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vaisseaux de ligne anglais. La mer était au loin couverte d'embarcations pavoisées de drapeaux blancs et de blanches banderoles qui flottaient au vent; l'artillerie des forts tonnait, et du haut du château de Douvres, le Régent, suivant de l'œil le navire sur lequel était monté son hôte, lui adressait les derniers signaux d'adieu, au bruit des acclamations qui accompagnèrent le Royal-Sovereign jusqu'à ce qu'il eût disparu à l'horizon. Peu de temps après le moment où le bruit des salves anglaises cessa d'arriver aux oreilles de Louis XVIII, il commença à entendre le bruit lointain de l'artillerie française, qui lui souhaitait la bienvenue dans le royaume de ses aïeux. Bientôt la mer disparut sous les embarcations sorties du port de Calais; il semblait que la France, pressée de revoir les Bourbons, après vingt-cinq ans d'absence, s'élançât au-devant d'eux. Puis le rivage se dessina de plus en plus; les remparts de la ville, le littoral, tous les points culminants étaient couverts d'une multitude innombrable accourue pour saluer les premiers pas de Louis XVIII sur le sol de la patrie. Il faisait une de ces belles journées de printemps qui ouvrent les cœurs à la joie, et la nature, par cette renaissance de chaque année, qui perpétue jusqu'au temps marqué par Dieu son inépuisable jeunesse, semblait inviter les nations qui, elles aussi, refleurissent sur les débris des générations moissonnées, à renaître à la confiance, à la joie, au bonheur et à tous les arts féconds de la paix. Ce fut un moment doublement solennel que celui où, du rivage de Calais, on aperçut le navire royal marchant majestueusement à la tête de son escorte, et où du navire le Roi, la fille de Louis XVI, le prince de Condé et son fils le père du duc d'Enghien aperçurent la France. Sur le navire, tous les regards se dirigeaient vers le rivage; sur le rivage, tous les bras étaient tendus vers le navire, tous les yeux attachés sur le Roi debout sur le pont à côté de la fille de Louis XVI et au milieu des priuces de sa famille et des serviteurs de sa maison. C'était

comme un mutuel embrassement succédant à une longue séparation.

Quand le Roi descendit du navire et qu'on le vit s'appuyer comme autrefois, dans les plaines glacées de la Lithuanie, sur le bras de l'orpheline du Temple, les clameurs redoublèrent avec l'émotion. Puis, à un geste que fit Louis XVIII, on comprit qu'il voulait parler, et, de proche en proche, le bruit tomba, comme les flots d'une mer qui s'apaise, et le silence s'établit. Alors, d'une voix forte et vibrante, le Roi jeta à la foule ces paroles qui, entendues au loin, se répandirent de rang en rang : « Après vingt ans d'absence, le ciel me rend mes enfants, le ciel me rend à mes enfants. Allons dans son temple en remercier Dieu. » Le maréchal Moncey, comme doyen des maréchaux, avait été envoyé au-devant du Roi; le général Maison, qui commandait dans le Nord, était accouru sur le rivage; ce fut le premier des officiers généraux qui offrit son épée au Roi. La mauvaise fortune de la maison de Bourbon devait le rencontrer sur sa route, dans d'autres temps et d'autres circonstances, avec une autre mission. Le Roi, la duchesse d'Angoulême, le prince de Condé et le duc de Bourbon montèrent dans une calèche découverte et furent ainsi conduits au milieu des acclamations, et sous une voûte de drapeaux blancs et de couronnes, à la principale église de Calais. La ville, voulant garder le souvenir de cette journée mémorable. décida qu'une plaque de bronze, portant l'empreinte du pied du Roi, serait placée au lieu même où Louis XVIII, en descendant du navire, avait touché le sol, et que vis-à-vis on élèverait un monument destiné à rappeler la date du 24 avril.

V

LOUIS XVIII EN FRANCE. CALAIS.-COMPIÈGNE.-SAINT-OUEN.

PARIS.

Louis XVIII quitta Calais le surlendemain. Toutes les villes qu'il traversa en suivant la route de Paris, Boulogne, où il coucha le jour de son départ, Abbeville, où il séjourna le 27 avril, Amiens, où il s'arrêta le 28, le reçurent avec les mêmes démonstrations'. Les bourgs, les villages se levaient à son approche, et ce fut au milieu d'une double haie de population qu'il arriva le 29 avril à Compiègne. C'était là que l'attendait la politique.

Le problème que les acclamations populaires semblaient. avoir résolu restait entier. Quelle solution le Roi lui donneraitil? Était-ce celle représentée par M. Pozzo di Borgo qui, depuis Londres, ne l'avait pas quitté? Était-ce la solution représentée par M. de Bruges? Pendant tout son voyage, les dépêches de M. de Talleyrand étaient venues presser sa résolution. L'égoïsme prenait la forme désintéressée du zèle. Il n'y avait pas, disait-on, un moment à perdre. Il fallait fixer les hésitations de l'opinion par une acceptation immédiate de l'autorité nationale, sauf les modifications nécessaires que le Roi apporterait à la rédaction de l'acte fondamental, en s'entourant du Sénat; lier l'armée dont l'esprit était douteux là où il n'était pas mauvais; couper court aux incertitudes et aux intrigues en annonçant le jour où le Roi prêterait serment à la Consti

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Le Roi et Madame la duchesse d'Angoulême prirent la route de Compiègne. Partout ils furent reçus avec des transports de joie. » (Mémoires du duc de Raguse, tome VII, page 17.)

tution. En même temps, M. de Talleyrand, en affectant de répéter que toutes les positions lui étaient indifférentes, convenait de bonne grâce qu'il était nécessaire au ministère des affaires étrangères; il se résignait donc à l'accepter. Il indiquait aussi son neveu, M. Edmond de Périgord, comme convenant aux fonctions de premier aide de camp, auxquelles on pourrait ajouter la pairie. Madame Edmond de Périgord, sa nièce, était, ajoutait-il, naturellement désignée pour la place de dame du palais, « dont elle était digne par sa conduite et sa piété. »

Malgré ces avis réitérés, ces instances, Louis XVIII arrivait à Compiègne inquiet, ébranlé, mais non résolu. Il y trouva les pompes de sa nouvelle puissance, les députations des corps constitués, sauf le Sénat. Les maréchaux étaient allés, avec un nombreux état-major, au-devant du Roi, au delà de Compiègne. Ils furent les premiers présentés. Le prince de Neufchâtel, le prince de lå Moskowa, le duc de Raguse, figuraient dans ce groupe d'illustrations militaires. Les serviteurs les plus dévoués des Bourbons appréhendaient cette entrevue'. Quelle impression produirait sur les maréchaux, habitués à l'infatigable activité de Napoléon, l'apparition de ce Roi impotent et goutteux, portant, au lieu de l'uniforme si connu sur les champs de bataille, un habit bleu décoré de deux épaulettes d'or, et les jambes enveloppées dans de larges guêtres de velours rouge, bordées d'un petit cordon d'or, selon l'usage des seigneurs anglais? Le Roi impotent et goutteux trouva, dans le sentiment de la grandeur de sa race et de la dignité royale, des inspirations qui surprirent et touchèrent ces natures guerrières, étonnées de reconnaître une supériorité morale qu'elles n'avaient

1. « Je craignais l'effet de l'apparition de Louis XVIII dans cette résidence royale. Je me hâtai de le devancer. Qu'allait-on penser à l'aspect de l'invalide royal remplaçant le cavalier qui avait pu dire, comme Attila: L'herbe ne croît plus partout où mon cheval a passé? (Chateaubriand, Mémoires d'outretombe.)

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pas soupçonnée, et montrèrent une fois de plus combien l'âme est maîtresse du corps'.

Le prince de Neuchâtel, parlant au nom de ses collègues, avait témoigné un enthousiasme peut-être trop promptement oublieux d'un passé récent. Il avait fait intervenir dans son discours le panache blanc de Henri IV, et Paris assiégé nourri par son roi, puis il avait ajouté : « Après vingt-cinq ans d'incertitudes et d'orages, le peuple français a remis de nouveau le soin de son bonheur à cette dynastie que huit siècles de gloire ont consacrée dans l'histoire du monde comme la plus ancienne qui ait existé. Les maréchaux de France ont été entraînés par tous les mouvements de leur âme à seconder cet élan de la volonté nationale. Vos armées, Sire, dont les maréchaux sont aujourd'hui l'organe, se trouvent honorées d'être appelées par leur dévouement et leur fidélité à seconder vos généreux efforts. >>

Le Roi lui répondit quelques mots simples, dignes, pleins de courtoisie pour lui, pleins d'estime pour l'armée; puis, lorsqu'on lui eut présenté successivement tous les maréchaux, il fit un effort pour se lever; la goutte, dont il souffrait dans ce

1. Le duc de Raguse dit dans ses Mémoires: « Je dois dire ici l'impression personnelle que la vue des Bourbons, à leur retour, me fit éprouver. Les sentiments de mon enfance et de ma première jeunesse se réveillèrent dans toute leur force et parlèrent puissamment à mon imagination. Une sorte de prestige accompagnait cette race illustre. Dès l'antiquité la plus reculée, l'origine de sa grandeur est inconnue. La transmission de son sang marque de génération en génération les époques de notre histoire et sert à les reconnaître. Son nom est lié à tout ce qui s'est fait de grand dans notre pays. Cette descendance d'un saint, déjà il y a six cents ans homme supérieur et grand roi, lui donne une auréole particulière. Toutes ces considérations agirent puissamment sur mon esprit. J'avais vécu dans la familiarité d'un souverain puissant, mais son élévation était notre ouvrage. Il avait été notre égal à tous. Je lui portais les sentiments que comporte ce titre, ceux dérivant de la nature de mes relations anciennes et en rapport avec l'admiration que j'avais éprouvée pour ses hautes qualités; mais ce chef était un homme comme moi avant qu'il fût devenu mon supérieur, tandis que celui qui apparaissait en ce moment devant moi semblait appartenir au temps et à la destinée. » (Mémoires du duc de Raguse, tome VII, page 18.)

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