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COMMISSION INTERPERMANENTE

Sa COMPOSITION, ses POUVOIRS et les TRIBUNAUX INTERNATIONAUX

COMMUNICATION

PRÉSENTÉE

A LA CONFÉRENCE DIPLOMATIQUE INTERNATIONALE DE WASHINGTON

en 1899

PAR

M. T. AUGÉ

Capitaine au long cours

Président de « l'Union Syndicale Mutualiste des Inscrits Maritimes du Havre »

La mer libre n'est la propriété de personne, elle est d'un usage commun à tous les peuples navigateurs. Le développement de la navigation avec les engins modernes, les richesses. immenses que l'on confie à la mer, les bienfaits économiques qui en résultent pour tous les peuples de la terre, ont nécessairement, de tous les temps, appelé l'attention des gouvernements civilisés sur l'usage que les navigateurs font et doivent faire de cette mer libre, qui n'est et ne saurait être ni le patrimoine commun des peuples maritimes, ni le patrimoine particulier d'aucune nation.

Chaque nation, chaque peuple maritime, a le droit de faire dans la mer libre tout ce qui lui convient, à la condition cependant, de ne pas nuire à la liberté d'autrui.

Et c'est de ce principe vrai que découle le droit incontestable pour les gouvernements maritimes de régler impersonnellement et dans un intérêt commun, l'usage de cette mer libre, usage, nous l'avons dit, qui ne doit avoir pour bornes que la liberté des autres; de là, la condition essentielle que tous les peuples qui naviguent soient soumis à cette loi commune qui règle l'exercice que l'on doit faire de cette propriété neutre, qui ne saurait avoir un maître, et dont l'usage est imprescriptible. La Conférence doit donc être composée des représentants de tous les peuples maritimes, et ses pouvoirs peuvent alors s'exercer légitimement, sur tous les actes de la navigation, qui ont un caractère d'intérêt général commun à tous les navigateurs, pour l'usage qu'ils font de cette mer libre; en un mot, pour protéger la liberté d'autrui, dans l'exercice de sa propre liberté.

Et c'est pour cela qu'il est nécessaire aujourd'hui, en présence des dangers que font courir les bateaux rapides aux autres navigateurs, que les nations civilisées se réunissent, pour poser les bases d'un Code international commun à tous les peuples maritimes; et établissent des règles fixes pour les conflits internationaux qui peuvent surgir dans cette mer libre et pour éviter les catastrophes fréquentes qui font gémir l'humanité.

La Conférence de Washington, d'après le programme, n'a pas d'autre but.

Pour arriver à des résultats pratiques, nous pensons qu'après la vérification des pouvoirs des délégués, la Conférence devrait se diviser en cinq Commissions, et siéger en permanence jusqu'à ce qu'une solution définitive sorte de ses travaux :

1° Une Commission révisant le règlement international de 1884 composée de marins-manœuvriers ayant exercé de longs commandements à la mer, à la voile et à la vapeur ;

2o Une Commission pour examiner les signaux visuels de jour et de nuit, phoniques, etc., composée de marins-timoniers, car il faut pour cela être spécialiste, avoir des connaissances particulières sur cette partie du programme;

3o Une Commission de marins-ingénieurs, étudiant la navigabilité des navires, le tirant d'eau, les bouées et balises, enfin tout ce qui concerne le génie maritime;

4° Une Commission de marins-hydrographes, étudiant le tracé des routes d'aller et de retour sur les cartes à l'usage des rapides, pour les points les plus fréquentés par ces sortes de

navires.

5o Une Commission de marins-légistes, pour établir les règles qui doivent prévenir les conflits, et régler tout ce qui concerne la procédure, entre navires de nations différentes.

Les cinq spécialités, ci-dessus indiquées, se rencontreront certainement dans les délégués des seize nations adhérentes, et à cette condition, l'œuvre de la Conférence sera féconde et pratique, nous ne saurions en douter; la nomination des délégués des Etats-Unis et la spécialité connue des membres qui la composent, nous est un sûr garant du succès, si les autres nations, comme il n'y a pas lieu d'en douter, s'inspirent des mêmes idées, et des mêmes sentiments.

Nous allons, dans ce dernier rapport, traiter les réformes et les créations qui nous semblent nécessaires, sans toucher au droit des gens, pour arriver à la solution pratique du problème qu'à notre avis devra résoudre la cinquième Commission de la Conférence.

Cette grave question de juridiction internationale est une des plus délicates qu'ait à traiter le Congrès, et cependant elle est des plus nécessaires et des plus urgentes à résoudre; nous croyons que, sans froissement aucun, elle peut être résolue d'une manière équitable et pratique, sans empiéter sur les droits souverains de chacune des puissances contractantes.

Prétendre de créer des tribunaux internationaux à un ou deux degrés, dans les grandes métropoles maritimes, ne nous paraît pas pratique.

Il suffirait, selon nous, d'un tribunal suprême international établi en pays neutre, et composé de magistrats internationaux pour juger souverainement, en fait et en droit, les jugements nationaux en dernier ressort, qui lui seraient déférés. La procédure serait simple et peu coûteuse; elle aurait lieu sur requête, sans ingérence d'avocats ni d'avoués.

Les documents de la cause, les dits, les contredits fournis par les parties, le tribunal prononcerait souverainement dans un délai déterminé.

Ce tribunal aurait dans sa compétence, au point de vue des réparations civiles, toutes les contestations résultant de délits et de quasi délits, par suite de violation du règlement international relatif aux collisions.

Pour les tribunaux nationaux, devant connaître de ces réparations civiles jusqu'en dernier ressort, une simple règle de procédure, qui se pratique même souvent dans les pays hors d'Europe par nécessité, devenue générale, suffirait, à notre avis, comme réforme des tribunaux nationaux, pour juger les questions d'abordages.

On a parlé de célérité dans les affaires de ce genre, en matière de procédure maritime devant les tribunaux de commerce français, et même ailleurs, comme devant l'amirauté anglaise, la procédure est ce qu'il y a de plus sommaire et de plus rapide.

En France, un procès maritime n'est point long; il a d'abord la priorité pour le rôle; il ne faut que le temps moral et nécessaire pour l'instruction; ce sont parfois le ou les experts qui ne sont pas prêts pour leur rapport, ou même le plus souvent les avocats des parties qui font remettre l'affaire.

Nimporte quels tribunaux que l'on créerait sous n'importe quelle dénomination, ces tribunaux ne pourraient moralement être plus expéditifs que nos tribunaux de commerce, successeurs de nos anciennes amirautés.

Ces tribunaux ont-ils toujours, en fait, toute la compétence nécessaire pour prononcer sur des faits purement techniques? Parfois, selon la composition du tribunal, et toujours par des experts techniques ayant beaucoup navigué.

Par là, on comprend le rôle considérable que jouent les experts dans les questions maritimes internationales soumises à l'appréciation des tribunaux, questions spéciales s'il en fut, car, quiconque n'a pas navigué ne peut se rendre un compte bien exact des faits, purement techniques, qu'il peut être appelé à juger. Nous sommes sur ce point en désaccord avec les arrêts de la Cour de cassation des 2 juillet 1828 et 13 décembre 1842.

Dans la vie ordinaire, bien que l'on n'exerce par une profes sion, l'ensemble des connaissances générales que l'on peut posséder, permettent d'avoir un aperçu de cette profession. La vue, les relations, les entretiens avec des hommes compétents, la vérification d'un fait, toujours facile et possible par soi-même,

peuvent permettre à tout homme éclairé, d'avoir une idée de la chose qui est soumise à son appréciation, où à son juge

ment.

Ce serait une grande erreur, de croire qu'il peut en être ainsi des faits techniques passés à la mer, entre ciel et eau. L'équipage lui-même, rompu au métier, souvent ne peut se rendre compte, sur le coup, de la situation et des causes qui ont pu motiver une manœuvre de préférence à une qui semblait naturellement indiquée, et les magistrats consulaires ou autres, qui ne sont pas de la partie, malgré leur plus grande science juridique, il faut bien le dire, sont certainement ignorants des causes qui ont déterminé les faits qui'ls sont appelés à juger, ne les connaissant que par les rapports des experts.

La pierre angulaire de toute procédure pour des faits maritimes se rattachant aux collisions, réside dans l'intégrité des experts et dans la fidélité littérale de la traduction des documents servant de base légale au procès. Le rapport des experts en ces matières est généralement homologué, c'est donc ces derniers, qui en fait, sont les véritables juges, les magistrats prenant leurs décisions sur leurs dires et n'étant en un mot que l'écho de leurs conclusions.

En vain, nous dirait-on que le droit peut parfois être appliqué différemment à des faits déterminés; ceci est possible, mais pas en matière d'abordage; si le contraire a eu lieu, c'est que les documents relatant les faits n'étaient pas les mêmes, et s'ils étaient les mêmes, ils n'étaient pas traduits par la même per

sonne.

Voici, à notre avis, ce qu'il serait important de faire pour que le tribunal ayant à se prononcer sur un fait international d'abordage donnât une entière garantie d'impartialité aux parties sans toucher à l'organisation judiciaire.

Il faudrait que dans toutes les affaires de ce genre le rapport de l'affaire fut fait par trois experts et jamais par un seul, avec mission d'arbitre; procédure néfaste qui donne à un homme, sans responsabilité, le droit que la loi dénie à un seul magistrat. Si les parties veulent régler amiablement leur litige, rien de mieux, mais alors qu'elles nomment leurs arbitres en dehors du tribunal. Les trois experts seraient nommés, un par le tribunal et les autres par chacune des parties.

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