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On conçoit du reste le dépit du ministère; les grands n'aiment pas les épigrammes, et la nomination de M. Manuel en est une; on n'en a guère fait de meilleur goût. Doué d'un talent facile et d'une brillante élocution, M. Manuel est un orateur distingué et un homme de trèsbonne compagnie. On s'est plu à le représenter comme un révolutionnaire et comme un ambitieux. Ce révolutionnaire a les mœurs les plus douces ; cet ambitieux est un avocat, et toute son ambition se bornait à plaider. Vous savez la scandaleuse décision du conseil de discipline des avocats de Paris, qui, se mettant à la hauteur des circonstances, le destitua en quelque sorte de la parole. Bientôt après le collège électoral de Paris est convoqué, et M. Manuel est vengé des refus de six hommes de robe par les suffrages de trois mille citoyens. M. Manuel croit qu'enfin le temps est venu de rentrer dans la carrière; il se présente de nouveau, la porte lui est impitoyablement fermée; sourde et ignoble persécution qui a indigné tous les honnêtes gens, et dont M. Manuel est vengé d'une manière si éclatante. Mais, disent les ministres, nous y sommes étrangers. Le conseil de discipline est indépendant; non, car il est nommé par M. Bellart, procureur général, et M. Bellart est nommé par les ministres. Ne nous plaignons pas du reste de cette criante injustice, nous lui devons peut-être l'orateur qui est appelé à défendre nos libertés constitutionnelles. Repoussé à deux reprises par quelques avocats, M. Manuel est élu député par deux départemens.

La Bretagne a devancé Paris, et c'est la Vendée qui a pris l'initiative. C'est la Vendée dont on nous menaçait toujours, la Vendée où, selon certains hommes, il suf fisait de frapper la terre pour qu'il en sortit des armées féodales. Voilà, s'écriait-on sans cesse, voilà le pays de la loyauté et de l'honneur. Oui, sans doute, car on y venge le mérite, on y déteste la persécution et on y répare l'injustice. Oui, la Vendée est un département éminemment

français, et nous serions heureux de n'avoir pour députés que des hommes aussi constitutionnels que les députés vendéens. C'est au premier tour de scrutin qu'a été nommé M. Manuel; ses deux collègues, MM. Perraud et Égonière, ont eu comme lui les honneurs de la destitution. On a remarqué que les journaux ministériels, qui annoncent les nominations favorables à leurs maîtres avec toute la rapidité du télégraphe, avaient mis trois jours à faire connaître la nomination de M. Manuel! Encore, en parlant de l'élection de M. Egonière, ex-président du tribunal de Bourbon, ont-ils eu l'extrême attention de supprimer l'ex. Que! raffinement! quel tact exquis! c'est de la délicatesse de courtisan. Une excellence, dit-on, leur en a cependant su fort mauvais gré; soupirant, gémissant tête à tête avec son sous-secrétaire d'état, elle fixe par hasard les yeux sur l'officieuse gazette. A ces mots : Président du tribunal de Bourbon, il lui échappe un léger sourire. Ah! du moins, en voilà un qui est dans nos intérêts; c'est un fonctionnaire public, voyons les notes sur son compte; et à l'instant on fait appeler le chef du personnel. Pendant qu'il arrive, on se met à parcourir l'Almanach royal; on cherche à l'article Bourbon, point d'Égoniere; mais c'est peut-être à Fontenai, à Parthenay, à Poitiers; le nom du nouvel élu ne s'y trouve pas davantage. Enfin, le premier commis arrive; on lui témoigne son étonnement. « Ge n'est pas, dit-il, dans l'Almanach de 1818 qu'il fallait chercher, c'est dans celui de 1815. M. Égonière a été destitué à cette époque; je ne suis pas même bien sûr qu'il n'ait pas été exilé. »

Le Finistère a aussi nommé M. Manuel, et c'est là que les ministres avaient dirigé contre lui toutes leurs principales batteries. L'élection qui devait d'abord se faire le 20 avait été ensuite remise au 26 sous le prétexte d'un marché. Ces six jours, comme on le pense bien, n'ont pas été perdus par le ministère, mais les amis de la charte n'en

ont pas moins profité; toute la dernière députation était ministérielle, aucun député n'a été réélu. Ceux qui, avec M. Manuel, ont obtenu la confiance de leurs concitoyens, sont MM. Guilhem, Desbordes et Keratry. MM. Guilhem et Desbordes sont deux riches négocians de Brest et de Morlaix, amis éprouvés de la. liberté, et sur qui les grâces ministérielles ne peuvent exercer aucune influence. Ils étaient l'un et l'autre membres de la chambre des représentans, et ont été en butte à toutes les vexations sous la terreur de 1815. M. Keratry est un écrivain distingué et un métaphysicien profond; la patrie n'a pas d'ami plus sincère, la charte de défenseur plus dévoué, il augmentera le nombre des hommes à talent qui siégent au côté gauche. Quelques mois avant son élection, il avait publié un ouvrage extrêmement remarquable, intitulé: Inductions morales et physiologiques. Une seule citation pourra donner une idée des principes politiques de l'auteur :

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« Vous aimez votre roi, dit-il, vous faites bien, car le » prince, dans un état constitué, n'est autre chose que la » volonté visible et agissante de la patrie, qui se manifeste l'intérêt de tous. Mais si dans le chef du gouvernement de votre pays vous ne voyez que le maître qui » peut, sans que vous l'ayez mérité, vous favoriser dans votre famille ou dans la classe à laquelle vous apparten nez; si vous appelez la haine sur vos concitoyens, ou si » vous les écartez de cette portion du bonheur commun » à laquelle ils ont autant de droits que vous, votre amour » pour le roi n'est plus qu'une affaire de négoce ou qu'un » fanatisme dangereux. Quelques écrivains ont parlé avec >> enthousiasme de la légitimité. Le motif qui leur à fait » prendre la plume est peu méritant, puisqu'ils ont mé» connu ou passé sous silence le plus beau côté de l'insti»tution. Aux yeux du sage, la légitimité, dans l'ordre de » la succession au trône, serait une rencontre heureuse » du génie des peuples, si elle n'était le produit nécessaire

» de leurs besoins. Tout citoyen d'un état soumis à l'ac» tion régulière des lois, n'en parlera qu'avec respect; il » ne perdra pas de vue qu'elle lui assure la jouissance de » ses droits naturels et acquis. L'intérêt de tous et de cha» cun est ici en jeu. Il n'y a pas un individu qui ne soit » fondé à dire au prince: « Vous voulez une garantie, » vous m'en devez une, par conséquent. Vous demandez » que je rende votre état fixe et inébranlable; assurez le » mien. Vous souhaitez que je vous réponde de mes ar» Tière-neveux; liez donc les vôtres.

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La nomination de M. Manuel par la Vendée était connue à Quimper, mais les Bretons se sont montrés aussi incrédules que les Parisiens. Ils ont soupçonné une ruse ministérielle, et n'en ont pas même cru le télégraphe, qui est pourtant aussi véridique que le Moniteur. Cette défiance gé nérale ne laisse pas d'être remarquable. Quand on ne croit pas aux paroles de l'autorité, ce n'est pas ordinairement la faute du public,

Ce n'est que lundi 26, à dix heures du soir, qu'on a été bien convaincu, à Paris, de la nomination de M. Manuel par le département de la Vendée. C'était lui qui semblait devoir réunir le plus grand nombre de suffrages. Les bureaux avaient été formés dans la journée, mais on ne savait pas encore le candidat qu'on devait porter le lendemain. Trois cents citoyens, venus de toutes les sections, se rendent chez, M. Laffite, qui a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de dévouement et de patriotisme. On examine la formation définitive des bureaux, el presque partout les constitutionnels ont obtenu une immense majorité. Le rapport fait de la harangue de M. Rendu, président au Cercle Olympique, a excité la gaieté de l'assemblée. « Messieurs, a dit l'honorable suppléant de M. Bellart, après avoir choisi son bureau provisoire, les secrétaire et scrutateurs que je viens de nommer ont ma confiance, et ils méritent la vôtre; j'espère que, comme l'année dernière, vous ne

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me donnerez pas le désagrément de les changer. » Ce petit discours éloquent n'a pas manqué son effet, le bureau entier a été renouvelé, et M. Benjamin Constant a été élu secrétaire. Dans une autre section, le président avait appelé au bureau provisoire les trois scrutateurs définitifs de l'année dernière. Le secrétaire seul, entaché d'opinions libérales, avait été excepté, mais l'assemblée l'y a rappelé à une majorité immense. « Monsieur, a-t-il dit au président, en montant au bureau, je vous remercie de la marque de confiance que viennent de me donner mes concitoyens. M'exclure était le véritable moyen de me faire

nommer. »

Cependant on délibère sur le choix d'un candidat. On veut celui qui a rendu le plus de services à la liberté publique, et le nom de M. Benjamin Constant est dans toutes les bouches. Le lendemain, le premier scrutin s'ouvre, il obtient près de trois mille voix. M. Bonnet, candidat ministériel, en réunit à peine neuf cents, et M. Ternaux, manufacturier estimable, qui n'avait d'abord pour titre de recommandation qu'une bonne renommée et des services rendus à l'industrie nationale, compte à peu près dixhuit cents suffrages. Jamais le ministère n'éprouva pareille défaite; jamais les amis de la liberté n'obtinrent un plus beau triomphe. Effrayés d'une telle minorité, les ministres n'hésitent point, ils abandonnent leur favori, et se rejettent sur M. Ternaux, qu'ils repoussaient il y a un an comme trop libéral. Cependant celui-ci sent le tort que peuvent lui faire ses nouveaux protecteurs; et, pour conserver les voix qu'ils vont sans doute lui faire perdre, il fait répandre avec profusion une déclaration de principes telle que pouvaient la désirer les hommes les plus franchement libéraux, telle que la demanderaient à peine les écrivains les plus indépendans. O prodige! cette déclaration est insérée avec empressement par les mêmes journaux ministériels, qui, deux jours avant, traitaient de factieux et de

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