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Le moment était venu de lire la Charte constitutionnelle, en commençant par son préambule. M. Ferrand, en sa qualité de doyen des commissaires du Roi, fut chargé de ce soin. Sa voix, naturellement sourde et encore affaiblie par une maladie récente, trahissait ses efforts. Sauf quelques généralités du préambule et le mot d'octroi qui plus tard devait soulever tant d'orages, elle fut bien accueillie par la grande majorité des auditeurs; les royalistes proprement dits regrettèrent d'y retrouver la plupart des articles qu'ils avaient critiqués dans la Constitution du Sénat, et des places de sûreté données aux révolutionnaires, à côté de la juste proclamation des droits nécessaires. La dissidence, qui devait plus tard devenir plus profonde, s'annonçait déjà 2.

La lecture de la Charte à peine achevée, M. Ferrand lut une ordonnance qui nommait les nouveaux pairs du royaume. Ils étaient au nombre de cent cinquante-quatre membres. Le Roi, avant de retourner aux Tuileries, entendit les membres de la Chambre des pairs qu'il venait de créer, et ceux du Corps législatif transformé en Chambre des députés, prêter serment de fidélité au Roi, à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume. Il rentra au château enivré des acclamations qui le suivirent et du succès personnel qu'il avait obtenu par son discours. Les ministres, qui l'accompagnèrent jusque dans son cabinet, prolongèrent ce triomphe par leurs félicitations sincères. Louis XVII, particulièrement jaloux des succès de l'esprit et de la bonne grâce, dut s'endormir ce soir-là avec de riantes pensées.

1. M. Beugnot dit dans ses Mémoires : « En ma qualité d'auteur du préambule, je souffrais plus que je ne peux le dire de la manière dont il lisait. »

2. Voir, aux pièces justificatives, le texte de la Charte et celui du projet de Constitution du Sénat,

VI

LA CHAMBRE DES PAIRS. LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
ADRESSES. L'OPINION.

Le moment est venu d'indiquer comment et sur quelles bases on avait fondé la pairie, dans un pays où l'aristocratie 'de race avait subi de si profondes atteintes avant et surtout depuis la révolution de 1789.

Les noms des anciens pairs siégeant autrefois au parlement de Paris ouvraient la liste dans l'ordre de l'érection des pairies, en commençant par trois pairies ecclésiastiques qui restaient sur les six existant autrefois : l'archevêque de Reims, M. de Périgord, l'évêque de Langres, M. de la Luzerne, l'évêque de Châlons-sur-Marne, M. de Clermont-Tonnerre.

Les trente-six pairies laïques existant en 1788 se trouvaient réduites, par les extinctions de familles, à vingt-six. Celles-ci venaient sur la liste après les trois pairies ecclésiastiques, suivant leur ordre de date. Le duc d'Uzès, 1572; le duc d'Elbeuf, 1582; le duc de Montbazon, 1595; le duc de la Trémouille, 1599; le duc de Chevreuse, 1619; le duc de Brissac, 1620; le duc de Richelieu, 1621; le duc de Rohan, 1652; le duc de Luxembourg, 1662; le duc de Grammont, le duc de Mortemart, le duc de Saint-Aignan, le duc de Noailles, 1663; le duc d'Aumont, 1665; le due d'Harcourt, 1670; le duc de FitzJames, 1710; le duc de Brancas, le duc de Valentinois, 1716; le duc de Fleury, 1736; le duc de Duras, 1757; le duc de la Vauguyon, 1759; le duc de Praslin, 1762; le duc de La Rochefoucauld, 1770; le duc de Clermont-Tonnerre, 1775; le duc de Choiseul et le duc de Coigny, 1787.

On avait complété ces anciennes pairies en prenant dans

l'ancienne noblesse douze ducs héréditaires, les ducs de Croy, de Broglie, de Laval-Montmorency, de Beaumont, de Lorge, de Croy-d'Havré, de Polignac, de Lévis, de Maillé, de SaulxTavannes, de La Force. On y ajouta six ducs à brevet', les ducs de Castries, de Noailles, prince de Poix, de Doudeauville, prince de Chalais, duc de Sérent, duc de. Montmorency; et six officiers généraux des armées royales, les comtes de Vioménil et de Vaudreuil, le bailli de Crussol, le marquis d'Harcourt, le marquis de Clermont-Gallerande, le comte Ch. de Damas.

La part faite aux représentants de l'ancienne société française dans la Chambre des pairs était donc de cinquante-trois membres sur cent cinquante-quatre, et encore parmi les pairs de cette catégorie il y en avait plusieurs qui appartenaient aux opinions qui dominaient depuis la Révolution.

Quatorze maréchaux de l'Empire, le prince de Wagram, le duc de Tarente, le prince de la Moskowa, le duc d'Albufera, le duc de Castiglione, le comte de Gouvion-Saint-Cyr, le duc de Raguse, le duc de Reggio, le duc de Conegliano, le duc de Trévise, le duc de Dantzick, le comte de Pérignon, le duc de Valmy, le comte Serrurier, représentaient les illustrations militaires de la nouvelle armée, et formaient, avec quatre-vingt-sept membres de l'ancien Sénat impérial, les deux tiers de la nouvelle Chambre des pairs, qui contenait ainsi en tout quatre-vingtonze anciens sénateurs, car sur les quatorze maréchaux il y en avait quatre revêtus de ce titre. La part faite aux hommes issus de la Révolution et de l'Empire dans la Chambre des pairs était donc de cent un membres sur cent cinquante-quatre. Ils avaient une majorité des deux tiers. Tous ces pairs étaient nommés à vie, malgré la faculté que Louis XVIII s'était réservée par la Charte de nommer des pairs héréditaires.

1. Le titre des dues à brevet était viager.

Le gouvernement semblait organisé. La Chambre des pairs se réunissait au palais du Luxembourg, cet ancien palais du Sénat, devenu la dotation de l'assemblée qui prenait sa place. Les dotations sénatoriales disparaissaient avec le Sénat, et se trouvaient réunies au domaine de la couronne par une ordonnance royale; on les remplaça par des pensions viagères de 36,000 francs.

Le comte Barthélemy, vice-président du Sénat, fut nommé vice-président de la Chambre des pairs. C'était un homme doux, modéré, d'un esprit distingué, sensé, honnête, dont les antécédents et les opinions étaient monarchiques. Il avait été premier secrétaire de légation à Londres avant 1789, à l'époque de l'ambassade de M. de la Luzerne. Ambassadeur en Suisse sous le Directoire, il avait laissé voir des dispositions favorables à une Restauration. Enfin, membre du Directoire, il avait été déporté à Sinnamari, comme suspect de royalisme, à la suite du 18 fructidor. M. de Sémonville, un de ces esprits fins et déliés, un de ces caractères faciles et insaisissables qui surnagent au milieu de tous les changements, et qui appartenait par son origine à l'ancien régime, par ses accointances au nouveau comme à l'ancien, fut nommé grand référendaire. C'était une de ces puissances des salons qui ont toujours des aboutissants avec la fortune. Cette nomination avait l'inconvénient de mettre de fait dans les mains d'un homme peu sûr la haute direction de la Chambre des pairs, qui appartenait de droit au chancelier, M. Dambray, homme de loyauté, de dévouement à toute épreuve, d'intégrité et de capacité judiciaire, mais complétement étranger aux manéges de la politique.

Le Palais-Bourbon, bien national restitué à son légitime propriétaire, le prince de Condé, avait été loué pour la Chambre des députés. Cette Chambre recevait un nouveau et grand rôle de la Charte. Quoique venant après la Chambre des pairs dans

la hiérarchie honorifique, elle marchait de front avec elle pour les prérogatives politiques. Elle avait la même part qu'elle à la confection des lois; de plus qu'elle, le vote préalable de l'impôt et la publicité des séances qui l'appelaient, dans un temps donné, à jouer le premier rôle, surtout dans un pays où la Chambre haute n'avait pas les mêmes racines sociales et le même ascendant héréditaire qui ont soutenu la Chambre des pairs de l'Angleterre en face des Communes. Le Roi, quand la liste 'des candidats lui fut présentée, choisit pour président M. Laîné, à qui sa conduite courageuse devant Bonaparte avait donné une grande popularité.

Le premier acte des deux Chambres devait être de répondre, par une adresse, à la communication qui leur avait été faite. Elles se réunirent aussitôt après la séance royale, et nommèrent des commissions pour cet objet. Dans la Chambre des pairs, il n'y eut point de discussion. Son adresse exprimait en termes généraux une vive reconnaissance pour « les institutions fortes et généreuses » que Louis XVIII venait de fonder, et pour le bienfait de la paix qu'il apportait à la France: on remarqua seulement que les mots d'octroi et de concession avaient été évités dans cette adresse.

Il y eut à la Chambre des députés une assez forte résistance à vaincre dans la discussion des bureaux. M. Durbach, député de la Moselle, ne dissimula point son intention d'exprimer à la tribune son vif regret que le Roi eût octroyé une Charte en vertu de son autorité, au lieu d'accepter ou d'adopter une Constitution libérale. Selon lui, on aurait dû, en exécution de la déclaration du 2 mai, présenter à l'examen des deux grands corps de l'État le travail préparatoire des commissaires nommés par le Roi. « Cette Charte, concédée, disait-il, telle solennelle et solennellement prononcée qu'elle puisse paraître, demeure toujours révocable par sa nature, et ne saurait tenir lieu d'un pacte social libre

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