Sidebilder
PDF
ePub

venir de leurs victoires passées, et dans la satisfaction que leur laissaient quelques actes de résistance énergique, et le respect des soldats étrangers. La restauration fut de la part de tout le monde un acte d'égoïsme, aussi bien de la part des maréchaux et des autorités impériales, que de celle des souverains coalisés et de la bourgeoisie française.

Cependant les premières démarches des Bourbons annoncèrent à la France qu'ils se considéraient comme les représentans d'un intérêt qui n'était pas le sien. Elle apprit bientôt qu'ils croyaient leur légitimité supérieure à la sienne. La bourgeoisie et le peuple étaient encore dans l'erreur à cet égard lorsque le comte d'Artois entra dans Paris; ils considéraient la souveraineté de la nation comme incontestable; elle n'avait jamais été directement mise en doute par Napoléon, même à l'époque où il disait mon peuple, mes soldats, mes armées; il en avait fait la base de son autorité despotique. Qui pouvait alors penser que les Bourbons n'accepteraient pas un principe qui avait si bien servi à leur prédécesseur! Néanmoins, à peine la déchéance de Napoléon et le rappel des Bourbons étaient-ils obtenus, que la marche secrète du gouvernement provisoire annonça que les royalistes n'avaient point renoncé à la doctrine des droits héréditaires de leur race d'adoption, et qu'en conséquence ils ne voulaient point de la constitution du sénat. Le Moniteur reçut l'ordre de ne point insérer les adresses d'adhésion à cette constitution. Talleyrand écrivit au comte d'Artois qu'il se présentât à Paris en telle qualité qu'il jugerait devoir prendre. Il vint en effet. La garde nationale alla le chercher à Livry et se forma en haie sur son passage. Voici comment le Moniteur raconta son entrée dans la capitale en style officiel de l'empire.

Le 12 avril 1814, à midi, les membres du gouvernement provisoire et les commissaires aux départemens ministériels, précédés et suivis tant du corps municipal que de nombreux détachemens de la garde nationale de Paris, se sont rendus à la barrière de Bondy, où était S. A. R. Monsieur, frère du roi, lieutenant-général du royaume. Un peu avant une heure S. A. R. a paru en dehors de la barrière, entourée de plusieurs grands officiers de sa maison, et d'un groupe de maréchaux de France qui s'étaient portés en avant pour aller à sa rencontre. Monsieur et toutes les personnes qui l'entouraient étaient à cheval,

S. A. R. était vêtue de l'aniforme de la garde nationale. En ce moment les membres du gouvernement provisoire, précédés des maîtres et aides des cérémonies, se sont avancés auprès de S. A. R.

M. le prince de Bénévent a harangué Monsieur en ces termes, au nom du gouvernement provisoire :

Monseigneur, le bonheur que nous éprouvons en ce jour de régénération est au delà de toute expression, si Monsieur reçoit avec la bonté céleste qui caracférise son auguste maison l'hommage de notre religieux attendrissement et de notre dévouement respectueux. »

Monsieur a répondu :

«Messieurs les membres du gouvernement provisoire, je vous remercie de ce que vous avez fait pour notre patrie. J'éprouve une émotion qui m'empêche d'exprimer tout ce que je ressens. Plus de divisions! La paix, et la France! Je la revois enfin, et rien n'y est changé, si ce n'est qu'il s'y trouve un Français de plus (1). »

Les cris de vive le roi! vive Monsieur! vivent les Bourbons! se sont fait entendre unanimement.

S. A. R., entrée en-deçà de la barrière, a daigné elle-même demander le silence, et interrompre les acclamations dont elle était l'objet. Alors M. le baron de Chabrol, préfet du département de la Seine, a présenté à S. A. R. le corps municipal de Paris, et a prononcé le discours suivant :

>> Monseigneur, après vingt ans de malheurs, la France revoit avec transport la famille auguste, qui, pendant huit sfècles, assura sa gloire et son bonheur. La ville de Paris, objet de l'amour constant de ses rois, met ce jour au rang des plus beaux qui aient brillé pour elle depuis l'origine de la monarchie.

» La France entière soupire après le retour de son roi; elle entrevoit enfin le repos à l'ombre de l'autorité paternelle des descendans de saint Louis et de Henri IV: elle en attend le même amour.

» Des temps de désastres, qui ne furent ni sans gloire ni sans éclat pour l'honneur français, n'ont point altéré le caractère d'une nation généreuse. Un pou voir tutélaire va confondre et réunir tous les vœux, tous les intérêts, toutes les opinions; guerriers, magistrats, citoyens, tous les Français retrouvent au fond de leur cœur cet élan d'amour qui attache les Français au noble sang des Bourbons; animés du même esprit, ils ne formeront qu'une même famille.

>> Votre altesse royale agréera les vœux de tout un peuple qui va se presser sur ses pas; elle s'attendrira en reconnaissant ces lieux pleins du souvenir de ses augustes aïeux, et qui lui furent toujours si chers; elle entendra retentir partout les acclamations; elle verra l'espérance renaître dans tous les cœurs, et le bonheur de la patrie la consolera de ses longues souffrances. »

Le cortége s'est mis en marche de la barrière de Bondy au faubourg et à la rue Saint-Denis, par lesquels il s'est rendu à l'église métropolitaine. La marche du prince a été retardée par les transports de joie d'une foule immense, avide de le contempler. De nouveaux cris de vive le roi! vive Monsieur! retentissaient partout sur son passage. Il était près de trois heures lorsque le cortège est arrivé à Notre-Dame (2).

(1) Le prince, dit-on, avait été fort embarrassé de répondre; il prononça quelques phrases sans suite. On arrangea son discours; ce fut Beugnot qui fit ce petit travail, et trouva la phrase qui le terminait et qui fit fortune.

(2) L'enthousiasme ne fut pas aussi considérable que le dit le Moniteur. Il avait beaucoup de curieux; sur quelques points, il y eut de vives acclamations et quelques scènes d'enthousiasme préparées par les royalistes. A Notre-Dame les acclamations furent vives et parurent unanimes; mais là on avait réuni un public d'élite. (Nole des auteurs.)

Les chanoines, en chape, attendaient S. A. R. au grand portail. Elle y a été reçue sous le dais, et son premier mouvement, après s'être placée, a été de se jeter à genoux pour rendre grace à Dieu.

M. l'abbé Lemire, au nom du chapitre de la cathédrale, a prononcé un dis

cours.

Sur le passage de S. A. R., dans la nef et dans le chœur, des cris de vive le roi! vive Monsieur! se sont répétés avec une ardeur que la sainteté du lieu n'a pu modérer. L'enthousiasme dont tous les Français étaient animés s'est communiqué rapidement aux officiers russes, autrichiens, prussiens, anglais, espagnols et portugais, placés dans le chœur de la cathédrale ; plusieurs versaient des larmes de joie.

Les chanoines s'étant placés dans le sanctuaire, le Te Deum a été exécuté à grand orchestre; il a été suivi du Domine salvum fac Regem.

La cérémonie achevée, S. A. R. a été conduite au palais des Tuileries. Au moment de l'entrée du prince-au palais, le drapeau blanc a été arboré sur le pavillon du centre, au milieu des acclamations d'une foule innombrable. S. A. R., avant d'entrer dans ses appartemens, a parcouru tous les rangs de la garde nationale, dont la cour du palais était remplie; elle s'est entretenue avec le plus grand nombre, leur a pris la main avec affabilité, et a fait entendre partout des paroles touchantes.

-

Lorsque S. A. R. est rentrée dans ses appartemens, quelqu'un de sa suite lui a dit: Monseigneur doit être bien fatigue. — Comment, a repris le prince, serais-je fatigué un jour comme celui-ci, le premier jour de bonheur que j'aie éprouvé depuis vingt-cinq ans !

Le soir, la plupart des édifices publics et un grand nombre de maisons particulières ont été spontanément illuminés, et décorés d'emblèmes ingénieux. (Extrait de la relation du Moniteur.)

-On s'étonna, en général, que le sénat ne fût point présent à cette cérémonie. On remarqua son absence. En effet, ce corps, averti de l'arrivée prochaine du comte d'Artois et des dispositions que l'on faisait pour le recevoir, s'était expressément refusé, sur la proposition de MM. Lambrechts et Lanjuinais, à reconnaître ce prince comme lieutenant-général du royaume, à lui donner la qualité de Monsieur, à assister au Te Deum projeté, enfin, à rien faire qui pût l'engager avant d'avoir appris que la Constitution avait été acceptée par Louis XVIII. Le gouvernement provisoire ne tint compte de cette opposition; il passa outre, certain que la majorité de ce corps habitué à obéir ferait tout ce que l'on voudrait, aussitôt que l'on prendrait résolument l'initiative. C'est, en effet, ce qui arriva. Deux jours après, c'est-à-dire le 14 avril, Talleyrand conduisit le sénat aux pieds du comte d'Artois. Il lui parla ainsi en son nom, et lui présenta le décret que l'on va lire. Monseigneur, le sénat apporte à votre altesse royale l'hommage de son respectueux dévouement.

[ocr errors]

» Il a provoqué le retour de votre auguste maison au trône de France. Trop instruit par le présent et le passé, il désire avec la nation affermir pour jamais l'autorité royale sur une juste division des pouvoirs, et sur la liberté publique' seules garanties du bonheur et des intérêts de tous.

» Le sénat, persuadé que les principes de la Constitution nouvelle sont dans votre cœur, vous défère, par le décret que j'ai l'honneur de vous présenter, le titre de lieutenant-général du royaume jusqu'à l'arrivée du roi votre auguste frère. Notre respectueuse confiance ne peut mieux honorer l'antique loyauté qui vous fut transmise par vos ancêtres.

>> Monseigneur, le sénat, en ces momens d'allégresse publique, obligé de rester en apparence plus calme sur la limite de ses devoirs, n'en est pas moins pénétré des sentimens universels; votre altesse royale lira dans nos cœurs à travers la retenue même de notre langage. Chacun de nous, comme Français, s'est associé à ces touchantes et profondes émotions qui vous ont accompagné dès votre entrée dans la capitale de vos pères, et qui sont plus vives encoré sous les voûtes de ce palais, où l'espérance et la joie sont enfin revenues avec un descendant de saint Louis et de Henri IV.

» Pour moi, monseigneur, permettez que je me félicite d'être auprès de votre altesse royale l'interprète du sénat, qui m'a fait l'honneur de me choisir pour son organe. Le sénat, qui connaît mon attachement à ses membres, a voulu me ménager encore un doux et beau moment : les plus doux en effet sont ceux où l'on se rapproche de votre altesse royale pour lui renouveler les témoignages de son respect et de son amour.

» Voici le décret rendu par le sénát :

» Le sénat, délibérant sur la proposition du gouvernement provisoire,

» Après avoir entendu le rapport d'une commission spéciale de sept membres, » Décrète ce qui suit :

» Le sénat confère le gouvernement provisoire de la France à S. A. R. mon» seigneur le comte d'Artois, sous le titre de lieutenant-général du royaume, en » attendant que Louis-Stanislas-Xavier de France, appelé au trône des Français, » ait accepté la Charte constitutionnelle.

>> Le sénat arrête que le décret de ce jour, concernant le gouvernement pro» visoire de la France, sera présenté ce soir par le sénat en corps, à S. A. R. » monseigneur le comte d'Artois. »>

M. le comte d'Artois a répondu :

<< Messieurs, j'ai pris connaissance de l'acte constitutionnel qui rappelle au trône de France le roi mon auguste frère. Je n'ai point reçu de lui 'le, pouvoir d'accepter la Constitution; mais je connais ses sentimens et ses principes, el je ne crains pas d'être désavoué en assurant en son nom qu'il en admettra les bases.

» Le roi, en déclarant qu'il maintiendrait la forme actuelle du gouvernement, a donc reconnu que la monarchie devait être pondérée par un gouvernement représentatif, divisé en deux chambres ces deux chambres sont le sénat et la chambre des députés des départemens; que l'impôt sera librement consenti par les représentans de la nation; la liberté publique et individuelle assurée ; la liberté de la presse respectée, sauf les restrictions nécessaires à l'ordre et à la tranquillité publique; la liberté des cultes garantie; que les propriétés seront inviolables et sacrées; les ministres responsables, pouvant être accusés et poursuivis par les représentans de la nation; que les juges seront inamovibles, le pouvoir judiciaire indépendant, nul ne pouvant être distrait de ses juges naturels; que la dette publique sera garantie: les pensions, grades, honneurs militaires seront

conservés, ainsi que l'ancienne et la nouvelle noblesse; la Légion-d'Honneur maintenue : le roi en déterminera la décoration ; que tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires; qu'aucun individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et ses votes, et que la vente des biens nationaux sera irrévocable. Voilà, ce me semble, messieurs, les bases essentielles et nécessaires pour consacrer tous les droits, tracer tous les devoirs, assurer toutes les existences, et garantir notre avenir.

>> Je vous remercie, au nom du roi mon frère, de la part que vous avez eue au retour de notre souverain légitime, et de ce que vous avez assuré par là le bonheur de la France, pour laquelle le roi et 'oute sa famille sont prêts à sacrifier leur sang. Il ne peut plus y avoir parmi nous qu'un sentiment; il ne faut plus se rappeler le passé; nous ne devons plus former qu'un peuple de frères. Pendant le temps que j'aurai entre les mains le pouvoir, temps qui, je l'espère, sera très-court, j'emploierai tous mes moyens à travailler au bonheur public. » Un des membres du sénat s'étant écrié : « C'est vraiment le fils de Henri IV ! » le prince a repris :

«Son sang coule en effet dans mes veines, je désirerais en avoir les talens; mais je suis bien sûr d'avoir son cœur et son amour pour les Français.. »

M. Félix Faulcon, vice-président du corps législatif, s'est exprimé ainsi : « Monseigneur, les longs malheurs qui ont pesé sur la France sont enfin arrivés à leur terme! Le trône va être occupé de nouveau par les descendans de ce bon Henri que le peuple français s'approprie avec orgueil comme avec amour; et les membres du corps législatif se glorifient d'être aujourd'hui près de votre altesse royale les interprètes de la joie et des espérances de la nation.

» Les plaies profondes de la patrie ne peuvent être cicatrisées désormais que par le concours tutélaire de toutes les volontés.

> Plus de divisions! avez-vous dit, Monseigneur, dès les premiers pas que vous avez faits dans cette capitale; il était digne de Votre Altesse royale de faire entendre ces belles paroles, qui ont rétenti déjà dans tous les cœurs. »

Le prince a répondu :

« Messieurs, je reçois avec une vive satisfaction les témoignages d'affection du corps législatif; je vous en fais mes remerciemens. Mais je dois vous dire plus : nous avons éprouvé, le roi et moi, un sentiment de gloire quand nous avons appris la fermeté avec laquelle le corps législatif avait. résisté à la tyrannie dans un moment où il y avait du danger à montrer de la fermeté; nous en avons été fiers.

» Nous n'aurons tous à l'avenir qu'un même sentiment, l'amour de la patrie. Ce serait peu que d'oublier le passé; nous devons ne former tous qu'une seule famille; nous devons tous vouloir le bien public, tous y concourir.

» Oui, messieurs, 'plus de divisions! Nous avons beaucoup souffert, mon frère et moi; mais nos peines ne sont plus rien. Vous nous direz les maux de la nation, vous qui êtes ses représentans, et nous chercherons avec vous les moyens d'y porter remède.

» Votre roi va arriver; il est impatient de voir cette France, dont il est éloigné depuis vingt-cinq ans. Il apporte un cœur français.

» Je ne puis vous dire la joie que j'éprouve à me trouver au milieu de vous ! Allons, messieurs, faisons le bien, et recommençons à être heureux. Puisse la Providence, qui a si miraculeusement commencé ce grand œuvre, bénir nos efforts pour le bonheur de la France! »

Le comte d'Artois donna ensuite successivement des audiences

« ForrigeFortsett »