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aux deux généraux d'oublier, l'un ses reproches, l'autre la vengeance du jugement militaire dont il avait menacé son subordonnné.

XXIV

Mais à peine l'empereur avait-il quitté l'armée de Marmont, que des émissaires du ministre de la guerre, de M. de Talleyrand, des royalistes et surtout des républicains, s'étaient insinués dans le camp du maréchal, et avaient pénétré même jusqu'à lui. On peut croire que l'esprit déjà contristé du maréchal fut de plus en plus travaillé par des sollicitations revêtues des couleurs d'un vrai patriotisme, et qui le plaçaient dans la terrible alternative de manquer à son amitié pour un ancien chef, ou de manquer à sa sollicitude pour sa patrie. Dans cet ébranlement d'esprit de Marmont, le prince de Schwartzenberg, qui commandait les forces en face d'Essonne, somma ce maréchal, au nom de la paix et au nom du nouveau gouvernement de son pays, d'éviter une inutile effusion de sang, et de se ranger, disait-il, sous les drapeaux de la cause véritablement française. Le commandant de la garde nationale de Paris, le général Dessoles, ancien lieutenant de Moreau, plein d'un juste ressentiment contre l'empereur, adressait à Marmont, au nom de ses concitoyens de Paris, de leurs vies, de leurs propriétés, de leurs familles, les mêmes prières. Son adhésion au nouveau gouvernement national trancherait tout. La responsabilité de la France pesait tout entière en ce moment sur un seul homme, arbitre entre

l'empire encore armé et la nation suppliante aux pieds du général le plus rapproché d'elle, pour sa capitale et pour son sang.

XXV

Le maréchal n'osa pas porter seul le poids d'une décision dont il se sentait écrasé d'avance devant l'honneur, devant la reconnaissance, devant l'histoire. Il délibéra avec lui-même. Délibérer quand le devoir militaire est d'obéir, c'était déjà faillir. Comme militaire, il se condamnait; comme ami, il déchirait son âme; comme citoyen d'un pays dont le sort était entre ses mains, il faisait peut-être un de ces efforts surnaturels qui immolent un devoir à l'autre et qui sacrifient un homme au salut public. Quoi qu'il en soit, Marmont voulut une excuse. C'était avouer assez qu'il allait se reconnaître une faute. Il rassembla à Essonne tous les généraux, tous les officiers supérieurs de son armée, et il les consulta sur l'adhésion qu'ils allaient refuser ou donner, au nom de l'armée, aux propositions de Paris, du gouvernement provisoire et des alliés. La situation devait être bien glissante, et la pression des événements et de l'opinion nationale bien extrême, car tous se prononcèrent pour l'adhésion. On n'y mit qu'une réserve commandée par les souvenirs et par la décence même de l'abandon : ce furent des garanties pour la vie et pour la liberté de l'empereur.

Marmont écrivit au prince de Schwartzenberg une lettre où perçaient à la fois la résolution, la douleur et le remords.

XXVI

« J'ai reçu, disait-il, la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire. L'opinion publique a toujours été la règle de ma conduite. L'armée et le peuple se trouvent déliés du serment de fidélité envers l'empereur Napoléon par le décret du Sénat. Je suis disposé à concourir à un rapprochement entre le peuple et l'armée qui doit prévenir toute chance de guerre civile et arrêter l'effusion du sang français. En conséquence, je suis prêt à quitter l'armée de l'empereur Napoléon aux conditions suivantes, dont je vous demande la garantie par écrit :

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« Art. 1. Les troupes qui quitteront les drapeaux de Napoléon pourront se retirer librement en Normandie.

» Art. 2. Si par suite de ce mouvement les événements » de la guerre faisaient tomber entre les mains des puis» sances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie » et sa liberté lui seraient garanties dans un espace de ter» rain et dans un pays circonscrit au choix des puissances » alliées et du gouvernement français.

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XXVII

On voit que la défection ne se dissimulait à elle-même aucune des éventualités qu'elle préparait. Elle savait qu'elle livrait Napoléon en repliant à son insu le rempart qui l'abri

tait encore, et qu'elle stipulait d'avance les conditions ambiguës de sa captivité. Les termes de l'article 2, en effet, pouvaient aussi bien s'appliquer à une prison qu'à un empire. La meilleure preuve que Marmont parlait comme les ennemis de son souverain, de son bienfaiteur et de son général, c'est que les alliés signèrent ses paroles et qu'ils les élargirent même en lui conférant une souveraineté dans l'ostracisme.

« Je ne saurais assez vous exprimer, répondit le généralissime des troupes étrangères à Marmont, la satisfaction que j'éprouve en apprenant l'empressement avec lequel vous vous rendez à l'invitation du gouvernement provisoire, en vous rangeant sous la bannière de la cause française. Les services distingués que vous avez rendus à votre pays sont reconnus généralement. Vous y mettez le comble en rendant à leur patrie le peu de braves échappés à l'ambition d'un seul homme. J'apprécie surtout la délicatesse de l'article que vous demandez et que j'accepte, relatif à la personne de Napoléon. Rien ne caractérise mieux cette générosité naturelle aux Français et qui vous distingue particulièrement. »

Les alliés déguisaient ainsi à Marmont sa propre faute en la colorant de délicatesse et de générosité, plus indulgents qu'il ne l'était envers lui-même. A peine eut-il signé cette convention qu'il parut s'en repentir et vouloir racheter ce qu'elle avait de cruel pour son âme par des efforts concertés avec d'autres maréchaux en faveur de la régence et de l'empire laissé au fils de son bienfaiteur.

Mais revenons à Fontainebleau.

LIVRE HUITIÈME

Abdication de Napoléon.

Il envoie Caulaincourt et Macdonald comme

plénipotentiaires à Paris. Conseil des maréchaux et des souverains

alliés le 4 avril. — Rejet de la régence.

mée de Marmont.

--

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Repas de nuit des généraux et des officiers.

Marche du 6 corps entre les lignes ennemies. - Son soulèvement à

son arrivée à Versailles. Sa marche vers Rambouillet.

-

accouru à Versailles, arrête et apaise le 6 corps.

Marmont,

Ovation de Mar

Ordre du jour de

mont à son retour à l'hôtel de M. de Talleyrand. Napoléon le 5 avril. Retour des plénipotentiaires à Fontainebleau.

Napoléon veut recommencer la guerre. - Il y renonce.

de Caulaincourt pour Paris.

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I

L'empereur en entrant dans ses appartements donna à haute voix l'ordre de porter le quartier général à Ponthierry, sur la route d'Essonne. C'était dans sa pensée un ordre tacite à ses maréchaux de le suivre avec leurs corps d'armée. Il ne supposait pas que ses compagnons d'armes l'abandonneraient au dernier combat. Il ne croyait plus au dévouement, mais il croyait encore à l'honneur.

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