Sidebilder
PDF
ePub

1804.

ci ne fut qu'une belle apparence, et fut avilie dès son origine.

Le sénat romain n'arriva au dernier degré de corruption que par des causes morales et insensibles qui, tôt ou tard, agissent sur les corps délibérants. Il étoit réservé à la France d'offrir le spectacle d'une assemblée d'hommes qui, avant leur réunion et pris individuellement, étoient pour la plupart distingués, ceux-ci par de belles actions, ceux-là par de bons ouvrages, quelques uns par d'éminentes qualités, et qui, oubliant toute dignité et toute pudeur, manifestèrent dès leurs premières délibérations la lâche et muette complaisance qui caractérisa la décrépitude du sénat romain (1).

Ils n'osèrent jamais rien refuser à l'homme qui les avoit institués; comme si dès-lors ils avoient contracté l'obligation réciproque, lui de ne mettre aucun terme à son exigence, eux de n'en mettre aucun à leur défé

rence.

Si tout ce qu'il exigea de leur déférence s'étoit borné à lui livrer sans examen tous les hommes qu'il devoit immoler à son ambition, on pourroit excuser jusqu'à un certain point leur foiblesse par sa force, et dire que leur volonté n'eut aucune part à leur consentement : mais il n'y a pas moyen de se contenter de cette excuse, quand on les voit aller, séparément ou en corps, baiser la main sanglante qui saignoit le peuple aux quatre veines; quand on lit ces adresses si rampantes et si malheureuses, dont le style ne laisse pas plus de prétexte à leur crédulité que d'excuse à leur avilissement.

(1) Je ne connois pas de corps plus genuflexible que le sénat, disoit Louis-Sébastien Mercier. Le mot n'est pas françois; et c'est dommage, car il réunit la justesse à l'harmonie.

Soyons justes. Si le sénat en corps mérite tous les reproches que nous venons de lui faire, tous les sénateurs ne méritent pas d'être compris dans la même censure: quelques uns ont protesté contre la conduite de leurs collegues; d'autres l'ont désapprouvée par leur silence.

Nous devons ajouter qu'en se ralliant tout-à-coup et sans hésitation au vœu général de la nation, qui rappeloit les Bourbons après la chute de Napoléon, le sénat fit un acte de haute sagesse, éteignit le flambeau de la guerre civile, et nous rendit un service que tous ses torts précédents ne peuvent nous faire oublier.

gou

A mesure que nous avançons dans l'examen du vernement de Napoléon, nous acquérons la conviction qu'il avoit mis sa volonté à la place des lois, et qu'il s'étoit mis lui-même à la place de la nation. Tout n'étoit qu'apparences, fiction et jongleries dans ses institutions. S'il conserva quelques unes de celles que la nation chérissoit comme les sauvegardes de ses libertés, il sut les dénaturer et s'en servir avec adresse pour mieux assurer son despotisme.

1804.

Tel étoit le corps législatif, qui avoit traversé la ré- Corps lévolution sous différents noms, mais qui, sous n'importe gislatif. quel nom, avoit toujours conservé le droit de faire des lois : Napoléon lui ôta ce droit, et lui laissa son nom; ce n'étoit plus qu'un vain simulacre.

En lui imposant silence, il en fit une assemblée de muets qui n'avoit d'autre faculté que celle d'écouter les orateurs du conseil d'état, quand ceux-ci venoient lui signifier les volontés de l'empereur.

Malgré la nullité de leur rôle, auquel ils paroissoient accoutumés, les souvenirs de celui qu'ils avoient

1804.

joué dans les premiers temps de la révolution lui inspiroient parfois de l'ombrage. On s'en aperçut un jour, à l'occasion que nous allons rapporter.

Dans une réponse que l'impératrice Joséphine adressa à une députation du corps législatif, par habitude ou par inadvertance, elle prononça les mots de représentants du peuple: ces mots furent répétés dans les journaux, et déplurent beaucoup à l'empereur. Peu de jours après il fit insérer dans le Moniteur la note suivante :

Paris, 14 décembre 1808.

« Plusieurs journaux ont imprimé que S. M. l'impératrice, dans sa réponse à la députation du corps législatif, avoit dit qu'elle étoit bien aise que le premier sentiment de l'empereur eût été pour les représentants

de la nation.

le

« S. M. l'impératrice n'a point dit cela. Elle connoît trop bien nos constitutions, elle sait trop bien que premier représentant de la nation, c'est l'empereur. Car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation.

« Dans l'ordre de nos constitutions, après l'empereur, c'est le sénat ; après le sénat, c'est le conseil d'état; et après, c'est le conseil législatif. Après le conseil législatif viennent chaque tribunal et les fonctionnaires publics dans l'ordre de leurs attributions: car s'il y avoit dans nos constitutions un corps représentant la nation, ce corps seroit souverain; ses volontés seroient tout, les autres corps ne seroient rien.

« La convention et même le corps législatif ont été représentants. Telles étoient nos constitutions. Aussi le président disputa-t-il le fauteuil au roi, se fondant sur

ce principe, que le président de l'assemblée de la nation étoit avant les autorités de la nation.

"

« Nos malheurs sont venus en partie de cette exagération d'idées. Ce seroit une prétention chimérique, et méme criminelle, que de vouloir représenter la nation avant l'empereur (1).

« Le corps législatif, improprement appelé de ce nom, devroit être appelé conseil législatif, puisqu'il n'a pas la faculté de faire des lois, n'en ayant pas la proposition. Le conseil législatif est donc la réunion des mandataires des colléges électoraux. On les appelle députés des départements, parcequ'ils sont nommés par les dépar

tements.

« Il faut le répéter: dans l'ordre de notre hiérarchie constitutionnelle le premier représentant de la nation, c'est l'empereur, et ses ministres sont les organes de ses décisions.

« La seconde autorité représentante, c'est le sénat ; la troisième le conseil d'état, qui a de véritables attributions législatives. Le conseil législatif a le quatrième rang.

"Tout rentreroit dans le désordre, si d'autres idées constitutionnelles venoient pervertir les idées de nos constitutions monarchiques. »

"

Cette note n'a pas besoin de commentaires. L'auteur dit clairement ce qu'il veut dire. Il n'avoit plus besoin de cacher sa pensée derrière les grands mots de souveraineté du peuple, représentation nationale, et toute

(1) Ces dernières paroles sont vraiment curieuses dans la bouche de celui qui a répété tant de fois avant son élévation et après sa chute, que tous les pouvoirs émanoient de la nation.

1804.

1804.

Univer

cette logomachie révolutionnaire dont il se servoit dans les premiers temps de son élévation. Il dit ici que le premier représentant de la nation, c'est l'empereur: il dira plus tard que la nation c'est lui ( 1). C'étoit lui, et toujours lui qu'il envisageoit dans tous ses établissements. Nul établissement ne paroissoit et plus utile et plus sité impériale. populaire que celui de l'Université; il trouva le secret d'en faire un des plus fermes appuis de son autorité; il ne prit même pas la peine de s'en cacher, puisqu'il fit déclarer dans le préambule de sa création, qu'elle seroit non seulement l'instrument le plus propre à perfectionner la raison, mais encore la garantie la plus durable du gouvernement monarchique.

Il y avoit avant la révolution douze universités dans le royaume, et une grande liberté dans l'enseignement public; l'empereur voulut qu'elles fussent toutes réunies dans une seule, et que l'enseignement public fùt surveillé avec soin et conduit dans une certaine direction.

« Tout pays, disoit le ministre de l'intérieur, où il n'y aura qu'une opinion sur la constitution, le gouvernement et les lois, sera préservé des dissentions civiles, ou tout au moins du caractère dangereux qu'elles pour

roient contracter.

« Pour assurer cet avantage, le gouvernement, qui veille et agit pour la société entière, doit diriger et surveiller l'instruction publique; il doit faire marcher de

(1) « Qu'êtes-vous dans la constitution? Rien. Vous n'avez aucune autorité. C'est le trône qui est la constitution. Tout est dans le trône et dans moi » Réponse de l'empereur à la députation du corps législatif, le 1er janvier 1814.

« ForrigeFortsett »