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une-il y a quelque temps, sire, par un homme appelé Pinto. A peine remonté sur le trône, il tend la main à la Catalogne révoltée."

"La Catalogne se révolte aussi ! Le roi Philippe IV. n'a donc plus pour premier ministre le comte-duc?”

"Au contraire, sire, c'est parce qu'il l'a encore. Voici la déclaration des Etats-généraux Catalans à sa Majesté Catholique, contenant que tout le pays prend les armes contre ses troupes sacriléges et excommuniées. Le roi de Portugal

“Dites le duc de Bragance,” reprit Louis; "je ne reconnais pas un revolté.”

"Le duc de Bragance donc, sire," dit froidement le conseiller d'état, "envoie à la principauté de Catalogne son neveu, D. Ignace de Mascarenas, pour s'emparer de la protection de ce pays (et de sa souveraineté peut-être, qu'il voudrait ajouter à celle qu'il vient de reconquérir). Or, les troupes de votre Majesté sont devant Perpignan."

"Eh bien, qu'importe?" dit Louis.

"Les Catalans ont le cœur plus Français que Portugais, sire, et il est encore temps d'enlever cette tutelle au roi de

de Portugal."

"Moi soutenir des rebelles! vous osez!"

au duc

"C'était le projet de son Eminence," poursuivit le secrétaire d'état; "l'Espagne et la France sont en pleine guerre d'ailleurs, et M. d'Olivarès n'a pas hésité à tendre la main de sa Majesté Catholique à nos Huguenots.”

"C'est bon; j'y penserai," dit le roi.

'Laissez-moi."

"Sire, les Etats - généraux de Catalogne sont pressés, les troupes d'Aragon marchent contre eux.”

"Nous verrons. Je me déciderai dans un quart d'heure,” répondit Louis XIII.

Le petit secrétaire d'état sortit avec un air mécontent et découragé. A sa place, Chavigny se présenta, tenant un portefeuille aux armes britanniques.

Sire," dit-il, "je demande à votre Majesté des ordres pour les affaires d'Angleterre. Les parlementaires, sous le commandement du Comte d'Essex, viennent de faire lever le siège de Gloucester; le prince Rupert à livré à Newbury une bataille désastreuse et peu profitable à S. M. Britannique. Le parlement se prolonge, et il a pour lui les grandes villes, les ports, et toute

la population presbytérienne. Le roi Charles I. demande des secours que la reine ne trouve plus en Hollande."

rr

"Il faut envoyer des troupes à mon frère d'Angleterre," dit Louis. Mais il voulut voir les papiers précédents, et en parcourant les notes du Cardinal, il trouva que, sur une première demande du roi d'Angleterre, il avait écrit de sa main :—

"Faut refléchir longtemps et attendre: les communes sont fortes; le roi Charles compte sur les Ecossais ; ils le vendront. "Faut prendre garde. Il y a là un homme de guerre qui est venu voir Vincennes, et a dit qu'on ne devrait jamais frapper les princes qu'à la tête. Remarquable," ajoutait le Cardinal. Puis il avait rayé ce mot, y substituant "redoutable.”

Et plus bas :

"Cet homme domine Fairfax; il fait l'inspiré; ce sera un grand homme. Secours refusé; argent perdu."

Le roi dit alors: "Non, non; ne précipitez rien; j'attendrai." Mais, sire," dit Chavigny, "les événements sont rapides; si le courrier retarde d'une heure, la perte du roi d'Angleterre peut s'avancer d'un an."

"En sont-ils là ?" demanda Louis.

"Dans le camp des Indépendants on prêche la République, la Bible à la main; dans celui des Royalistes, on se dispute le pas, et l'on rit.”

"Mais un moment de bonheur peut tout sauver !"

"Les Stuarts ne sont pas heureux, sire," reprit Chavigny, respectueusement, mais sur un ton qui laissait beaucoup à penser. Laissez-moi," dit le roi d'un ton d'humeur.

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Le secrétaire d'état sortit lentement.

Ce fut alors que Louis XIII. se vit tout entier, et s'effraya du néant qu'il trouvait en lui-même. Il promena d'abord sa vue sur l'amas de papiers qui l'entourait, passant de l'un à l'autre, trouvant partout des dangers, et ne les trouvant jamais plus grands que dans les ressources même qu'il inventait. Il se leva, et changeant de place, se courba, ou plutôt se jeta, sur une carte géographique de l'Europe; il y trouva toutes ses terreurs ensemble, au nord, au midi, au centre de son royaume; les révolutions lui apparurent comme des Euménides; sous chaque contrée il crut voir fumer un volcan; il lui semblait entendre les cris de détresse des rois qui l'appelaient, et les cris de fureur des peuples; il crut sentir la terre de France craquer et se fendre

sous ses pieds; sa vue faible et fatiguée se troubla, sa tête malade fut saisie d'un vertige qui refoula le sang vers son cœur. "Richelieu!" cria-t-il d'une voix étouffée, en agitant une sonnette, "qu'on appelle le Cardinal."

Et il tomba évanoui dans un fauteuil.

Lorsque le roi rouvrit les yeux, ranimé par les odeurs fortes et les sels qu'on lui avait mis sur les lèvres et les tempes, il vit un instant des pages, qui se retirèrent sitôt qu'il eut entr'ouvert ses paupières, et se retrouva seul avec le Cardinal. L'impassible ministre avait fait poser sa chaise longe contre le fauteuil du roi, comme le siége d'un médecin près du lit de son malade, et fixait ses yeux étincelants et scrutateurs sur le visage pâle de Louis. Sitôt qu'il put l'entendre, il reprit d'une voix sombre son terrible dialogue :

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"Vous m'avez rappelé," dit-il ; que me voulez vous ?” Louis, renversé sur l'oreiller, entr'ouvrit les yeux et le regarda, puis se hâta de les refermer. Cette tête décharnée, armée de deux yeux flamboyants et terminée par une barbe aiguë et blanchâtre; cette calotte et ces vêtements de la couleur du sang et des flammes, tout lui représentait un esprit infernal. "Régnez," dit-il d'une voix faible. Alfred de Vigny.

21. L'Oncle d'Amérique.

Bien qu'au commencement de ce siècle Dieppe eût déjà beaucoup perdu de son importance, ses expéditions maritimes avaient encore une grandeur que le commerce restreint de nos jours ne peut faire soupçonner. Le temps des fortunes fabuleuses n'était point tellement passé qu'on ne vit, de temps en temps, revenir des pays lointains quelques-uns de ces millionnaires inattendus dont le théâtre a tant abusé, et l'on pouvait encore, sans trop de naïveté, croire à la réalité des oncles d'Amérique. En effet, on montrait alors à Dieppe plus d'un négociant dont les navires remplissaient le port, et qu'on avait vu partir quelques vingt ans auparavant en simple jaquette de matelot. Ces exemples étaient un encouragement pour les forts et une éternelle espérance pour les déshérités. Ils rendaient l'invraisemblable possible, et l'impossible vraisemblable. Les malheureux se consolaient de la réalité en espérant un miracle.

Ce miracle semblait près de s'accomplir pour une pauvre famille du petit village d'Omonville, situé à quatre lieues de Dieppe.

La veuve Mauvaire avait subi de rudes épreuves. Son fils aîné, le véritable soutien de la famille, était mort dans un naufrage, laissant quatre enfants à la charge de la vieille femme. Ce malheur avait arrêté et peut-être rompu le mariage de sa fille Clémence, en même temps qu'il dérangeait les projets de son fils Martin, qui avait dû quitter ses études tardives pour venir reprendre sa part des travaux de la ferme.

Mais au milieu de l'inquiétude et de l'abattement de la pauvre famille, une espérance rayonna tout-à-coup! Une lettre écrite de Dieppe annonça le retour d'un beau-frère de la veuve, parti depuis vingt ans. L'oncle Bruno revenait avec quelques curiosités du nouveau monde, ainsi qu'il le disait lui-même, et dans la résolution de s'établir à Dieppe.

Sa lettre faisait, depuis la veille, l'objet de toutes les préoccupations. Bien qu'elle ne renfermât rien de précis, le fils Martin, qui avait de la lecture, y reconnut le style d'un homme trop libre et de trop bonne humeur pour ne pas s'être enrichi. Evidemment le marin revenait avec quelques tonnes d'écus, dont il ne refuserait pas de faire part à sa famille.

Une fois en route, l'imagination marche vite. Chacun ajouta ses suppositions à celles de Martin; Julienne elle-même la filleule recueillie par le veuve et qui habitait la ferme moins comme servante que comme parente d'adoption, Julienne se mit à chercher ce que l'oncle d'Amérique pourrait lui donner.

"Je lui demanderai un caraco de drap et une croix d'or," dit-elle, après une nouvelle lecture de la lettre, que Martin venait de faire tout haut.

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Ah,” dit la veuve en soupirant, "si mon pauvre Didier vivait, voilà qu'il eût trouvé un protecteur."

"Il y a toujours ses enfants, marraine," fit observer la jeune fille, "sans compter mam'selle Clémence, qui ne refuserait pas une dot."

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Pourquoi faire ?" dit Clémence, en secouant tristement la tête.

"Pourquoi?" répéta Julienne; "mais pour que les parents. de M. Marc n'aient plus rien à dire. Ils ont eu beau embarquer leur fils, à cette fin d'empêcher le mariage; si l'oncle Bruno le veut, allez le futur sera bientôt de retour."

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"Reste à savoir s'il a envie de revenir," objecta la jeune fille à demi-voix.

Eh bien! si ce n'est pas lui, tu en trouveras un autre,” dit Martin, qui ne voyait que le mariage de sa sœur, tandis que celle-ci voyait surtout le mari; "avec un oncle d'Amérique, on trouve toujours une bonne alliance. Qui sait même s'il n'a pas avec lui quelque compagnon de fortune, quelque millionnaire dont il voudra se faire un neveu?"

"Oh! j'espère bien que non!" s'écria Clémence effrayée; "rien ne presse pour mon mariage."

"Ce qui presse, c'est de trouver une place pour ton frère," reprit la veuve d'un ton chagrin.

"Monsieur le comte me fait toujours espérer la recette de ses fermes," objecta Martin.

"Mais il ne se décide pas," reprit la vieille femme; en attendant, le temps se passe et le blé se mange. Les grands seigneurs ne savent pas ça; leur esprit est au plaisir, et, quand ils se rappellent le morceau de pain qu'ils vous ont promis, vous êtes déjà mort de faim.”

"Nous n'aurons plus ça à craindre avec l'amitié de l'oncle Bruno," dit Martin; "il n'y a pas à se tromper; sa lettre dit : 'J'arriverai demain à Omonville, avec tout ce que je possède,' ce qui signifie, qu'il ne compte pas nous oublier."

"Il doit être en route," interrompit la veuve ; "il peut arriver à chaque instant."

“Avez-vous bien tout préparé, Clémence ?”

La jeune fille se leva et montra le buffet garni avec une abondance inaccoutumée. Près d'un gigot de mouton, qu'on venait de retirer du four se dressait un énorme quartier de lard fumé, flanqué de deux assiettes de fouasses de froment et d'une terrine de crême douce. Plusieurs pots de maître-cidre complétaient ce menu, qui fit pousser aux enfants des cris d'admiration et de convoitise. Julienne parla en outre d'un potage aux pommes et d'une tartine au beurre qui migeotait près du feu.

La veuve choisit alors dans son armoire à linge une nappe et des serviettes jaunies par le manque d'usage. La jeune servante prit dans le vaisselier les assiettes les moins ébréchées et commença à mettre le couvert, en plaçant au haut bout de la table l'unique cuiller d'argent que possédât la famille.

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On achevait ces préparatifs, lorsqu'un des enfants qui faisait

guet au dehors se précipita dans la maison en criant:

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