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SUR LE BUDGET.

(Séance du 9 mai 1827.)

MESSIEURS,

Les peuples ont deux sortes d'intérêts, ceux de l'avenir et ceux du présent; lors même que les premiers sont menacés, les seconds dominent. Chaque heure a besoin de pourvoir au besoin de chaque heure. Les populations voisines du Vésuve travaillent, labourent, recueillent, vivent au jour le jour. Occupons-nous donc du budget. (Des murmures s'élèvent à droite.)

Votre commission vous a fait un rapport approfondi. J'approuve plusieurs de ses conclusions; j'en combats quelques autres.

Certes ce ne sera pas moi qui m'opposerai aux économies : vous ne vous attendez pas que je justifie pour le ministère de la justice cette singulière prétention d'augmenter des traitemens déjà fortement rétribués. Votre commission veut bien supposer que les objets de ces faveurs y ont des droits : ces droits, je les ignore. Ce que je sais, c'est qu'il y a pour le peuple un droit qui passe avant tout, celui de vivre; et ce n'est pas dans un moment où il souffre, où le déficit apparaît dans nos finances, après tant de promesses

fallacieuses, et où le commerce secondaire éprouve des gênes qui préparent sa ruine, que je puis compatir aux besoins imaginaires de fonctionnaires qui consomment plus que la subsistance de beaucoup de familles réunies. Qu'ils aient le nécessaire, et même le nécessaire relatif, la chose est juste; mais quand la classe laborieuse, industrielle, qui tire tout de ses propres travaux, n'a tout au plus que le nécessaire, le luxe des fonctionnaires me semble un scandale.

Je regrette que votre commission ait conclu de cé que rien n'était changé aux évaluations de l'année dernière, qu'il n'y avait point d'observations à faire sur le conseil du roi et sur le conseil d'Etat.

N'y avait-il rien à dire sur l'existence ou la nonexistence constitutionnelle, et par conséquent sur le traitement de ce conseil privé, tour à tour un pouvoir et un fantôme, considéré comme une autorité quand les ministres l'appellent et s'en appuient, et qui pourtant n'en est pas une, puisqu'ils peuvent ne pas l'appeler; sur ce conseil privé, consulté quand les ministres pensent qu'il favorisera leurs conspirations contre la presse, et laissé de côté quand il s'agit des actes les plus violens et les plus dangereux?

N'y avait-il rien à dire sur ce conseil d'Etat, juge et partie, nommé par le pouvoir, et prononçant sur les intérêts privés que le pouvoir froisse; juge amovible contre la volonté de la Charte, et tantôt si redoutable, qu'on appelle ses décisions la chose jugée; tantôt si insignifiant, qu'on met en tête des ordonnances, comme une simple formule: Le conseil d'Etat entendu, quand il n'a pas même été assemblé?

Je suivrai l'exemple de votre commission, en ne disputant point sur la quotité des frais de justice; mais je renouvellerai une question que j'ai déjà adressée à MM. les ministres, et à laquelle M. le garde des sceaux, bien qu'il ait pris la peine de me remplacer à cette tribune, n'a pas répondu. Les frais de justice, qui chaque année dépassent le budget, ne sont-ils pas grossis par des poursuites imprudentes, téméraires, qui ont un fâcheux effet pour la considération du gouvernement, et même, je le dirai, pour sa stabilité ? Car il est des sujets que tout homme a le droit d'examiner, mais qu'il est peu sage d'agiter sans cesse dans des audiences et des plaidoiries.

A cette question, j'en ajouterai une seconde : j'attends la réponse impatiemment. Comment se fait-il que, si ombrageux sur des allusions qu'il faut interprêter subtilement pour les trouver hostiles, ou sur des offenses personnelles que jusqu'ici les tribunaux n'ont pas trop vengées, on soit si indulgent pour ceux qui provoquent les révolutions les plus funestes, en conseillant ouvertement au pouvoir la violation de tous ses sermens? Je m'adresserai au chef de la justice, et je lui dirai : Vous avez fait poursuivre maint écrivain pour des phrases plus ou moins déplacées; vous en avez fait poursuivre dont les tribunaux ont déclaré les phrases irrépréhensibles; et l'on écrit, l'on imprime sous vos yeux, qu'on n'a pas pu entrer légitimement dans la Charte, que c'est un monstrueux provisoire, une pomme de discorde lancée perfidement ( et vous savez, Messieurs, par qui la Charte a été lancée!); que, pour fermer les plaies

politiques de la France, il faut fermer les Chambres, que la légitimité et la monarchie ne peuvent les admettre dans leur sein que pour s'en voir tourmenter et dévorer. Ces choses s'impriment, se distribuent; et le ministère public, qui a traîné sur les bancs de la police correctionnelle un de nos anciens collègues (1), homme distingué, vertueux, intrépide, que nous honorons tous; le ministère public garde le silence. (Mouvemens en sens divers.)

Je ne me plains pas de l'indulgence, mais de la partialité. Qu'on laisse écrire contre la Charte; les droits qu'elle consacre ont pour eux la justice, la raison, le siècle, la génération qui nous entoure et nous presse; elle se défendra, de quelque manière qu'on l'attaque: elle se défendra, je l'espère; car, si malheureusement elle ne se défendait pas, la liberté se défendrait, et je craindrai toujours pour mon pays les luttes illégales.

J'ai eu occasion de relever, en parlant sur les comptes, les irrégularités nombreuses commises, et l'illégalité des augmentations de traitemens accordées par le ministre des affaires étrangères. Vous avez sanctionné ces actes; vous avez approuvé qu'il eût agi contre les lois. Je n'ai rien à dire de votre volonté; mais je prends la liberté de vous rappeler ce fait, parce qu'ayant de la sorte étendu votre indulgence sur le passé, vous voudrez peut-être annoncer quelque sévérité pour l'avenir.

Je me réunis donc à votre commission dans toutes

(1) M. Kératry.

les réductions qu'elle propose ; j'adopte surtout celles qui portent sur les services compris sous les noms multipliés de dépenses extraordinaires, diverses, imprévues ; désignations sous lesquelles se cachent toutes les prodigalités et toutes les complaisances. Chose étrange! on nous fait ainsi sanctionner d'avance les abus dans le budget; et l'on vient ensuite, au même titre, vous demander encore des crédits supplémentaires! Je loue aussi M. le rapporteur de s'être élevé. contre ces éternelles commissions de délimitation, de liquidation, dont on aperçoit d'autant moins le terme que leur prolongation est un moyen de multiplier des indemnités et des salaires, moyen qui, s'il est ruineux pour les contribuables, est précieux pour un ministre qui n'a de force morale que dans les faveurs pécuniaires qu'il distribue. Et je profiterai de cette occasion pour vous faire observer que les censures de votre commission s'appliquent avec une double force à ces commissions de liquidation des colons et des émigrés, que nous avons la douleur de voir choisies en partie dans une Chambre dont l'indépendance est l'attribut essentiel à sa dignité véritable.

Mais, après avoir ainsi rendu justice à ces portions du rapport, je me plaindrai de ce que son auteur, en établissant la nécessité d'accorder des fonds considérables au ministère des affaires étrangères, n'a pas jeté un coup d'œil rapide sur l'emploi qui en est fait.

« Le maintien de la dignité française au dehors, << nous dit-il, la surveillance sur tout ce qui intéresse « la sûreté extérieure de l'Etat, la protection des na<< tionaux établis en voyageant à l'étranger, l'appui dû

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