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Bonaparte a employé plus d'un prestige pour ressaisir et retenir le pouvoir; et uņe nation, quand elle est trompée avec adresse, ne peut s'éclairer que par les événemens. L'illusion avait déjà cessé pour tous les hommes sages avant les revers de l'armée; la conviction ne se forme pas dans la multitude avec la même rapidité.

Les causes du mal étaient anciennes; on n'avait point assez remarqué qu'une révolution de vingt-cinq ans ne pouvait pas se terminer sans des conciliations, des précautions et des ménagemens une grande partie de nos malheurs est venue de ce défaut de prévoyance. Pourquoi le dissimuler maintenant? un zèle imprudent et exagéré pour les règles et les maximes de l'ancienne monarchie fit bientôt commettre plusieurs fautes aux royalistes, et même à quelques-uns des ministres du Roi il en résulta des inquiétudes de plus d'un genre, un ébranlement dans l'opinion, et une désaffection pour le gouvernement.

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Cette opposition morale, qui était connue de toute l'Europe, ne pouvait échapper aux calculs de Bonaparte; il n'eut pas besoin d'une autre incitation pour venir se jeter au milieu de ce mécontentement et de ces élémens de discorde : autant les chances périlleuses d'une conspiration et du secret qu'elle aurait exigé auraient pu

faire avorter de projets, autant il put compter avec une espèce de certitude sur la stupeur que produit toujours une grande nouveauté, et sur l'irréflexion et l'entraînement des esprits, quand ils sont frappés soudainement par une entreprise audacieuse et inattendue.

Une défection isolée, et qui ne devint que trop décisive, favorisa sans doute l'entrée de Bonaparte à Grenoble, dans le seul moment où l'on pouvait encore écarter les maux qu'il nous apportait; il n'en fut pas ainsi trois jours après. Il avait déjà, quand il se présenta devant Lyon, une force quelconque, ou du moins des moyens. suffisans pour une guerre intestine ce fut, d'ailleurs, à Lyon qu'il commença à développer ses plans astucieux. Ses promesses d'affermir la liberté civile et politique par tous les genres de garanties, et les assurances qu'il donnait, ou qu'il faisait entendre, d'être soutenu par l'Autriche, produisirent l'effet qu'il en voulait obtenir. Il eut, dès ce premier moment, un appui dans la population; ce qui ne permettait plus de le repousser sans armer les citoyens les uns contre les autres. Cette crise fut d'ailleurs si rapide, que dans le court passage de l'hésitation à l'entraînement, et de là à la nécessité d'obéir, la justice la plus rigoureuse trouverait bien peu de coupables, quand même la crainte de se

jeter dans la guerre civile permettrait ici l'application du mot de révolte. Il était bien difficile aux citoyens d'empêcher ce que le gouvernement ne put empêcher lui-même.

Il importe sur-tout de faire remarquer tout ce qui se rattache à la pacification de la France. L'illusion qui seule maintenait le gouvernement de Bonaparte s'affaiblit successivement; on n'eut aucun doutes peu de temps après son entrée dans Paris, qu'il nous apportait la guerre étrangère; mais dans cet intervalle il s'était emparé de tous les ressorts du gouvernement; ses forces augmentaient chaque jour par l'appel des anciens soldats il avait d'ailleurs remplacé l'espérance de la paix par celle des négociations.

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Forcé de s'expliquer sur cette constitution libérale et populaire qu'il avait si pompeusement annoncée, l'attente publique fut trompée à un tel point, qu'un cri d'indignation retentit dans toute la France. II y a à regretter que, daus ce moment décisif, des négociations n'aient pu s'ouvrir, tant avec le roi qu'avec les puissances; la publication que fit Bonaparte de son acte additionnel aux constitutions aurait été pour lui le signal de sa déchéance.

On découvrit encore, quoiqu'un peu tard, qu'il nous avait trompés sur les forces qu'il disait

avoir, et qu'il nous sacrifiait à sa situation désespérée mais les choses en étaient venues à cette extrémité, que, sans un revers, ni la France ni l'armée n'auraient pu se prononcer. Les souverains avaient fait des promesses, et l'on ignorait leurs desseins, parce qu'il était resté en effet beaucoup de vague dans leurs déclarations; on ignorait également les desseins du Roi, et l'on craignait pour lui-même, autant que pour le repos de la France, que ses ministres ne voulussent persister dans quelques-unes des erreurs de son précédent gouvernement. Les Chambres, de leur côté, né voulaient pas s'exposer à aggraver les maux, en employant de faux remèdes et en devançant les événemens ; on voulait sur-tout éviter l'inconvénient de se tromper sur la volonté des souvérains, ét c'est ce qui a produit ce défaut d'unanimité qui subsiste encore en partie, mais qu'il ne faut attribuer qu'à une hésitation excusablé. Enfin, on pourrait affirmer que si l'exclusion donnée par les actes du congrès au gouvernement de Bona parte avait été étendue à tout autre gouvernement que celui du Roi, on serait parvenu, en France, à empêcher la guerre d'éclater. Cette dernière remarque ne paraîtra point indifférente, dans un moment où il faut faire avec équité la part des fautes réelles, pour ne pas les con

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Fondre avec les effets de la nécessité ou de l'em barras des circonstances.

Ces considérations, quoique générales, étaient des données indispensables pour le jugement qu'il s'agit de porter dans notre situation. Bonaparte était déjà perdu, sans retour, avant son abdication; il ne lui était resté d'influence que sur les simples soldats, qui s'imaginaient encore le trouver invincible: ses derniers revers ont enfin détruit, ce dernier prestige; étranger désormais à la France, comme il l'a été à nos mœurs et à nos véritables intérêts, il n'a plus, il n'aura jamais, en France, de partisans que l'on puisse être dans le cas de redouter.

L'armée est dans la situation où l'a mise la convention de l'armistice, elle n'en violera point les conditions on ne la verra point non plus enfreindre ses devoirs. Si elle diffère de se prononcer avec unanimité, c'est qu'on l'abandonne à elle-même, et que le gouvernement hésite sur les ordres qu'il a à lui donner, parce qu'il voudrait pouvoir les concilier avec toutes les mesures d'une pacification générale. L'armée, de son côté, en se considérant comme l'armée de la nation, ignore comment elle doit se conduire pour servir le Roi et la patrie: le Roi, cépendant, n'aura qu'à disposer d'elle pour se faire obéir. La dissolution de l'armée, soit qu'on

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