et de leur beauté. La première représente toujours quelque événement de la vie mortelle du Rédempteur. La seconde la complète et l'éclaire en nous montrant le fait capital et la prophétie qui longtemps à l'avance l'annoncèrent aux Juifs. Grâce à une combinaison des plus simples, nous pouvons voir d'un coup d'œil comment les patriarches

et les prophètes étaient, selon ce qu'on nous enseigne, la figure de Jésus-Christ, et comment les promesses de l'antique alliance se sont accomplies dans la nouvelle.

Moïse prosterné devant le buisson ardent est le tableau complémentaire de l'Annonciation; la désobéissance d'Adam et d'Ève se voit à côté de la naissance de Celui qui répara leur faute. Près de l'Adoration des Mages, Balaam prophétise qu'un astre s'élèvera au milieu d'Israël, Le Baptême du Sauveur se lie au passage de la mer Rouge. L'institution de l'Eucharistie et Melchisédech, figure du pontife éternel, sont réunis dans la même travée. Deux grandes trahisons se trouvent représentées sur la muraillè qui fait face : l'éminent artiste nous montre Joseph vendu par ses frères, et le crime de Judas. L'oblation de Jésus-Christ sur la croix a pour tableau complémentaire Abraham au moment de sacrifier son fils. La Résurrection de Jonas est près de celle du Sauveur. Enfin, à côté des Apôtres recevant de Jésus-Christ la mission de ramener toutes les nations de la terre à une seule croyance, à une foi unique, nous voyons la Confusion des langues diviser les hommes au pied de la tour de Babel, et les pousser dans toutes les directions.

De nombreux personnages surmontent cette frise, ce sont tous les héros de l'Ancien Testament. Isolés ou groupés, ils s'encadrent dans des arcatures simulées. Législateurs, patriarches, pontifes, rois, prophètes, personne n'est oublié. On y trouve même des femmes : Jahel, Judith et Débora. Adam et Ève sont en tête de cette cohorte sainte, derrière laquelle se tient saint Jean le Précurseur. Le haut de la nef est animé par ces figures d'une beauté sérieuse et sauvage. C'est bien là Israël et son génie austère. Rendues vivantes par la pose et par des gestes plein de vérité ou d'énergie, les images de ces illustres défenseurs de la loi écrite, de la loi sainte, se détachent sur un fond bleu. L'effet général est saisissant.

On reproche à l'art catholique le choix de ses sujets; ces tableaux de martyrs, où les tortures les plus effroyables sont reproduites avec un soin hideux, ont soulevé l'indignation de la critique, et la critique a eu raison. Dieu merci, nous ne voyons rien de pareil dans les peintures de St-Germain des Prés. Ici règnent sans partage l'Évangile et l'Ancien Testament. Ici le christianisme apparaît dans sa douceur primitive et son admirable simplicité. Le talent, dans cette œuvre lumineuse et pure, n'y froisse jamais nos âmes et ne nous fait rien regretter.

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