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toutes les garanties politiques et civiles pour l'acquisition desquelles elle combattait en 1789; on userait donc raisonnablement de la presse dont on avait abusé passionnément à cette époque : - conclusion d'un optimisme hasardeux! Encore n'était-ce point la presse qui avait fait naître les passions, elle s'en était seulement armée:- n'était-il donc pas périlleux de lui laisser ressaisir ses armes ? Il rappela les services que les journaux avaient rendus au temps du Directoire, nia imperturbablement leurs dangers, indiqua, non sans vérité, mais avec quelque exagération, les inconvénients de la censure, qui donne aux ministres la faculté de fausser l'opinion sur les hommes et sur les choses, sans parler d'un plus grave inconvénient encore, celui de rendre le gouvernement responsable de tout ce qu'il laisse dire.

L'abbé de Montesquiou crut devoir prendre une dernière fois la parole. Il exhorta les députés à ne pas songer seulement à la nation des auteurs, mais à cette grande nation occupée de son travail et de ses affaires qui demandait du repos. Il évoqua les souvenirs les plus néfastes de la presse révolutionnaire qui, en trois ans, avait renversé l'édifice social, et exhorta les législateurs à ne chercher qu'en eux-mêmes la garantie de la Constitution.

Malgré ces efforts, malgré ces concessions, la loi modifiée, comme il a été dit, ne fut votée que par cent trente-sept voix contre quatre-vingts. Forte et menaçante minorité, au début d'un gouvernement !

La discussion fut plus vive encore à la Chambre des pairs. Si l'on avait espéré que les membres de l'ancien Sénat conserveraient, dans l'assemblée que Louis XVIII venait de nommer, leur docilité envers le pouvoir, on avait bien mal connu les tendances de la nature humaine. Le Sénat était composé d'hommes de la révolution, semblables à ces ressorts ployés sous une compression toute-puissante, et qui tendent à revenir

sur eux-mêmes, du moment que la pression qui les a courbés vient à cesser. En outre, plus ces hommes avaient le sentiment de la faiblesse qu'ils avaient montrée sous Napoléon, plus ils éprouvaient le besoin de refaire leur popularité.

Le projet fut donc aussi vivement et plus habilement attaqué au Luxembourg qu'au Palais-Bourbon. Il y avait dans la première Chambre des hommes qui n'avaient point oublié la tradition des grands débats parlementaires, et qui n'étaient point arrêtés par un sentiment de bienveillance envers la Restauration. MM. Cornudet, Boissy-d'Anglas, Porcher, Lanjuinais, Malleville, attaquèrent non plus la loi primitivement présentée, mais la loi amendée par la Chambre des députés. Plusieurs contestèrent au Roi et aux Chambres réunies le droit de suspendre momentanément un article de la Constitution. M. Porcher alla jusqu'à nier l'influence de la licence de la presse sur les excès de la Révolution: selon lui, l'or de la corruption avait soudoyé tous les crimes. Le comte LenoirLaroche demandait que le projet de loi ne fût pas même mis en délibération, parce qu'il était contraire à la Charte. M. de Malleville fut au moment de renouveler l'incident que voulait soulever M. Durbach sur l'octroi de la Charte. M. Boissyd'Anglas, esprit honnête, mais roide et excessif, laissa échapper des paroles presque menaçantes. Les échos du palais du Luxembourg, ordinairement silencieux ou troublés seulement par des voix dociles aux moindres désirs du pouvoir, durent s'étonner du bruit et du caractère violent de cette discussion et de l'éclat de tant de déclarations en faveur de la liberté de presse. Les sénateurs de la veille s'étaient réveillés tribuns, et le pacifique Luxembourg devenait un forum populaire.

la

Le débat ne dura pas moins de quinze jours. Le ministère qui, pendant toute la discussion, s'était tenu sur une défensive prudente, et les orateurs qui parlèrent dans son sens, tirèrent tous leurs arguments de la difficulté des circon

stances, qui ne permettaient point d'établir cette liberté de la presse, qu'ils reconnaissaient sans difficulté comme étant la loi normale du régime établi par la Charte. Plus que jamais la loi sur la presse prenait un caractère d'exception. M. de Montesquiou, qui avait maladroitement laissé en tête du projet, en le portant à la Chambre des pairs, son préambule désormais en désaccord avec la disposition qui lui donnait le caractère d'une loi transitoire, fut obligé de donner sur ce point les explications les plus catégoriques, et de déclarer que « par l'article 22 le gouvernement avait consenti à changer en loi provisoire une loi qu'il avait cru devoir présenter comme définitive.» M. de Malleville demanda le rejet de ce préambule. Ce rejet fut voté, et cependant, au scrutin d'ensemble, la loi n'obtint qu'une majorité peu considérable; une opposition plus forte qu'à la Chambre des députés protesta jusqu'à

la fin.

Le gouvernement parlementaire s'ouvrait ainsi sous de fâcheux auspices. Le ministère, sans expérience et sans capacité politique, compromettait la royauté par des lois mal conçues et mal défendues, et les Chambres de l'Empire, transférées sous la royauté, montraient un esprit d'opposition, un goût de popularité, qui présageaient de graves difficultés. Le ministère avait obtenu, il est vrai, la censure, mais en la laissant amoindrie et ravalée au rang des lois d'exception. Il avait dû souscrire une concession définitive pour obtenir des Chambres une concession transitoire, et encore ne l'avait-il obtenue

1. Il était ainsi conçu : « Voulant assurer à nos sujets le bienfait de la Charte constitutionnelle, qui leur garantit le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté,

« Nous avons pensé que notre premier devoir était de leur donner sans retard les lois que la Constitution ne sépare poin! de la liberté même, et à défau! desquelles le droit accordé par la Charte constitutionnelle resterait sans effet. ■ a A ces causes, etc. »

qu'avec peine, après un débat vif et prolongé. Il avait eu le dessous dans cette discussion, et sa majorité s'était trouvée faible au scrutin. On était déjà loin de l'unanimité des premiers jours de la Restauration. Une puissante opposition se dessinait dans les deux Chambres. Cette opposition s'était comptée; elle connaissait sa force; elle avait excité de nombreuses sympathies au dehors; elle avait dans le cri de la liberté son mot d'ordre et de ralliement. Sans doute, dans tous ces débats, le nom du Roi avait été prononcé par toutes les nuances d'opinions avec respect, et la royauté avait été laissée en dehors et au-dessus de la discussion. Mais le gouvernement royal avait été vivement attaqué dans ses tendances et dans ses actes, et l'inhabileté du ministère, l'inexpérience politique des Chambres, leur goût pour la popularité, la division et l'excitation des esprits, avaient paru d'une manière fâcheuse dans

cette occasion.

II

RAPPORT SUR LA SITUATION DU ROYAUME. — BUDGETS DE 1814 ET DE 1815. — LOI SUR LA RESTITUTION DES BIENS NATIONAUX NON VENDUS.

La discussion de la loi sur la presse n'avait pas encore commencé quand les Chambres eurent à s'occuper de deux sujets d'une haute importance. Le ministre vint présenter, le 12 juillet, au nom du Roi, le tableau de la situation de la France 1, de

1. M. Guizot dit dans ses Mémoires: « La Charte promulguée, je demandai à l'abbé de Montesquiou s'il ne serait pas bon que le Roi fît mettre sous les yeux des Chambres un exposé de la situation dans laquelle à l'intérieur il avait trouvé la France, constatant ainsi les résultats du régime qui l'avait précédé et faisant pressentir l'esprit de celui qu'il voulait fonder. L'idée plut au ministre, le Roi l'agréa. Je me mis aussitôt à l'œuvre; le ministre travailla aussi de son côté. »

mandé par un député, M. Dumolard, et le budget fut apporté à la Chambre le 22 juillet suivant.

Le tableau de la situation du royaume était, à proprement parler, le triste inventaire des blessures que l'Empire laissait à la France. Comme les héritiers qui recueillent une succession embarrassée et chargée d'un arriéré immense, la royauté, c'était son droit, constatait la situation dans laquelle elle prenait la fortune du pays. L'état des levées d'hommes ordonnées depuis la fin de la campagne de Russie seulement, atteignait le chiffre effrayant de un million trois cent mille hommes'. <<< Il est impossible d'évaluer l'effroyable consommation d'hommes qu'a faite le dernier gouvernement, disait le ministre avec vérité, les fatigues et les maladies en ont enlevé autant que la guerre les entreprises étaient si courtes et si rapides, que tout était sacrifié au désir d'en assurer le succès. Des levées d'hommes qui, autrefois, auraient formé des armées. disparaissaient sans prendre part au combat; de là, la nécessité de multiplier les levées d'hommes, pour remplacer sans cesse par des armées nouvelles des armées presque anéanties. On a vu, avec un étonnement mêlé de terreur, un peuple civilisé condamné à échanger son bonheur et son repos contre la vie errante des peuples barbares. Les liens de famille ont été rompus; les pères ont vieilli loin de leurs enfants et les enfants sont allés mourir à quatre cents lieues de leur père. Aucun espoir de retour n'adoucissait cette affreuse séparation on

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