Sidebilder
PDF
ePub

légère et plus vive. Aristide s'abandonna au plaisir de parler de sa chère Henriette, et je comprenais, au son de sa voix, que les larmes étaient bien près de ses yeux. Bientôt toutes mes craintes s'évanouirent, et je jugeai à propos de rentrer chez moi pour me reposer et le laisser seul.

Je ne sais depuis combien de temps j'étais endormi, lorsque tout à coup je suis réveillé en sursaut par le bruit des portes qui s'ouvrent et se ferment, et des gens qui vont et viennent... Un garçon d'hôtel est auprès de mon lit, j'ouvre l'œil...

treize?

Monsieur, me dit-il, connaît le jeune homme du numéro

- Eh bien?

- Il se meurt!

Aristide!...

Sauter à bas de mon lit et courir à moitié nu au numéro treize fut l'affaire d'une seconde... Il se mourait, en effet... étendu sur son lit en désordre, les yeux à moitié ouverts et vitreux, la face injectée, il râlait... Je l'appelai par son nom... Il se souleva, puis retomba sur son oreiller, il était mort... Le médecin qui tenait une de ses mains, me dit... Je ne sais ce que me dit le médecin; il m'expliquait l'effet d'un poison violent... J'étais anéanti... Lorsque je revins de cette première secousse, je pleurai amèrement.

Le lendemain on l'ensevelit sans bruit. Je le suivis seul à sa dernière demeure.

Je n'ai jamais voulu creuser davantage les détails de cette fin tragique.

Lorsque j'eus jeté sur lui une poignée de terre, je le laissai là, aussi terriblement secoué qu'un arbre frappé de la foudre. Je quittai Vevay le jour même.

J'ignore par qui et comment madame Brunier a appris cette catastrophe. Je sais seulement qu'elle est demeurée veuve et qu'elle n'a jamais voulu quitter le deuil.

Quant à madame Muller, elle passe dans son petit monde pour une victime, et chacun la plaint. Le docteur Gaspard est toujours fort assidu auprès d'elle, et c'est lui qui chaque soir fait sa partie de piquet, malgré la répugnance qu'il avait professée toute sa vie pour le jeu de cartes.

EDMOND CASTELLAN.

SURINTENDANT DES FINANCES

ET MLLE DE TRESESON'

I

En 1658, Nicolas Fouquet, surintendant des finances, avait, en outre, comme procureur général du parlement de Paris, une autorité considérable dans le premier corps judiciaire du royaume. Sa famille était pourvue de hautes dignités ecclésiastiques et laïques. Son frère aîné, François Fouquet, était archevêque de Narbonne; un frère plus jeune, Louis, qui avait débuté dans la magistrature, était aussi entré dans le clergé et avait été nommé à l'évêché d'Agde. Basile Fouquet, que l'on appelle ordinairement l'abbé Fouquet, parce qu'il était abbé commendataire de Barbeau et qu'il touchait les revenus de ce bénéfice d'église sans être prêtre, l'abbé Fouquet était l'homme de confiance du cardinal Mazarin; il tenait les clefs de la Bastille, dirigeait la police sans titre officiel, emprisonnait arbitrairement ceux qui avaient le malheur d'exciter sa défiance2, et en récompense de ses services occultes, Mazarin le comblait de faveurs. L'abbé Fouquet avait acheté la survivance de la charge de procureur général occupée par son frère, il était chancelier de l'ordre du Saint-Esprit, et portait, au grand scandale de la noblesse, le cordon bleu réservé aux personnages du plus haut rang. C'est avec ces insignes et le brillant costume d'un gentilhomme que l'a représenté Nanteuil, dans deux excellentes gravures qui sont précisément de l'époque qui nous occupe.

Entouré d'une famille puissante et soutenu par la faveur déclarée du cardinal, Nicolas Fouquet ne sut pas s'arrêter, et c'est de lui surtout que l'on a pu dire qu'il fut enivré par la prospérité. Il

1. Cet article est extrait d'un ouvrage de M. Chéruel, que doit publier prochainemeut M. Charpentier sous le titre de Mémoires sur la vie privée et publique de Nicolas Fouquet, surintendant des finances.

2. Voy. les Mémoires de Gourville, édit. Michaud et Poujoulat, p. 518, 2e colonne.

rechercha pour ses enfants les alliances les plus illustres, et pour luimême des places de sûreté, qui annonçaient de dangereux projets. Sa fille aînée épousa Armand de Béthune, comte de Charost, qui devint dans la suite duc et pair de France. Nicolas Fouquet acheta, sous le nom de la marquise d'Asserac (Pélagie de Rieux), Belle-Isle, qu'il fit fortifier avec le plus grand soin et où il engloutit des millions. Des ingénieurs, appelés de Hollande, travaillèrent pendant plusieurs années à faire de cette île une forteresse redoutable. En même temps. l'amiral de Neuchèse s'engageait à tenir sa flotte à la disposition du surintendant. Le gouverneur du petit port de Concarnau lui jurait d'être à lui, envers et contre tous. Un des présidents du parlement de Bretagne, M. de Maridor, signait la même déclaration. Ainsi, la Bretagne devenait, pour l'ambitieux surintendant, un fief où il comptait, en cas de danger, trouver un asile et braver le cardinal et le roi.

Mazarin n'ignorait pas les projets de Fouquet; il avait près de lui des espions qui l'avertissaient de l'achat et des fortifications de BelleIsle. Il savait aussi que le surintendant venait d'acquérir le duché de Penthièvre, sous le nom d'un traitant, nommé Boylève; qu'il faisait bâtir à Vaux-le-Vicomte, près de Melun, un palais plus splendide que les maisons royales, et qu'il entassait à Saint-Mandé des livres précieux et des objets d'art qui sont constatés par les inventaires dressés après l'arrestation du surintendant. Nous n'avons pas de renseignements sur les conseils que Mazarin donna à Nicolas Fouquet; mais il est évident, par la conduite que tint alors le surintendant, qu'il fut averti que le cardinal le surveillait et pouvait, dans un moment de juste indignation, le faire arrêter et mettre en jugement. Il rédigea, en effet, à cette époque (1657'), le fameux projet où il prévoyait les mesures que ses amis devraient prendre dans le cas où il serait arrêté. Fouquet modifia son plan l'année suivante, comme le prouvent les ratures et divers détails qui se rapportent à des événements de l'année 1658. Je n'insiste pas sur ces faits, qui sont connus; mais ce que je veux exposer, c'est une intrigue compliquée que dirigeait en même temps Nicolas Fouquet à la cour de Savoie, et qui avait pour but de lui assurer l'appui de la princesse qui paraissait destinée au trône de France.

1. Voy. l'ouvrage de M. P. Clément sur Colbert, et aussi les Mémoires de Gourville, même édit., p. 530.

Il était sérieusement question, en 1658, du mariage de Louis XIV avec Marguerite de Savoie, et la cour se préparait à se rendre à Lyon, où devait avoir lieu l'entrevue. Le surintendant, averti de ces projets de mariage, résolut de s'emparer de l'esprit de la jeune reine et de s'en faire un appui à la cour. Cette négociation délicate exigeait dans l'agent de Fouquet une grande habileté pour s'insinuer dans les bonnes grâces de la princesse et de sa mère; il fallait dissimuler l'ambition du surintendant, tout en promettant son appui pour la réalisation des projets de mariage, enchaîner doucement par la reconnaissance la maison de Savoie à la cause de Fouquet et se servir de la future reine dans l'intérêt de sa puissance.

Le surintendant confiait de préférence à ses maîtresses la conduite des affaires de cette nature. Madame du Plessis-Bellière était devenue le plus actif auxiliaire de ses projets ambitieux. C'était à elle que Fouquet, dans le plan dont nous avons parlé, remettait la direction de tous ses amis. Ce fut elle encore qui se chargea de mener l'intrigue de la cour de Savoie. Elle avait appelé près d'elle une jeune Bretonne, sa nièce, mademoiselle de Treseson, dont l'esprit était vif et délié et les principes peu austères. Fouquet avait exercé sur la jeune Treseson une séduction qui ne s'explique pas seulement par la richesse et la puissance du surintendant, mais qui tenait encore aux charmes de son esprit. Ce fut elle qui fut choisie pour se rendre à la cour de Savoie et y jouer un rôle qui exigeait autant de finesse que de dévouement1.

Elle partit au mois d'août 1658 pour se rendre à Turin. Une première lettre qu'elle écrivit à Fouquet est datée de Grenoble, et n'exprime que les regrets de l'éloignement : «Je reçus hier en arrivant ici une lettre de vous qui m'y attendait. Je ne vous ferai point de compliment sur la peine que vous avez eue à l'écrire, et vous dirai librement qu'il est bien juste que vous preniez quelque soin de me consoler pendant mon voyage, puisque vous êtes cause que je le fais avec bien

1. Les lettres de mademoiselle de Treseson sont conservées à la Bibliothèque impériale. L'interprétation présente des difficultés qui tiennent à un système alors fort usité pour déguiser les noms des personnages et des villes : Fouquet s'appelle M. le Baron; mademoiselle de Treseson, mademoiselle de Bel-Air; madame du Plessis-Bellière, madame du Ryer; le roi Louis XIV, M. le Président; la duchesse de Savoie, madame Aubert; le cardinal Mazarin, M. le Conseiller; le duc de Savoie, M. Duclos; sa sœur Marguerite, mademoiselle Le Roy, etc. J'ai fait disparaître ces pseudonymes dans les lettres que je publie; ils ne serviraient qu'à dérouter et fatiguer le lecteur.

de la mélancolie. Si le petit cabinet m'est assez fidèle pour vous faire souvenir de moi, je lui promets d'augmenter l'amitié que j'avais pour lui, et de redoubler mes souhaits pour le voir bientôt. Je vous conjure de continuer d'en faire pour mon retour, et de croire que vous ne me sauriez procurer rien de plus agréable que l'honneur de vous voir. >>

Cette lettre en dit assez sur les relations antérieures de Fouquet et de mademoiselle de Treseson, et sur l'étrange ambassadeur qui allait représenter les intérêts du surintendant à Turin.

II

Mademoiselle de Treseson arriva à la cour de Savoie au mois d'août 1658, et y fut présentée comme parente du comte de Brulon, qui y avait de nombreuses et puissantes relations. Elle n'avait qu'une beauté médiocre, mais, avec de l'esprit et les recommandations secrètes du surintendant, elle s'insinua promptement dans les bonnes grâces de la duchesse douairière de Savoie, Christine de France, que l'on appelait habituellement Madame Royale; elle devint une de ses filles d'honneur. Dès le mois de septembre suivant, elle écrivait à Fouquet : « L'on me témoigne ici autant d'amitié qu'à mon arrivée, et je trouve même qu'elle s'augmente tous les jours. Je vous mande ceci afin de vous faire voir une marque de celle que Madame Royale et la princesse Marguerite ont pour vous en témoignant une estime trèsparticulière pour une personne que vous avez eu la bonté de leur recommander. » Et plus loin : « Madame Royale m'a entretenue plus d'une heure aujourd'hui de tous les intérêts de sa famille. Les caresses qu'elle me fait donnent de l'envie sans causer du soupçon; car l'on est assez accoutumé à lui voir une amitié particulière. » Le soupçon que redoutait mademoiselle de Treseson, et qu'elle s'efforçait d'éloigner, était celui de sa liaison avec Fouquet, et de la mission qu'elle avait reçue du surintendant pour lui gagner la cour de Savoie. Elle réussit quelque temps à bien dissimuler son rôle, et elle profita de cet intervalle pour s'emparer des trois personnes qu'il était le plus important de lier à la cause du surintendant: la duchesse douairière de Savoie, la princesse Marguerite et le jeune duc de Savoie Charles-Emmanuel.

La duchesse douairière était Christine de France, fille de Henri IV, et régente de Savoie depuis plus de vingt ans. Elle avait alors cinquante ans, et conservait encore des restes de son ancienne beauté.

« ForrigeFortsett »