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le trésor privé de l'Empereur, mais sur plusieurs caisses d'objets précieux et sur l'argenterie de l'Impératrice, et qu'il envoya le tout au gouvernement provisoire. Les frères de l'Empereur, Joseph et Jérôme, avaient diminué, autant qu'il était en eux, le butin du gouvernement provisoire, en se faisant payer jusqu'au dernier écu à Blois ce qui pouvait leur être dû sur leurs traitements et sur leurs dotations. Le trésor impérial porté à Paris servit à défrayer les dépenses de tout genre du gouvernement provisoire pendant le reste de sa vie politique, qui fut courte. Ceci diminue un peu la valeur intrinsèque d'un mot de M. de Talleyrand, sans rien ôter à la grâce de la forme. Il disait, en faisant allusion à la manière toute gratuite, en apparence, dont le gouvernement provisoire avait fonctionné, sans demander aucune indemnité ni aucun traitement en se retirant : « Jamais on n'a vu un gouvernement faire à si bon marché et en si peu de temps de si grandes choses. >>

L'autre fait est tout à la fois plus grave et plus obscur. C'est la mission secrète donnée à Maubreuil. M. de Maubreuil, appartenant à une famille royaliste, s'était rallié à l'Empire et était devenu le grand écuyer de la reine de Westphalie, femme de Jérôme Bonaparte. C'était un de ces caractères aventureux qui cherchent à refaire leur situation dans les circonstances troublées. Il s'était fait remarquer dans la journée du 31 mars par les démonstrations exagérées d'une exaltation antibonapartiste qui dépassait le but qu'elle voulait atteindre, et qui se comprenait assez mal chez l'ex-grand écuyer de la reine de Westphalie. Il reçut dès le 1" avril 1814, suivant son récit, par l'intermédiaire de M. Roux-Laborie, une mission qui n'allait à rien moins qu'au meurtre de l'empereur Napoléon. A en croire sa déposition en justice, M. Roux-Laborie l'aurait excité, le 1er avril, à débarrasser le gouvernement provisoire de l'Empereur, en lui promettant une somme considérable, et il lui aurait annoncé que M. de Talleyrand, pour marquer son

approbation au projet, traverserait le salon où il se trouvait en lui adressant un salut et un sourire. M. de Maubreuil aurait accepté la mission pour sauver l'Empereur d'un guet-apens qu'un homme moins scrupuleux aurait pu lui tendre.

Jusque-là ce ne sont que les allégations peu vraisemblables d'un inculpé qui accuse pour se défendre. Ce qu'il y a de certain, c'est que M. de Maubreuil reçut une mission du gouvernement provisoire, et que les puissances coalisées mirent à sa disposition leurs troupes pour qu'il pût la remplir '.

Quel était le but de cette mission secrète d'une haute importance? C'est ce qui demeure incertain. Ce ne pouvait être celui que Maubreuil allègue, car, à la date du 16 avril, le gouvernement provisoire et les coalisés n'avaient plus rien à craindre de Napoléon, dont l'abdication absolue remontait au 8 avril, qui avait signé le 12 avril le traité définitif par lequel il acceptait la souveraineté de l'île d'Elbe, et qui avait vu arriver dans la journée même du 16 avril à Fontainebleau les commissaires étrangers chargés de le conduire au lieu de son exil. Il est d'ailleurs impossible qu'une mission dont l'empereur Alexandre devait connaître la nature, puisque les forces russes comme les forces prussiennes avaient été mises à la disposition de Maubreuil, pût être un assassinat. Le motif allégué M. de Talleyrand n'est guère plus admissible par par d'autres raisons; on ne pouvait donner à M. de Maubreuil une mission

1. Il existe cinq ordres signés par M. Anglès, ministre de la police, le général Dupont, ministre de la guerre, M. Bourrienne, directeur général des postes, le général Sacken, gouverneur militaire de Paris, et le général prussien Brokenhausen. Le premier était ainsi conçu : « Il est ordonné à toutes les autorités chargées de la police générale de France, aux préfets, commissaires généraux, spéciaux et autres, d'obéir aux ordres que M. de Maubreuil leur donnera, de faire et d'exécuter à l'instant tout ce qu'il leur prescrira, M. de Maubreuil étant chargé d'une mission secrète de la plus haute importance. » Cet ordre porte la date du 16 avril, les autres celle du 17, et leur objet était de mettre à la disposition de Maubreuil toutes les postes du royaume et les troupes françaises et étrangères.

le 16 avril pour faire réintégrer les diamants de la couronne que M. Dudon avait rapportés d'Orléans le 12. Ce qui reste indubitable, c'est que Maubreuil se servit de cette mission, quelle qu'elle fût, pour commettre contre l'ex-reine de Westphalie un inexcusable guet-apens qui ne pouvait être dans les vues de personne, en arrêtant à force ouverte sa voiture sur la grande route et en la dépouillant de son or et de ses diamants.

Cet acte de brigandage irrita profondément l'empereur Alexandre, qui demanda raison des violences exercées contre sa parente. Maubreuil jeté en prison parut devant les juges, mais il s'évada avant le jugement, fait peu conciliable avec ses protestations d'innocence; il fut condamné par contumace à cinq ans de prison et à 500 fr. d'amende comme dépositaire infidèle. On a dit qu'au désir de faire un riche butin s'était joint le désir de se venger de la princesse Catherine, qui avait dédaigné la passion qu'il avait osé afficher pour elle. Quoi qu'il en soit, le vol seul reste avéré; il eut une mission, sans qu'on puisse indiquer quel en fut l'objet; il abusa des pouvoirs qu'on lui avait confiés, et s'en servit pour dépouiller une princesse dont il avait mangé le pain, et quand il fallut se justifier d'un acte aussi indigne, il s'accusa d'avoir accepté une mission de meurtre, mais sans apporter aucune preuve à l'appui, tâcha de rejeter sur le gouvernement provisoire le vol dont il était accusé et s'évada sans attendre le jugement. Cette sale affaire donna beaucoup de soucis au gouvernement provisoire. Elle sert à caractériser ces jours troublés où tous les instruments sont bons, où les caractères aventureux et les vies aventurières trouvent leur place, et donne une triste idée de ce gouvernement équivoque qui, tout en désavouant son agent, ne pouvait se justifier de l'avoir accrédité pour une mission qui n'est pas celle qu'il remplit, mais qui demeure suspecte, car elle n'a pu être expliquée d'une manière vraisemblable.

II

LE COMTE D'ARTOIS A PARIS.

A mesure que les jours se succédaient, la situation du gouvernement provisoire devenait de plus en plus difficile. Il n'avait point fait de nombreuses nominations, mais celles qui avaient paru au Moniteur n'avaient pas toujours été heureuses. Le choix qu'il avait fait de M. de Pradt, ancien archevêque de Malines, pour le placer à la tête de la grande chancellerie de la Légion d'honneur, singulière consolation donnée à cet orgueil exigeant irrité de ne point avoir obtenu une place dans le gouvernement provisoire, était devenu un sujet de colère et de risée dans l'armée. Il y avait partout des nécessités de gouvernement et d'administration auxquelles il ne pouvait pourvoir. Enfin il avait rempli les deux seules tâches réelles qu'il eût à remplir: il avait conduit l'Empire par une pente douce jusqu'à l'abdication absolue et à la souveraineté de l'île d'Elbe, et il avait proclamé le retour des Bourbons. Il avait donc cessé d'être un moyen, il devenait un obstacle; il avait perdu sa raison d'être.

L'empereur de Russie et M. de Talleyrand ne pouvaient se le cacher entièrement, et M. de Vitrolles, esprit vif et avisé, à qui son hardi voyage avait donné du crédit auprès d'Alexandre, ses entrées intimes chez M. de Talleyrand et une influence considérable sur le comte d'Artois, prenait soin de le leur rappeler. La nécessité de la présence de Monsieur à Paris était devenue le texte de toutes ses conversations. Plus près du théâtre des événements que Louis XVIII, et investi par son frère des fonctions de lieutenant général du royaume, ce

prince était l'héritier indiqué du gouvernement provisoire et le moyen d'attendre Louis XVIII. L'empereur de Russie, qui pressentait que l'arrivée du comte d'Artois mettrait fin à ce rôle de modérateur suprême qu'il remplissait lui-même avec une satisfaction secrète, ne se montra point d'abord pressé d'autoriser sa venue. M. de Vitrolles, pour la lui faire accepter, cherchait à lui persuader qu'elle serait utile à ce pouvoir moral dont il était jaloux. « Votre intervention si puissante et si utile peut se perdre en agissant à découvert, lui répétait-il, elle sera couverte par cet intermédiaire. » A la seconde conversation, il obtint du czar la promesse de ne pas s'opposer à la venue du comte d'Artois si M. de Talleyrand la croyait utile. Fort de cet acquiescement conditionnel, il aborda la question avec M. de Talleyrand, qui ne s'étonnait d'aucune proposition. Son argument fut le même avec lui qu'avec Alexandre: « Le gouvernement provisoire n'était rien et ne pouvait rien; avec Monsieur et par Monsieur le prince de Talleyrand pouvait tout en France. >>

D'abord on laissa dire M. de Vitrolles, bientôt on le laissa faire; il y a de ces choses nécessaires qu'on n'empêche point, alors même qu'on est peu disposé à les accorder. Dès le 4 avril, M. de Vitrolles, du consentement de l'empereur Alexandre, avait fait tous les préparatifs de son départ pour aller chercher le comte d'Artois à Nancy, et, ce jour-là même, il vint prendre, dans la matinée, àl'hôtel de la rue Saint-Florentin, la lettre dont M. de Talleyrand avait promis de le charger pour ce prince. Il eut avec lui un entretien dans lequel les dernières dispositions furent arrêtées. M. de Talleyrand promit, au nom du gouvernement provisoire, 1° qu'il emploierait toute son influence pour empêcher le Sénat de publier une constitution ou tout autre acte de nature à compromettre l'autorité du Roi. Il fut convenu 2° que Monsieur entrerait à Paris à cheval, avec l'uniforme de la garde nationale et la cocarde

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