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Alexandre convint du danger. Mais il écarta ces objections en répétant à Caulaincourt que les Bourbons ne seraient nullement imposés ni même indiqués à la France par les alliés; qu'ils se borneraient à déclarer l'incompatibilité de l'Europe avec la dynastie conquérante de Napoléon; que pour tout le reste ils étaient décidés à s'en remettre au libre choix de son gouvernement par l'opinion de la nation. Il ajouta que les grands corps constitués par Napoléon luimême témoignaient déjà hautement leur retour vers l'ancienne maison royale, assise sur des institutions libérales et constitutionnelles. Cependant l'empereur, fléchissant et comme par un reste de complaisance pour l'insistance de Caulaincourt, finit par se plaindre de son impuissance et de son isolement dans le conseil des souverains, et par promettre à l'ambassadeur qu'il plaiderait encore le lendemain la cause de la régence de Marie-Louise.

La nuit s'avançait. Le jour allait poindre; l'empereur, comme s'il eût voulu sanctionner les espérances qu'il donnait à Caulaincourt par une familiarité plus tendre, le fit coucher sur un divan dans la chambre où il dormit luimême. Son parti n'était pas complétement arrêté encore dans son esprit. Il avait été ébloui jeune par l'enthousiasme pour Napoléon; il était fier de s'être mesuré à lui devant l'histoire; il affectait depuis son enfance, formée par des instituteurs révolutionnaires, la popularité d'un prince en avant de son siècle; il raillait les vieilles choses et les vieux débris de cour et d'émigration. Il n'avait pas de goût pour les princes de la maison de Bourbon. Ces princes n'avaient montré à Pétersbourg que les dehors de la chevalerie de leur race à l'époque où Catherine II attendait d'eux les témérités de l'héroïsme, et où elle leur prêtait ses subsides

et son appui. De plus Alexandre redoutait en eux l'Angleterre, dont ces princes étaient devenus depuis longues années les clients.

Caulaincourt, enfermé secrètement toute la journée du lendemain dans l'appartement du grand-duc Constantin, attendit entre la crainte et l'espérance le résultat des derniers conseils qui se multipliaient entre les souverains, les généraux étrangers, les partisans de la maison de Bourbon, les membres influents du Sénat et les maréchaux de l'empereur. Ce jour devait dénouer le sort de l'Europe, changer le sceptre de mains, abolir le gouvernement militaire, clore une domination dont la gloire même ne pouvait plus alléger le poids. Le règne des épées finissait celui des idées allait.

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LIVRE SIXIÈME

Alexandre chez M. de Talleyrand. - M. de Talleyrand. - Conférence de

Délibération. - Alexandre. Le duc d'Alberg.

nuit des alliés.

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Déclaration des souverains.

- Députation royaliste à Alexandre. - Réponse de M. de Nesselrode. -Propagande royaliste. La presse. - Brochure de M. de Chateaubriand: Bonaparte et les Bourbons. Situation des esprits. ConvoIcation du Sénat. Séance du 1er avril. - Formation du gouvernement provisoire. M. de Talleyrand. Le duc d'Alberg. M. de Jaucourt. Le général Beurnonville. L'abbé de Montesquiou.

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Le conseil municipal.

Manifeste de M. Bellart.

I

L'empereur Alexandre, après son entrée triomphale dans Paris, était descendu de cheval chez M. de Talleyrand. La situation de cet hôtel à l'angle des Champs-Élysées et du jardin des Tuileries, ses vastes et splendides appartements, avaient servi de prétexte aux ministres et aux aides de camp de l'empereur pour le choix de ce logement. Mais les relations sourdes de M. de Talleyrand avec les diplomates étrangers du cabinet d'Alexandre, ses rapports

secrets avec les princes de la maison de Bourbon par M. de Vitrolles, négociateur volontaire, intrépide et actif entre l'opinion royaliste et les désaffections impérialistes, la haine que M. de Talleyrand laissait assez percer depuis sa disgrâce contre l'empereur, son influence sur le Sénat, son crédit sur les anciens révolutionnaires, ses liens de famille et de société avec les plus grandes aristocraties de France, enfin sa réputation presque prophétique de divination des événements devenue telle que, quand on voyait M. de Talleyrand incliner vers un parti, on croyait y voir pencher la fortune, étaient les véritables motifs qui avaient conduit Alexandre chez cet homme d'État. Cette faveur même du jeune souverain, devenu l'hôte du vieux diplomate, était de nature à accroître l'importance que l'opinion publique attachait déjà aux résolutions de M. de Talleyrand. Le parti royaliste, qui savait d'avance que la Restauration sortirait de ces conférences, avait eu l'habileté de les placer ainsi au foyer et sous les auspices de l'homme d'État dont on voulait capter l'oreille et consolider le crédit.

II

M. de Talleyrand inspirait depuis longtemps des soupçons sérieux à Napoléon. Il avait médité plusieurs fois de le faire arrêter, afin de prévenir des intrigues et des défections dont ses premiers revers devaient être le signal. Il n'avait pas osé. Téméraire et prompt à frapper les factieux vulgaires, cruel même, sans justice et sans pitié envers le duc d'Enghien, envers le souverain pontife, envers les

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