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que

tâche imposée à cette malheureuse armée : c'étoit plus
la nature humaine ne pouvoit supporter.
Avant de se mettre en route, Napoléon fit mettre à
l'ordre l'étrange bravade que voici :

« Soldats! Je vais vous conduire dans vos quartiers d'hiver. Si je rencontre les Russes je les battrai; sinon, tant mieux pour eux. »

Rien n'égale l'insolence d'une telle proclamation, şi ce n'est sa platitude. L'armée n'en tint aucun compte ; elle n'avoit ni le temps de lire des proclamations, ni le desir de les contrôler. Vivement poursuivie par le prince Kutuzoff, pressée à droite par le général Miloradovitch, et à gauche par des nuées de cosaques, elle n'eut pas le choix de sa route, elle fut contrainte de prendre la plus mauvaise, celle qu'elle avoit elle-même dévastée deux mois auparavant.

Le premier engagement remarquable eut lieu à Viazma. Le maréchal Davoust, qui le soutint avec vigueur, n'en fut pas moins obligé de se replier avec perte,

Les engagements journaliers, le froid, la fatigue et sur-tout la faim, avoient déja diminué l'armée françoise de moitié, lorsqu'elle arriva à Smolensk: les magasins qu'elle y trouva ne lui furent pas d'une grande utilité. Ils furent pillés et gaspillés sans ordre et sans profit.

A Krasnoy, le maréchal Ney, attaqué par des forces supérieures, se défendit avec autant d'intrépidité que d'intelligence; mais, accablé par le nombre, il fut obligé de faire sa retraite, après avoir perdu ses canons, ses bagages et la moitié de sa division.

2.

1812.

1812.

Passage de la Bérésina.

Ce fut au passage de la Bérésina que l'armée françoise éprouva le plus grand et le plus irréparable de tous les désastres.

Napoléon avoit, par d'habiles manœuvres, trompé si bien la vigilance de son ennemi, qu'il étoit parvenu à s'établir sur une éminence qui domine la rivière, et à construire deux ponts, sur lesquels le passage de l'armée devoit s'effectuer les 25, 26 et 27 novembre. Tant que Napoléon resta sur l'éminence et à la tête de ses troupes, celles-ci, rassurées par sa présence, passèrent sans difficulté, se maintinrent en position et conservèrent leurs rangs: mais dès qu'il eut quitté son poste dans l'intention de passer de l'autre côté de la rivière, ce fut une débandade générale. Les masses entières se portèrent confusément vers les ponts, tous vouloient les traverser à-la-fois, se pres-> soient, se froissoient, se culbutoient dans la rivière. Les cavaliers renversoient les fantassins, les voitures écrasoient les cavaliers. On n'entendoit que des imprécations et des cris. Au milieu de ce désordre, les Russes survinrent, le combat s'engagea avec fureur; les François, affoiblis par la faim, épuisés de fatigues, souffrant horriblement du froid, combattirent avec désespoir, et se défendirent comme des hommes qui préfèrent la mort à tous les genres de souffrances réunis. La nuit mit un terme à leur valeur, et non à leurs calamités.

Ce fut là qu'ils perdirent, avec leur courage, tous les trophées, toutes les dépouilles de Moscou, et tout ce qui leur restoit de bagage, d'armes, de chevaux et de

canons.

Leur marche depuis la Bérésina jusqu'au Niémen ne fut plus qu'une déroute continuelle. Un froid excessif vint mettre le comble à leur détresse. Soldats et officiers, également frappés d'un stupide engourdissement, se traînoient sans force, ou tomboient morts les uns après les autres.

Chaque bivouac ressembloit le lendemain à un champ de bataille. La main de l'historien tremble, en écrivant que plusieurs de ces malheureux, saisis de frénésie, se portèrent à l'épouvantable extrémité de faire rôtir et de manger la chair de leurs semblables....! Dans cet état d'insensibilité, il s'en trouva d'autres qui, attirés machinalement vers le feu, se brûlèrent volontairement, en jetant de lamentables cris. Il est temps de finir

cet horrible récit!

De toute cette armée si brillante et si nombreuse à son départ, il n'arriva pas à Wilna trente mille hom mes, dont la plupart épuisés de fatigues, et à moitié gelés, portoient en eux le germe d'une mort prochaine, ou d'une vieillesse prématurée.

Où étoit leur chef pendant ce temps-là? Leur chef les avoit abandonnés sans remords et sans pitié. Dès qu'il eut passé la Bérésina il oublia son armée et ne songea plus qu'à sauver sa personne. Enveloppé dans une pelisse, et blotti au fond d'une mauvaise voiture, il déserta son poste, parcourut à grandes journées la Lithuanie, la Pologne, l'Allemagne, et arriva à Paris au moment où, dans cette ville, on le croyoit encore à Wilna.

Dans cette course rapide, il ne s'arrêta qu'un moment à Varsovie, et ce fut pour réunir auprès de lui le corps diplomatique, le comte Potoski, M. l'abbé de Pradt, et leur adresser l'étrange discours que voici.

1812.

1812.

« J'ai toujours battu les Russes. Ils n'osent pas tenir devant nous. Ce ne sont plus les soldats de Friedland et d'Eylau. On tiendra dans Wilna. Je vais chercher trois cent mille hommes. Dans six mois je serai encore sur le Niémen. Je pèse plus sur mon trône qu'à la tête de mon armée. Je la quitte à regret; mais il faut surveiller la Prusse et l'Autriche. On vouloit me couper à la Bérésina. Je me suis moqué d'eux; j'avois de bonnes troupes et du canon. J'en ai vu bien d'autres! A Marengo, je fus battu jusqu'à six heures du soir, le lendemain j'étois maître de l'Italie. Le froid m'a fait perdre des hommes et des chevaux, mais puis-je empêcher qu'il géle en Russie? La saison a devancé l'époque ordinaire. J'attendois la paix. J'ai envoyé Lauriston pour en parler. C'est une grande scène politique, Qui ne hasarde rien n'a rien. Du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas, etc... »

Ce discours est si extravagant d'un bout à l'autre, qu'il faut, où n'y ajouter aucune foi, malgré les attestations positives et répétées de ceux qui l'ont entendu (1), ou absoudre celui qui l'a tenu, en disant que la perte de son armée avoit aliéné sa raison. Conspira- Tandis qu'il étoit encore à Moscou, une conspiration de tion tramée dans l'ombre d'une prison de Paris avoit failli renverser son trône et lui-même, dans le court espace de quelques heures. Le général Mallet, qui en avoit conçu le plan et qui osa l'exécuter, étoit un brave soldat et un homme de résolution; mais il manquoit de génie, de caractère, et des talents propres à ces sortes d'entreprises.

Mallet.

(1) Ambassade de Varsovie, par M. de Pradt.

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Mousquetaire avant les états-généraux, et compris 1812. dans les réformes imprudentes que le comte de SaintGermain fit subir à la maison du roi, il s'en vengea en embrassant avec ardeur le parti de la révolution.

Ebloui par les succès militaires de Buonaparte, il fut un de ses plus zélés partisans, et lui resta fidéle tant qu'il le crut patriote et républicain. Il devint son plus mortel ennemi le jour où il reconnut son hypocrisie et son ambition.

Dès l'année 1808, il avoit formé contre ses jours un complot assez inal concerté, que la police découvrit, et qu'elle ne crut pas assez dangereux ou assez criminel pour envoyer l'auteur à l'échafaud.

Mais il resta en prison, où il eut le temps de former un nouveau plan, et le secret de s'attacher des hommes qui, sans partager ses opinions politiques, partageoient la haine qu'il avoit vouée à l'empereur. Il pensoit qu'en fait de conspiration, comme à la guerre, tous les moyens sont bons pour arriver au but. Ses principaux complices étoient MM. Guidal, Boutreux, Lahory, Soulier, l'abbé Lafond, etc. Ils entretenoient des correspondances dans toutes les prisons, et s'étoient ménagé des intelligences avec beaucoup de militaires, soit à l'armée, soit dans les casernes de Paris. Pour l'exécution de leur dessein, ils choisirent le moment où Napoléon étoit le plus embarrassé dans le fond de la Russie. Tout étant prêt le 22 octobre, la nuit suivante fut employée à distribuer les postes, à visiter les casernes de Belleville, de Picpus et des Minimes, à faire des copies d'un faux sénatus-consulte, qui annonçoit la mort de Napoléon sous les murs de Moscou, qui détruisoit le gouvernement impérial, qui investissoit le général

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