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le temps, les événements, les circonstances avaient rendus inévitables, sur les progrès à conserver, sur les abus à faire disparaître.

Louis XVIII aurait sauvegardé la question de principe en se disant roi par la grâce de Dieu, ce qui est vrai pour tous les pouvoirs humains, car tous relèvent d'en haut, doublement vrai pour un prince rétabli sur le trône de ses pères par un concours d'événements si évidemment providentiels. Il aurait agi dans le même sens en datant, non son règne, mais son avénement du jour de la mort de Louis XVII, car de ce jour-là il était roi, non de fait, mais de droit; par là, il aurait suffisamment repoussé la prétention du Sénat à lui conférer la dignité royale.

Après s'être placé dans la vérité du principe, il aurait pu se placer dans la vérité des faits, en laissant de côté cette dénomination surannée de roi de Navarre, sans application, puisque la Navarre n'était plus son royaume, en distinguant la date de son règue de celle de son avénement, en datant sa déclaration de la vingt et unième année de son avénement et de la première de son règne, ce qui eût fait disparaître la juste objection de l'empereur Alexandre sur l'impossibilité de changer l'histoire. Il aurait pu également trouver une formule qui exprimât ce fait incontestable que, roi par la grâce de Dieu, il remontait au trône de ses pères par le désir de son peuple, exprimé par l'acclamation universelle.

De cette manière, la vérité des faits comme la vérité des principes eussent été sauvegardées, et il n'y aurait plus eu que la question politique à résoudre. La politique est l'art de faire les choses possibles en se rapprochant, autant que les circonstances le permettent, des choses désirables. Il était donc nécessaire de se rendre d'abord un compte exact des circonstances. Les points culminants de la situation étaient ceux-ci : il y avait une force étrangère maitresse par ses armées de la

capitale et de la plus grande partie de la France; on était obligé de compter avec cette force. Cette force se trouvait mise, dans une certaine mesure, par l'empereur Alexandre, au service d'um corps politique, débris du gouvernement impérial, le Sénat, qui avait des intérêts d'ambition et de vanité, des précédents, des tendances, des idées, des défiances révolutionnaires, fort distincts des intérêts, des tendances, des idées de la France. Il y avait en dehors de ces deux éléments une force d'opinion très-favorable aux Bourbons; c'était celle de la généralité des esprits qui, sans avoir des idées bien arrêtées sur le régime qui convenait à la France, aspiraient à un gouvernement modéré où les intérêts fussent garantis, où les progrès réalisés fussent conservés, où la sécurité générale et la sûreté individuelle ne fussent pas à la merci d'une volonté unique, irresponsable, arbitraire.

Ceux qui ont dit qu'en 1814 Louis XVIII n'avait qu'une chose à faire, c'était de se coucher dans le lit de Napoléon, en en changeant les draps, ont bien mal connu l'esprit humain en général, et en particulier l'esprit de la France à cette époque de son histoire. La dictature s'épuise par son excès même, et les gouvernements arbitraires et despotiques meurent d'avoir vécu. Les blessures que le despotisme avait faites à tous et à chacun étaient trop récentes et trop cuisantes pour qu'on pût raisonnablement songer à continuer le même régime, en changeant son intitulé impérial contre un intitulé monarchique. Ce n'était pas seulement un changement de règne, c'était un changement de gouvernement comme de principe que réclamait la situation.

En présence d'une situation pareille, le parti le plus prudent eût été d'indiquer dans une déclaration préalable les principes incontestables et incontestés : le droit de la nation d'intervenir dans le vote de l'impôt et des lois par ses députés, le principe de l'inviolabilité de la liberté individuelle mis sous

la garde des lois et des tribunaux, l'inviolabilité des juridictions, l'admissibilité de tous aux emplois et la participation de tous aux charges; puis seraient venus ces droits nés des transactions qui ont fermé nos guerres religieuses: la liberté de conscience, la liberté acquise aux cultes qui ont conquis leur droit de cité en France; on n'aurait pas oublié ces autres principes, partie intégrante de la probité publique : le maintien de la dette, le maintien des militaires dans leurs grades, dans leurs pensions; enfin, le principe de conciliation déposé dans le testament de Louis XVI, l'oubli complet des opinions, des actes, des votes dans la période révolutionnaire.

Quant à la question d'organisation politique, il y avait une ligne de conduite générale qui se trouvait naturellement indiquée par la connaissance de la situation : c'était d'éviter, autant que possible, de faire rien de définitif avec le Sénat, qui avait des places de sûreté à prendre pour lui-même, des intérêts égoïstes, des prétentions personnelles ou révolutionnaires. Mais pour cela il fallait, en acceptant à titre de provisoire tout ce qui existait, le Corps législatif comme le Sénat, entrer avec une franchise résolue dans la voie ouverte par la déclaration des puissances, qui avaient annoncé que la France serait consultée, et tout renvoyer à une grande commission qui serait élue librement par les départements, et qui viendrait, de concert avec le Roi, établir sur les assises à la fois monarchiques, nationales et représentatives, résultat du travail des siècles, des institutions mûrement méditées, pour mettre en vigueur les principes énoncés dans la déclaration royale.

De cette manière, on dégageait la parole de l'empereur Alexandre, et on ôtait au Sénat son principal argument. En même temps on faisait une chose bonne en soi, nécessaire dans les circonstances où l'on se trouvait; on évitait de faire du définitif en vue de circonstances transitoires; on donnait à la France et on se donnait à soi-même cet instrument de

toutes les choses durables, le temps, et on trouvait contre les prétentions et les exigences du Sénat un refuge dans les droits et les intérêts de la France.

Ce plan, dont l'historien éclairé par l'expérience aperçoit la convenance et la possibilité, surtout si l'on eût souscrit avec les membres plus influents et les plus honorables du Sénat des arrangements individuels qui les auraient rendus moins sensibles au refus de reconnaître, à priori, le Sénat impérial comme partie intégrante de l'édifice nouveau, ne se présenta point à l'esprit de Louis XVIII à Compiègne, ou fut écarté par le czar. Le Roi partit donc de cette résidence pour Saint-Quen avec une seule pensée bien arrêtée : celle de faire le moins de concessions possibles au Sénat, et de faire, au moins en apparence, proprio motu, celles qu'il ne pouvait pas éviter. A Saint-Ouen, les discussions se renouvelèrent, et l'on commençait à craindre de ne pouvoir pas s'entendre. Alors l'empereur Alexandre intervint encore une fois, et ne cacha plus la pensée de s'opposer à l'entrée de Louis XVIII à Paris, tant qu'il n'aurait pas souscrit une déclaration de nature à satisfaire le Sénat, et qui, en outre, annoncerait la promulgation prochaine de la future constitution.

Ainsi les négociations avaient suivi la même marche avec Louis XVIII qu'avec le comte d'Artois. Les exigences du Sénat avaient provoqué la résistance et les refus du Roi; l'intervention de l'empereur de Russie avait déterminé la transaction. Cette transaction n'était pas telle, il est vrai, que l'aurait voulu et que l'avait espéré le Sénat; il y avait eu des points sur lesquels la résistance de Louis XVIII s'était montrée inflexible. M. de Talleyrand insistait sur l'importance qu'il y aurait à ce que le Roi consentit à jurer la Constitution. Louis XVIII lui répondit, en le couvrant d'un regard plein de hauteur: « Monsieur de Talleyrand, si je jurais la Constitution, vous seriez assis et je serais debout. » La forme resta à l'avan

tage de Louis XVIII, mais le Sénat obtint le fond de ses idées, contenu dans la déclaration qui devait poser les bases de l'acte constitutionnel.

L'accord s'étant enfin produit, le Sénat se présenta dans la soirée du 2 mai à Saint-Ouen; le Roi devait faire, le lendemain matin, son entrée à Paris. M. de Talleyrand adressa à Louis XVIII un discours où la métaphysique politique trouvait sa place et l'enthousiasme général son écho, mais où transpiraient, pour des regards exercés, les débats qui avaient précédé la déclaration.

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Sire, lui disait-il, le retour de Votre Majesté rend à la France son gouvernement national, et toutes les garanties nécessaires à son repos et au repos de l'Europe.

« Tous les cœurs sentent que ce bienfait ne pouvait être dù qu'à vousmême; aussi tous les cœurs se précipitent sur votre passage. Il est des joies qu'on ne peut feindre; celle dont vous entendez le transport est une joie vraiment nationale.

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« Le Sénat, profondément ému de ce touchant spectacle, heureux de confondre ses sentiments avec ceux du peuple, vient comme lui déposer au pied du trône les témoignages de son respect et de son amour.

Sire, des fléaux sans nombre ont désolé le royaume de vos pères. Notre gloire s'est réfugiée dans nos camps; les armées ont sauvé l'honneur français. En remontant sur le trône, vous succédez à vingt ans de ruines et de malheurs.

« Cet héritage pourrait effrayer une vertu commune; la réparation d'un si grand désordre veut le dévouement d'un grand courage; il faut des prodiges pour guérir les blessures de la patrie; mais nous sommes vos enfants, et les prodiges sont réservés à vos soins paternels.

<< Plus les circonstances sont difficiles, plus l'autorité royale doit être puissante et révérée. En parlant à l'imagination par tout l'éclat des anciens souvenirs, elle saura se concilier tous les voeux de la raison moderne, en lui empruntant les plus sages théories politiques.

« Une Charte constitutionnelle réunira tous les intérêts à celui du trône, et fortifiera la volonté princière du concours de toutes les volontés.

«

<< Vous savez mieux que nous, Sire, que de telles institutions, si bien éprouvées chez un peuple voisin, donnent des appuis et non des barrières aux monarques amis des lois et pères des peuples.

« ForrigeFortsett »