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II. PARTIE.

OUVRAGES

DE LÉGISLATION, DE POLITIQUE ET DE MORALE.

MÉMOIRE

ADRESSÉ AU ROI

PAR M. CARNOT,

Lieutenant-général, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, membre de la légion-d'honneur, de l'Institut de France, etc.

Sous le règne de la convention ou du directoire, un grand nombre de personnes de toutes les classes ont péri victimes de leurs opinions, de la jalousie et de la vengeance de leurs ennemis, ou des fureurs populaires.

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Leur mort, qui presque toujours a eu lieu sous les yeux du peuple, et pour des causes souvent inconnues ou très-légères, a jeté la terreur dans l'ame de tous ceux qui en ont été les témoins, parce qu'ils avaient tous à craindre d'éprouver le même sort. Cependant, soit que le nombre des victimes peu considérable relativement à la masse de la nation, soit que les personnes qui ont péri eussent déjà fourni leur carrière, il est constant que la France a été peu affaiblic de leur perte, si l'on en juge du moins par l'état où elle s'est trouvée lorsque le directoire a été renversé.

ait été

Dans le même temps, on a levé des armées considérables, et l'on a pris quelquefois des mesures très-rigoureuses pour les former; mais comme le gouvernement cherchait moins à faire des conquêtes qu'à préserver le territoire de l'envahissement des ennemis, on n'a pu lui faire un crime ni des guerres qu'il a soutenues, ni des mesures qu'il a prises pour en assurer le succès: il est remarquable d'ailleurs que ces armées n'ont jamais été l'instrument de l'oppression inté

rieure, et que les excès auxquels on s'est livré ont été commis en général par la dernière classe du peuple.

La chute des assignats a porté une atteinte considérable aux fortunes particulières; cependant, comme on n'a pu l'attribuer aux dilapidations des hommes qui gouvernaient, puisqu'ils se sont presque tous retirés du gouvernement aussi pauvres qu'ils y étaient entrés, comme d'ailleurs la répartition des grandes propriétés a réparé ces malheurs individuels, la France s'en est pen ressentie, et quelques années de calme ont suffi pour faire oublier cette espèce de banqueroute.

Sous quelques rapports, l'éducation a été négligée; mais sous d'autres, elle s'est perfectionnée, et l'étude de la législation et de la morale a gagné ce que l'étude des belleslettres a perdu. Le despotisme, qui semblait commandé par les circonstances, était dans les hommes qui gouvernaient, mais il n'était pas dans les institutions; et tandis que les premiers hommes de l'état agissaient en tyrans, ils faisaient graver dans l'esprit des jeunes. gens des principes de liberté que le despo

tisme de Bonaparte n'a jamais pu détruire, et contre lesquels viendrout échouer tous les despotes à venir.

En un mot, sous les gouvernemens qui se sont succédés depuis le commencement de la révolution, il y a eu de grands désordres, et il s'est commis de grands crimes; mais la nation, bien loin de s'affaiblir, a acquis, au contraire, des forces prodigieuses; et lorsque

le

gouvernement a su régulariser ses mouvemens, on a vu sortir de son sein des armées formidables contre lesquelles tous les peuples de l'Europe auraient lutté vainement, si l'insensé qui marchait à leur tête, n'était pas allé les ensevelir dans les provinces de l'Espagne ou dans les déserts de la Russie. La France avait acquis une telle force, qu'il a fallu vingt années de guerres, une oppression intérieure insupportable, des désastres inouis, et la coalition de tous les peuples de l'Europe, pour lui faire abandonner ses conquêtes.

Dès l'instant que Napoléon a eu pris en main les rênes du gouvernement, il a réuni toutes les forces de la nation; mais, au lieu de les employer à augmenter la prospérité

de la France, il ne les a fait servir qu'à satisfaire son ambition particulière. Il a commencé par mettre le despotisme dans les institutions, et il a cherché ensuite à le faire passer dans les moeurs. Il a régularisé l'éducation: mais ce n'a été que pour la corrompre. Dans la crainte que les ouvrages qu'il mettait dans les mains des jeunes gens ne leur donnassent quelques idées dé liberté, il les a fait mutiler. Il a présenté l'obéissance à sa volouté comme le plus saint de tous les devoirs, et la résistance comme un crime digne de la damnation éternelle. Il a enlevé aux citoyens la liberté de la presse, et il s'en est servi pour répandre dans la Nation entière les fausses doctrines qu'il faisait professer dans les écoles. Il a pris à ses gages quelques lâches journalistes, et il les a fait continuellement déclamer contre la philosophie, afin d'avilir les sciences, et de donner aux hommes ce degré de stupidité qu'exige toujours le maintien d'un gouvernement despotique.

Bonaparte a fait périr peu d'hommes par les voies judiciaires; il en a peu immolé à ses ces; mais il a livré à la mort quatre on

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