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blis à l'entre-sol de l'hôtel de la rue Saint-Florentin, les visages des souverains étrangers se rembrunirent. On vit les troupes campées dans la ville, aux Champs-Élysées, sur les quais et les places publiques, se mettre en mouvement et se porter au midi de Paris; c'étaient les nouvelles arrivées de Fontainebleau qui excitaient cette émotion.

VII

LES COALISÉS A PARIS. NAPOLÉON A FONTAINEBLEAU.

Napoléon, en apprenant, le 30 mars, la reddition de Paris, s'était replié sur Fontainebleau, et de même qu'il n'avait cessé d'avoir les yeux fixés sur la capitale, les coalisés n'avaient cessé d'attacher les regards sur la ville où Napoléon réunissait toute son armée. Que se passait-il à Paris? Voilà la préoccupation du camp impérial. A Paris, on se disait: Que se passe-t-il à Fontainebleau ? Or, voici ce qui se passait dans cette ville, pendant qu'à Paris la situation, courant à grands pas vers son but, aboutissait au vote de la déchéance.

Le 31 mars 1814, à six heures du matin, Napoléon se retrouvait à Fontainebleau. Dans la soirée du même jour et dans la matinée du lendemain, 1er avril, on vit arriver par la route de Sens la tète des colonnes qu'il ramenait de Champagne, et par la route d'Essonne, l'avant-garde des troupes que la capitulation avait fait sortir de Paris. Le duc de Conegliano (Moncey), commandant de la garde nationale de Paris, le duc de Dantzick (Lefebvre), le prince de la Moskowa (Ney), le duc de Tarente (Macdonald), le duc de Reggio (Oudinot), et le prince de Neuchâtel (Berthier), venant de Champagne avec l'Empereur, les ducs de Trévise et Raguse (Mortier et Marmont), sortis de Paris avec leurs troupes, se rencontraient dans

ce suprême rendez-vous des débris des armées impériales. L'Empereur, comme s'il sentait déjà la puissance se retirer de lui, n'avait pas voulu, malgré son goût pour le grandiose et l'étiquette, habiter les grands appartements du château; il s'était établi dans son petit appartement, situé au premier étage, le long de la galerie de François I. Le duc de Bassano (Maret) était le seul ministre présent en ce moment auprès de Napoléon; le duc de Vicence (Caulaincourt) était en mission auprès des coalisés, les autres ministres étaient sur la Loire, auprès de l'Impératrice.

Les troupes avaient pris position derrière la rivière d'Essonne; le duc de Raguse avait placé son quartier général à Essonne même; le duc de Trévise avait placé le sien à Mennecy. Les troupes venant de Paris s'étaient ralliées derrière cette ligne; celles venant de Champagne prirent une position intermédiaire du côté de Fontainebleau; les bagages et le grand parc d'artillerie avaient été dirigés sur Orléans. Napoléon avait entre vingt-cinq et trente mille hommes réunis sur ces divers points le 1er avril au soir.

Il était dans une de ces situations où, quand il en est temps encore, les minutes bien ou mal employées conservent ou perdent les couronnes. Il demeura immobile à Fontainebleau la nuit du 1er avril et la journée du 2, attendant les dépêches du duc de Vicence, qui, envoyé pour traiter de la paix avec les coalisés, les avait suivis à Paris. Cependant il était facile de prévoir qu'il y aurait à Paris des trames ourdies contre sa puissance et un mouvement d'opinion qui profiterait de chaque moment qu'il lui laisserait. La seule ressource qui lui restât, c'était de frapper à la hâte un grand coup militaire, avant que Paris et la coalition fussent plus fortement engagés contre lui. L'évidence l'indiquait, et le spectacle que Napoléon avait sous les yeux à Fontainebleau même achevait de lui révéler clairement le péril de sa situation et l'urgence d'agir. Les chefs de l'armée

prêtaient une oreille inquiète à tous les bruits venus de Paris, comme s'ils attendaient de là la solution, en renonçant dès lors à la trouver à la pointe de leur épée. La nouvelle de la formation du gouvernement provisoire, celle de la proclamation du conseil municipal, avaient produit une vive impression à Fontainebleau, où elles étaient connues dans les journées des 1er et 2 avril. Il était à prévoir et à craindre pour Napoléon que le gouvernement provisoire ne se hâtât de nouer des négociations avec quelques-uns des chefs militaires les plus influents de l'armée impériale.

Dans la nuit du 2 au 3 avril, le duc de Vicence arriva à Fontainebleau. Il apportait à Napoléon la nouvelle que les coalisés s'étaient formellement prononcés contre sa personne; il ajoutait qu'ils semblaient mieux disposés pour l'avénement du roi de Rome avec la régence de Marie-Louise. Un simple rapprochement de dates suffira pour établir que le duc de Vicence avait été leurré d'un vain espoir par les souverains étrangers, qui cherchaient à endormir Napoléon. C'était dans cette même journée du 2 avril, où l'ambassadeur avait quitté Paris, que le Sénat avait voté la déchéance, et était allé porter le décret à l'empereur Alexandre, qui l'avait reçu avec une bienveillance marquée. Les bonnes paroles données à M. de Caulaincourt ne semblaient-elles pas dès lors destinées à amortir le coup porté à l'Empereur, et à prévenir un de ces rebonds terribles que son génie militaire pouvait faire craindre? L'abdication une fois signée, la force défensive de Napoléon diminuait, et il avait fait lui-même le premier pas sur cette pente qui l'entraînait et précipitait avec lui sa dynastie. Les mêmes raisons qui militaient contre la continuation de son règne militaient, en effet, contre une régence napoléonienne; on était plus autorisé à lui demander une seconde concession après en avoir obtenu une première, et il avait moins de force pour la refuser. La signature de son abdication était un symptôme et une cause

de faiblesse; elle imprimait un ébranlement funeste à son parti, elle devait produire un effet défavorable sur ses troupes, et en décourageant les espérances de ceux qui tenaient encore pour lui, elle devait les disposer à abandonner sa cause.

Quand le duc de Vicence, dans la nuit du 2 au 3 avril, présenta avec une tristesse convaincue à l'empereur Napoléon ce parti de l'abdication comme la dernière chance de sa dynastie, Napoléon refusa de s'expliquer, malgré les instances de ce fidèle conseiller et ses réflexions pressantes sur le prix des moments, et il laissa encore courir le temps. Le jour venu, il monta à cheval, pour visiter la ligne des avant-postes, et la journée du 3 avril se passa en inspections militaires; c'est précisément pendant cette journée que le Sénat et le Corps législatif votèrent la déchéance. Ainsi pendant qu'on temporisait à Fontainebleau, on se hâtait à Paris; le contraste des deux conduites indiquait d'avance à qui appartiendrait le dénoûment.

Les soldats accueillirent Napoléon avec leurs acclamations accoutumées; le projet de marcher sur Paris plaisait à ces imaginations militaires; mais les généraux frémissaient et murmuraient déjà hautement à cette pensée. Ils avaient à Paris leurs familles, leurs intérêts, ils étaient las de cette guerre sans fin, et ils ne se faisaient point d'illusion, d'ailleurs, sur l'issue de la lutte que l'inégalité des forces, l'épuisement et la lassitude de la France rendaient inévitable. En outre, Napoléon avait parlé à plusieurs de l'abdication qu'on lui demandait; cette question était devenue le sujet de toutes les conversations; on l'agitait dans la galerie du palais, et presque sur les marches de l'escalier du Cheval-Blanc'. Cette solution convenait à la plupart des chef: par la simplicité et la commodité d'un dénoûment qui rendait à chacun sa

1. Cet escalier donne dans la cour qui sert d'entrée principale au palais. Cette cour devait son nom de cour du Cheval-Blanc à une statue équestre de Marc-Aurèle, brisée en 1626. Depuis 1814, on l'appelle la cour des Adieux.

liberté. Il y avait un parti de l'abdication dans l'armée, un parti même de la déchéance, et déjà plusieurs parlaient d'arracher le pouvoir des mains de Napoléon, s'il refusait de l'abandonner. Ainsi la force même dont il semblait disposer commençait à être paralysée entre ses mains. Telles étaient les dispositions, lorsque, dans la nuit du 3 au 4 avril, la nouvelle du décret de déchéance voté par le Sénat arriva à Fontainebleau; c'était un exprès du duc de Raguse qui l'apportait. Cette nouvelle fut bientôt dans toutes les bouches et imprima une vive impulsion au mouvement des esprits; les proclamations du gouvernement provisoire, qui commençaient à être colportées dans le camp, contribuaient à ébranler les opinions déjà chancelantes.

Cependant, le 4 avril, les ordres étaient donnés pour transférer le quartier impérial entre Ponthierry et Essonne. Napoléon semblait enfin disposé à agir. Après la parade qui avait lieu tous les jours à midi, dans la cour du Cheval-Blanc, les principaux chefs militaires le reconduisaient suivant l'usage dans son appartement. Le moment de la crise était arrivé; chacun le sentait. Les fronts étaient sombres, presque menaçants. Avant de se rendre dans l'appartement de l'Empereur, les maréchaux avaient tenu conseil et pris leur parti; ils entraient décidés à obtenir ou à arracher l'abdication. C'étaient les plus anciens compagnons d'armes de Napoléon qui arrivaient à cette conclusion: « Il faut qu'il abdique. » Berthier, Ney, Oudinot, Lefebvre, Macdonald étaient là, avec Maret, Caulaincourt et le grand maréchal Bertrand. Le duc de Tarente ouvrit la conférence en mettant sous les yeux de l'Empereur la déclaration des souverains coalisés, et le décret de déchéance rendu par le Sénat. Ces deux pièces lui avaient été adressées la veille par le général Beurnonville. Napoléon, qui les avait reçues, la première par le duc de Vicence, la seconde par l'exprès de Marmont, ne se montra ni étonné, ni ému. Il annonça aux maréchaux qu'il allait marcher sur Paris pour avoir raison de ces actes, et

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