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individu résolu à braver la mort pour exciter une sédition, sera retenu par la crainte de l'amende qu'il encourra en ne se soumettant pas à la loi sur la censure? D'ailleurs, il faut croire qu'un Gouvernement est établi sur des fondemens bien fragiles pour craindre qu'une brochure puisse le renverser. La patience des peuples devrait avoir rassuré ces gens qui paraissent si timides; car ils n'ignorent pas qu'il leur faut au moins huit siècles d'oppression et de misère pour les obliger à se remuer. Au reste, quelle que soit la prétendue vivacité qu'on attribue aux Français, ils ne sont pas aussi inflammables qu'on veut bien le dire; et les villes où l'on publie le moins de brochures nė sont peut-être pas celles du royaume où les esprits sont les plus calmes. Il semble, au contraire, que la douleur s'irrite par l'impossibilité de se plaindre; on se croit vengé du mal qu'on souffre quand on peut en nommer l'auteur.

Pour mieux sentir la force des raisons qu'on peut donner en faveur du rétablissement de la censure, supposons que les ministres d'un Roi rassemblent tous les savans, tous les magistrats, enfin tous les écrivains de la nation, et qu'ils leur parlent en ces termes : Vous avez tous le droit de publier vos pensées, et de dénoncer ceux de nos agens qui vous oppriment: ce droit est très-précieux, et personne n'en conteste ni la justice ni les avantages; cependant, comme vous êtes tous enclins à la calomnie, et que vous pourriez vous diffamer mutuellement; comme vous êtes des étourdis qui pourriez vous

révolter sans motif, si quelqu'un de vous en faisait la proposition; comme un livre immoral pourrait corrompre vos mœurs ou troubler vos petits cerveaux, nous venons vous proposer une mesure qui préviendra tous ces inconvéniens. Vous allez renoncer, en notre faveur, au droit qui nous était commun; mais nous ne voulons point que votre renonciation soit gratuite; car nous vous promettons de vous laisser publier vos ouvrages tant que cela nous fera plaisir (1), et de vous dire la vérité toute les fois que cela pourra nous être utile. Que si quelqu'un de vous croit avoir à se plaindre de nous ou de nos agens, il ne pourra cependant rendre ses plaintes publiques qu'après que nous lui en aurons accordé la permission; par ce moyen, Vous serez toujours polis les uns envers les autres, vous vivrez tous heureux et tranquilles, et vous ne troublerez ni notre repos, ni celui de nos agens.

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Voilà, ce me semble, toutes les raisons qu'on nous donne, lorsqu'on demande le rétablissement de la

censure.

Cependant, Monseigneur, si vous vous montrez sévère envers tous les pauvres auteurs, vous vous

́ (1) « Il y a lieu à saisie et séquestre d'un ouvrage s'il » ést déféré aux tribunaux par son contenu.» (Art. 13 du projet de loi.) Or, comme le ministère public peut déférer arbitrairement tous les ouvrages aux tribunaux, et que la saisie précède le jugement, il est clair qu'on pourrait tous les faire saisir.

montrez bien indulgent envers les hommes d'église ; vous les autorisez à publier, sans aucune espèce de censure préalable, des catéchismes et les livres de prières. Mais, croyez-vous, Monseigneur, que ces Ouvrages ne puissent pas être aussi dangereux que des ouvrages philosophiques? La religion ne saurait être nuisible sans doute; mais ses ministres en abusent quelquefois d'une manière bien cruelle. Lors. qu'ils nous annoncent, par exemple, que, quand l'heure sera venue, les hérésies et les schismes s'enfuiront comme les ennemis et les usurpateurs du trône français (1), ne nous déclarent-ils pas que l'esprit de persécution, dont ils furent jadis animés, est tout prêt à se rallumer? Vous autorisez la libre publication des livres de prières ; mais pensez-vous qu'un recueil de prières semblables à celles que. Jacques Clément adressait au ciel avant l'assassinat de Henri III, serait un recueil fort édifiant? D'ailleurs. que ne peut-on pas convertir en prières ou en mandemens?

Ainsi, sous quelque rapport que l'on considère le projet de loi destiné à établir la censure, on voit qu'il ne peut être adopté sans le plus grand danger; premièrement, parce que la suppression de la liberté de la presse compromettrait essentiellement la liberté de la nation, et celle des particuliers ; en second lieu, parce qu'elle arrêterait toutes les vérités que le Roi

(1) Mandement de MM. les vicaires généraux du chapitre métropolitain de Paris, du 3 juin 1814, page 10.

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aurait le plus d'intérêt à connaître; enfin, parce qu'elle donnerait du prix aux livres immoraux ou séditieux qui échapperaient à la censure. On doit donc espérer que ce projet ne sera point adopté. Je suis, etc.

Paris, ce 9 juillet 1814.

COMTE.

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OBSERVATIONS

Sur ce qui s'est passé à la chambre des députés, depuis le premier jusqu'au 12 juillet.

L'ARTICLE 8 de notre charte constitutionnelle avait clairement et solennellement proclamé la liberté de la presse. Tous les délits qu'on peut commettre, par l'abus de cette liberté, étaient prévus et punis par nos lois pénables; elle se trouvait assise sur ses véritables bases; tout était fait : nous n'avions plus qu'à en jouir, et à faire exécuter les lois destinées à lui servir de sauve-garde et d'appui. On l'a supposée mal établie; on a voulu la consolider, et l'on nous met en péril de la perdre.

On a vu, dans notre dernier numéro, comment la chambre, dans sa séance du 30 juin, avait accueilli le discours de M. Durbach sur la liberté de la presse. Les ennemis de cette liberté crurent reconnaître, dans les sentimens que venait de manifester la chambre, des dispositions favorables à l'abolition d'un droit qui les effraie. Ils voulurent profiter

du moment. Dès le même jour, plusieurs députés demandent à s'inscrire pour faire de nouvelles propositions, et, dans la séance suivante ( le 2 juillet), M. Faure invite la chambre à supplier S. M. de présenter, dans le plus bref délai, un projet de loi qui règle les droits et les devoirs des auteurs et des imprimeurs, et préserve la liberté de la presse de la licence qui tend à la détruire. Il obtient la parole pour le surlendemain, 4 juillet.

Dans la séance de ce jour, M. Faure, appelé à développer sa proposition du 2, fait les trois questions suivantes. Il demande d'abord ce qu'on entend par la liberté de la presse ? « Est-ce la faculté de tout écrire, de tout imprimer, de tout publier, sans >> crainte d'être blâmé, d'être attaqué par qui que » ce soit ? » Qui pouvait avoir une telle pensée ? » Il est évident que M. Faure posait mal la question, et ce n'était pas montrer l'intention de la discuter franchement. Ma pensée est à moi, ajoutait-il, elle est mon domaine privé; elle ne doit donc, dirat-on, attirer sur moi aucune peine.—Qui dira cela ? Qui jamais a pu dire cela ? Mon épée est à moi aussi, elle est mon domaine privé: si je m'en sers pour commettre un meurtre, ne devra-t-elle attirer sur moi aucune peine ? M. Faure dépasse toutes les bornes dans cette question ; on n'a jamais demandé si l'on pourrait calomnier, diffamer, corrompre, sans crainte d'être attaqué par qui que ce fût. Personne ne peut désirer que la liberté de la presse aille jusques-là, si ce n'est peut-être ceux qui demandent la censure.

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