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Chacun d'eux, comme on le voit, se disputait le premier rôle. Disons-le pourtant dans cette discussion, le prince émigré montrait un sentiment de nationalité que n'avait pas le général de la République. Ce n'est pas tout: Pichegru, avant d'arborer le drapeau blanc, voulait des garanties plus solides que les promesses transmises par les intermédiaires de la négociation; il exigeait un engagement écrit de la main du prince Ce dernier éluda longtemps la demande. Sa résistance ne prenait pas sa source dans le dégoût qu'inspire la trahison à tous les cœurs honnêtes; ce qui lui répugnait, c'était d'abaisser l'orgueil de sa race et de son rang jusqu'à entrer en correspondance directe, écrite, avec un parvenu républicain. Il dut pourtant céder; il écrivit 1.

Les échecs volontaires essuyés par Pichegru, devant Mayence, avaient éveillé les soupçons du Directoire ; quelques indices sur la négociation qui se suivait augmentèrent sa défiance. Pichegru, dans les premiers jours d'avril 1796, reçut inopinément l'ordre de quitter l'armée, et se vit obligé de se rendre à Paris.

La contre-révolution royaliste, à cette époque, entrait dans un nouvel ordre d'efforts. Jusqu'à ce moment, elle avait procédé par voie d'insurrection. Mais le nombre et l'énergie des dévouements qu'exigent les luttes de cette nature n'existaient plus dans les masses; la force insurrectionnelle du parti roya

Voici, au sujet de cette lettre, quelques détails sur la lutte qu'un des négociateurs de l'affaire eut à soutenir contre le prince de Condé; c'est le comte de Montgaillard lui-même qui parle :

« Il fallut neuf heures de travail, assis sur son lit, à côté de lui, pour lui faire écrire au général Pichegru une lettre de neuf lignes. Tantôt il ne voulait pas qu'elle fût de sa main; puis il ne voulait pas la dater; puis il ne voulait pas l'appeler le général Pichegru, de peur de reconnaitre la République en lui donnant ce titre; puis il ne voulait pas y mettre l'adresse; puis il refusait d'y apposer ses armes; enfin il combattit pour éviter d'y placer son cachet. Il se rendit à tout enfin, et lui écrivit qu'il devait ajouter pleine confiance aux lettres que je lui avais écrites en son nom et de sa part. » (Pièces trouvées à Venise, dans le portefeuille du comte d'Antraigues, p. 9.)

liste s'était successivement épuisée dans les soulèvements de Lyon et du Midi, dans les guerres de la Vendée et dans la prise d'armes de vendémiaire; ainsi affaiblie, la contre-révolution dut recourir à un autre mode d'attaque: elle conspira. La trahison concertée avec Pichegru fut le premier pas des Bourbons dans cette voie nouvelle; cette tentative venait d'avorter par le rappel du général, quand Louis XVIII arriva sur les bords du Rhin.

Le séjour de ce prince à l'armée de Condé fut d'assez courte durée; les défiances de l'Autriche ne lui permirent pas de le prolonger au delà de quelques semaines. Ce fut à Blackenbourg, dans le duché de Brunswick, qu'il transporta sa petite cour. Il y arriva dans les derniers jours de juin 1796. Une fois installé dans cette résidence, il s'occupa d'imprimer une nouvelle activité et une même direction aux nombreuses agences qui se formaient à cette époque sur tous les points du territoire; toutes devaient porter leurs efforts sur la composition des administrations communales et départementales, sur les choix du corps électoral, et agir de manière à faire dominer l'élément royaliste dans les municipalités et les Directoires de chaque département, comme dans les deux Conseils composant le Corps législatif. Le renversement de la Révolution par les pouvoirs légaux de la République devint le mot d'ordre du parti. Les circonstances étaient singulièrement favorables. Le pouvoir exécutif, partagé entre cinq personnes de caractères différents et d'opinions souvent opposées, manquait de décision et d'énergie; les bases du système électif, d'un autre côté, étaient assez larges pour permettre tous les choix; grâce à la liberté dont jouissaient la presse et la parole, on pouvait, en outre, tout imprimer et tout dire; enfin, les changements apportés depuis 1789 dans toutes les positions et dans toutes les fortunes mettaient à la disposition des royalistes une masse considérable d'individus ruinés ou dont l'existence était déclassée, et auxquels venait se joindre la foule des am

bitieux trompés de tous les précédents régimes. Ces nombreux éléments de trouble et d'agitation furent bientôt en travail. Chaque matin, cinquante à soixante journaux provoquaient ouvertement au renversement de la République; chaque soir, plusieurs théâtres offraient aux applaudissements d'un public passionné des pièces écrites dans un esprit hostile aux nouvelles institutions et au nouveau pouvoir; dans tous les lieux de réunion publique, on n'entendait circuler que des propos calomnieux ou de grossières plaisanteries contre le Directoire, ses membres et ses ministres.

Les membres de l'agence royaliste de Paris, dupes de ces manifestations, que pourtant ils soldaient en partie, crurent leur triomphe assuré. Ils perdirent toute mesure. L'audace de leur langage et de leurs démarches contraignit le Directoire à sortir enfin de sa tolérance léthargique; le 31 janvier 1797, il adressa aux deux Conseils législatifs (les Anciens et les Cinq-Cents) un message dans lequel il annonçait la découverte d'une vaste conspiration contre-révolutionnaire, ainsi que l'arrestation des principaux coupables et la saisie de leurs papiers. L'abbé Brottier et ses deux collègues, Duverne de Presles et Lavilleheurnois, figuraient parmi les individus arrêtés. Ces arrestations et ces saisies, simple incident dans la lutte engagée entre la contre-révolution royaliste et le gouvernement républicain, mettaient aux mains du Directoire quelques conspirateurs et quelques correspondances; mais elles ne lui livraient pas la conspiration. Le danger, pour la République, était ailleurs que dans l'agence et dans ses membres.

Pichegru n'avait point renoncé à ses projets de Restauration royaliste. Nommé, quelques jours après son rappel de l'armée, à l'ambassade de Suède, il avait refusé de quitter la France et s'était rendu à Arbois, sa ville natale, où ne tarda pas à le joindre un des agents les plus actifs de l'émigration. Cet agent lui remit 72,000 livres en or fournies, partie par

Louis XVIII, partie par M. Wickham, résident anglais à Francfort, ainsi qu'une lettre du roi, dont nous citerons les passages suivants :

« Je dépose en vos mains, Monsieur, toute la plénitude de ma puissance et de mes droits; faites- en l'usage que vous croirez nécessaire à mon service. Si les intelligences précieuses que vous avez à Paris et dans les provinces, si vos talents et votre caractère surtout pouvaient me permettre de craindre que quelque événement impossible à prévoir vous obligeât à sortir du royaume, c'est entre M. le prince de Condé et moi que vous trouveriez votre place. Si j'en connaissais une plus digne de vous, je vous l'offrirais.

« Je me flatte que M. Wickham continuera de fournir avec la même générosité les secours que vous pourrez désirer. Je sens combien ils deviennent nécessaires lorsqu'il faut plus que jamais former et diriger l'opinion publique. Ne négligez rien pour produire cet effet, dont l'importance est si majeure.

« M. Louis Fauche1 vous remettra cette lettre; je lui ai donné mes pouvoirs, afin que, dans le cas où vous jugerez à propos de faire faire des démarches auprès des généraux de l'armée d'Italie, elles n'éprouvent pas le moindre retard : vous êtes le maître de décider à cet égard. »

Cette lettre de Louis XVIII, datée de Mutzingen, le 9 juin 1796, faisait de Pichegru le chef politique de la contre-révolution; il accepta ce rôle. Nommé par ses compatriotes membre du conseil des Cinq-Cents, il se rendit à Paris, décidé à renverser la République à l'aide des pouvoirs politiques chargés de la maintenir. On ne pouvait espérer d'atteindre ce but qu'en disposant de la majorité dans les deux Conseils législatifs; Pichegru s'efforça d'obtenir cette majorité en ralliant successivement autour de lui, d'abord, les membres que leurs. opinions ou leurs intérêts attachaient encore à l'ancien régime; ensuite les monarchistes modérés, désignés sous le nom de constitutionnels de 89, puis un assez grand nombre de révolutionnaires repus qui désiraient placer leur position et leurs nouvelles richesses sous la protection d'un gouverne

1 Fauche-Borel, ancien imprimeur à Neufchâtel (Suisse).

ment plus solide que le gouvernement directorial. La coalition d'intérêts aussi divers ne pouvait être l'œuvre d'un jour. Ce travail était pourtant assez avancé, quand l'arrestation des trois principaux membres de l'agence royaliste et la saisie de leurs papiers vinrent porter l'effroi parmi les conspirateurs des Conseils.

Ce trouble, toutefois, ne fut que passager. Le bruit causé par le message du Directoire ne tarda pas à se perdre au milieu du retentissement occasionné par les prodigieuses victoires de notre armée d'Italie, et par les discussions violentes qui agitaient chaque jour les séances des Conseils eux-mêmes. Pichegru se remit donc à l'œuvre. Mais, dans l'intervalle, quelques dévouements avaient été ébranlés. Plusieurs pièces saisies chez l'abbé Brottier et publiées par le Directoire prouvaient que, dominés par les plus incurables illusions, les princes exilés n'avaient renoncé à aucune de leurs prétentions à la monarchie absolue. Pichegru insista auprès de Louis XVIII sur la nécessité de calmer les inquiétudes des partisans d'une constitution. Ce prince lui envoya une proclamation où se trouvait ce passage:

« Français, nous avons dit à nos agents et nous leur répétons sans cesse: Rappelez notre peuple à la sainte religion de nos pères et au gouvernement paternel qui fit si longtemps la gloire et le bonheur de la France; expliquez-lui la constitution de l'État, qui n'est calomniée que parce qu'elle a été méconnue; instruisez-le à la distinguer du régime qui s'était introduit depuis longtemps; montrez-lui qu'elle est également opposée à l'anarchie et au despotisme; consultez les gens sages et éclairés sur les parties dignes de perfection dont elle est susceptible, et faites connaître les formes qu'il faut adopter pour travailler à son amélioration. »

Ce langage n'avait plus le caractère absolu des déclarations contenues dans la proclamation d'avénement. Louis XVIII cessait d'exiger le retour pur et simple au régime de 1788; il

1 Voyez page 7.

« ForrigeFortsett »