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sinon par son expérience, au niveau de cette tâche. Ni la confiance ni la volonté ne lui manquaient pour la remplir, mais il était trop nouveau dans les affaires pour être suivi; et, plutôt souffert qu'accepté, ce n'était pas lui qui pouvait conduire. D'ailleurs, la faveur de Monsieur lui nuisait auprès du Roi, qui le regardait comme un esprit et un caractère d'aventure. Le baron Louis marchait à la suite de M. de Talleyrand. Il avait en finances des connaissances pratiques, mais il mettait les questions d'argent au-dessus de toutes les questions, et il introduisait trop souvent dans les affaires l'inflexibilité d'un esprit infatué de sa supériorité, l'effervescence de ses opinions, singulier mélange d'un royalisme de circonstance, de traditions révolutionnaires et de haine pour les royalistes, et la brusquerie tyrannique d'un caractère emporté, intraitable et fâcheux. L'homme et le politique gâtaient souvent chez lui le financier.

Le comte Beuguot se trouvait lui-même souverainement déplacé à la police, à la tête de laquelle il aurait voulu mettre

1. Le duc de Raguse, qui avait demandé une conférence au gouvernement provisoire pour l'entretenir de l'inconvénient qu'il y avait à laisser se dissoudre les troupes qui avaient reconnu le gouvernement provisoire, et dont on pouvait avoir besoin contre l'étranger, raconte ainsi la discussion qu'il eut avec le baron Louis: « Un homme habillé de noir, de mauvaise figure, que je ne connaissais pas, me dit : — Monsieur le maréchal, nous manquons d'argent pour payer les troupes, ainsi nous en avons plus qu'il ne nous en faut. Monsieur, répondis-je, ce qui me prouve que loin d'en avoir trop nous n'en avons pas assez, c'est que l'ennemi est entré dans la capitale. Mon interlocuteur m'interrompit avec humeur. Nous avons trop de troupes, répéta-t-il, puisque nous n'avons pas d'argent. D'ailleurs elles nous sont fort inutiles. Le ministre de la guerre nous rendra compte de l'état des choses, et nous proposera ce qu'il convient de faire.-Cet homme si noir et si grossier était le baron Louis. Quand je vis percer l'idée de se mettre sans garantie à la disposition des étrangers, je m'indignai et lui dis : —Les sentiments que vous montrez sont ceux d'un mauvais Français. La manière dont vous les exprimez me blesse et m'offense, et si vous continuez, je vous ferai sauter par la fenêtre. Il se mit à trembler de colère, sa màchoire en fureur était si agitée qu'il ne pouvait plus parler et qu'on ne pouvait plus l'entendre, » (Mémoires du duc de Raguse, tome VII, page 8.)

M. Pasquier, mais où il restait faute d'avoir trouvé place ailleurs. Il se consolait d'y être, en se promettant d'y rester peu. Avant 1789, ancien secrétaire du cardinal de Brienne pendant le ministère si court et si malheureux de ce prélat, secrétaire général du ministère de l'intérieur sous Lucien pendant le Consulat, plus tard préfet de Rouen, et placé ensuite au conseil d'État pour l'éclairer sur les questions de filature et de fabrique qu'il avait étudiées dans cette ville, envoyé à Jérôme Bonaparte pour organiser le royaume de Westphalie, et plus tard à Dusseldorf, puis enfin préfet de Lille, avec des pouvoirs extraordinaires, c'était un administrateur habile, fécond en ressources et en aperçus, mais plus apte encore à discuter les affaires qu'à les terminer. Il avait l'inconvénient d'être léger et trouvait plus facilement un bon mot qu'une solution. Comme les hommes qui savent beaucoup et n'ont pas de principes arrêtés, il doutait de tout le monde et un peu de lui-même. La volonté, c'est-à-dire la première condition du gouvernement, l'intelligence n'est que la seconde, lui manquait.

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On a vu l'origine du général Dupont. La longue disgrâce militaire qui pesait sur lui depuis Baylen rendit contre lui la calomnie et les préventions faciles, dès qu'il ne fut plus défendu par cet intérêt qui s'attache au malheur. Franchement rallié aux Bourbons, il était trop nouveau dans la politique pour y exercer une action. Le baron Malouet, administrateur habile, était déjà atteint de la maladie qui devait, avant la fin de l'année, le conduire au tombeau, et qui paralysait déjà ses moyens et son activité.

Formé d'hommes d'origines si diverses, peu sympathiques les uns aux autres, et dont les idées étaient sur beaucoup de points disparates, le nouveau ministère, qui ne comptait pas un seul membre qui fit partie de la Chambre des députés, n'aurait pu trouver l'unité et la suite, ces deux conditions essentielles de toute bonne politique, que dans des délibéra

tions communes ou dans la haute impulsion et la haute surveillance du Roi. Ces dernières ressources lui manquèrent.

Dès les premiers moments, le conseil des ministres se réunit rarement, et, quand il se réunissait, c'était plutôt pour se livrer à des conversations générales que pour traiter à fond les affaires. A la première séance, l'antipathie profonde de l'abbé de Montesquiou contre le baron de Vitrolles avait éclaté. Il s'était écrié, devant le Roi lui-même, qu'il se trouvait empêché de parler lorsqu'il y avait au conseil une personne autorisée à prendre des notes sur la discussion des affaires et les opinions de chacun de ses membres sous prétexte de dresser des procèsverbaux. Rien au monde, avait-il ajouté, ne pouvait gêner autant la liberté des délibérations et compromettre les secrets d'État. Le baron de Vitrolles avait vivement répondu en exposant l'utilité de la secrétairerie d'État pour l'ordre, la régularité, la suite et l'esprit de tradition et d'ensemble des affaires, et le Roi l'avait assez favorablement écouté. L'abbé de Montesquiou reprenait la parole avec sa pétulance accoutumée, en traitant son antagoniste de vizir, lorsque le duc de Berry, qui assistait au conseil, et qui avait remarqué l'approbation silencieuse du Roi pendant que M. de Vitrolles parlait, mit fin au débat en disant qu'il était inouï qu'on renouvelât une pareille discussion quand le Roi avait prononcé. Cette querelle d'intérieur devint le sujet de l'attention de la famille royale dans les conversations intimes de l'après-dîner et des préoccupations de la cour. Le baron de Vitrolles avait promis au Roi de lui soumettre, avant la fin de la journée, un mémoire. Le Roi, après l'avoir entendu, lui ordonna, sans entrer dans aucune discussion, de rester à son poste. La question personnelle se trouvait résolue, mais non la question politique. M. de Vitrolles conserva quelques fonctions de l'ancienne secrétairerie d'État et l'entrée journalière du cabinet du Roi. Il assistait au conseil, tenait la plume pour la rédaction des procès-verbaux, corres

Hist, de la Restaur. I.

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pondait avec les ministères quand le Roi lui en donnait l'ordre, dirigeait la rédaction du Moniteur et l'envoi des dépêches télégraphiques; mais la plupart des attributions de l'ancienne secrétairerie d'État tombèrent en désuétude, ses communications régulières avec les divers ministères furent à peu près interrompues. M. de Vitrolles ne reçut plus d'avance les projets qu'il devait soumettre au Roi et à la discussion du conseil privé; il lui devint par conséquent impossible de faire savoir d'avance aux membres du conseil sur quoi porteraient les délibérations. Par suite, les discussions devinrent vagues, vides et sans portée. Les ministres, s'isolant les uns des autres et affranchissant leur indépendance individuelle du contrôle du conseil, s'habituèrent à porter directement leurs ordonnances les plus importantes au Roi et à les faire signer par lui sans qu'elles eussent été préalablement discutées en conseil privé. Souvent les membres du ministère n'apprirent les actes de l'administration dont ils faisaient partie que par le Moniteur ou le Bulletin des lois. La secrétairerie d'État ne conservant plus le dépôt des minutes signées par le Roi, et ces minutes étant emportées par le ministre qui les faisait signer, elles purent être altérées dans les bureaux par des agents secondaires; c'est ainsi que des employés infidèles introduisirent de nouveaux noms dans les listes nominatives des chevaliers de Saint-Louis et de la Légion d'honneur et firent un trafic de ces décorations.

Une partie de ces inconvénients aurait pu être évitée si le Roi avait coordonné, par l'impulsion d'une pensée dirigeante, les errements des divers ministères. Chaque ministre allant travailler avec lui, c'est dans le cabinet du monarque que l'unité du gouvernement aurait pu se faire. Mais les ministres ne tardèrent pas à s'apercevoir que, hors les cas extrêmement graves, le Roi, accablé d'infirmités et plus habitué aux délassements d'une conversation spirituelle et ornée qu'à la contention d'esprit

que demandent les affaires, n'aimait pas être ennuyé des détails, quoique son esprit naturellement juste et vif lui suggérât ordinairement la meilleure solution'.

C'était avec cette organisation gouvernementale défectueuse que la Restauration, appuyée sur la force et la nécessité nationale de son principe sous lequel la France était venue s'abriter dans ces circonstances critiques, allait aborder les grands problèmes de la situation.

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Il y avait des questions que le Roi avait tranchées d'avance : celle de sa maison civile était du nombre. Il en avait conservé une dans l'exil, elle rentra avec lui. On avait vu M. de DreuxBrézé, grand maître des cérémonies de France, publier dans le Moniteur du 1er mai 1814 le cérémonial pour la réception du Roi, en ajoutant que « vu la précipitation avec laquelle avait été rédigé et arrêté le présent cérémonial, Monsieur a voulu que le grand maître des cérémonies déclarât en son nom que ce qui sera observé dans la présente cérémonie aura lieu sans rien

1. M. Beugnot, dans ses Mémoires, raconte fort spirituellement le peu de succès qu'il obtint près du Roi la première fois qu'il travailla avec lui, avoir rapporté les affaires avec trop de soin. M. de Blacas lui dit le lendemain pour que le Roi avait deviné qu'il avait dû être membre d'un tribunal. La seconde fois qu'il travailla avec le Roi, il s'efforça d'être plus court; mais Louis XVIII trouva encore qu'il s'était perdu dans les détails. Il raconta sa mésaventure à M. l'abbé Louis qui en rit beaucoup. Comment, lui dit celui-ci, ne vous êtesvous pas aperçu, dès le premier jour et dès la première affaire, que vous ennuyiez le Roi à mourir. Moi je lui présente seulement des ordonnances à signer, et il ne m'en refuse pas une! - Je me tins pour suffisamment instruit, continue M. Beugnot, et la première fois que je retournai chez le Roi, j'employai le même procédé que l'abbé Louis, je ne rencontrai pas plus de difficulté que lui. •

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