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que je devais me porter sur Fontainebleau. - Que fait Joseph? où est le ministre de la guerre? - Je l'ignore; nous n'avons reçu aucun ordre de l'un ni de l'autre de toute la journée, chaque maréchal agissant pour son compte: on ne les a point vus aujourd'hui à l'armée, du moins au corps du duc de Trévise. Allons, il faut aller à Paris : partout où je ne suis pas, on ne fait que des sottises! >>

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L'Empereur était dans une agitation extrême; il marchait à pas inégaux et précipités. « Il fallait, messieurs, tenir plus longtemps, répétait-il sans cesse; il fallait tâcher d'attendre l'armée, il fallait remuer Paris, qui ne doit pas aimer les Russes, mettre en action la garde nationale, qui est bonne, et lui confier la défense des fortifications que Joseph et le ministre de la guerre ont dû faire élever et hérisser d'artillerie; elle les aurait sûrement bien gardées, tandis que les troupes de ligne auraient combattu en avant sur les hauteurs et dans la plaine. J'ai l'honneur de répéter à Votre Majesté, Sire, qu'on a fait aujourd'hui plus qu'il n'était possible; l'armée entière, composée de 15 à 18,000 hommes, a résisté à plus de 100,000 jusqu'à quatre heures. — Tout cela est étonnant! Combien aviez-vous de cavalerie de votre côté? — 1,800 chevaux, Sire, y compris la brigade d'Autencourt. Mais Montmartre fortifié, garni de gros canons, devait faire une vigoureuse résistance. Heureusement, Sire, l'ennemi l'a cru comme vous, et voilà pourquoi il ne s'en est approché qu'à la fin de la journée et avec de grandes précautions; cependant il n'en était rien; il n'y avait que 6 pièces de 6. — Qu'a-t-on fait de mon artillerie? Il devait y avoir 200 pièces de position et des munitions pour les alimenter pendant plus d'un mois. -La vérité, Sire, est que nous n'avons eu à opposer à l'ennemi que des pièces de campagne, encore a-t-il fallu ralentir le feu à deux heures, faute de munitions. Allons! je vois que tout le monde a perdu la tête. Voilà pourtant ce que c'est d'employer des hommes qui n'ont ni sens commun ni éner

gie! Eh bien, Joseph s'imagine cependant qu'il est en état de conduire une armée, et le routinier Clarke a tout l'orgueil d'un bon ministre1! >>

Après avoir laissé échapper ces aveux, critiques amères de son aveuglement et de ses faiblesses, Napoléon reprit le projet de continuer sa route. Vaincu, pourtant, par les observations et par les instances de Berthier, de Belliard et de Caulaincourt, il permit à ce dernier d'aller seul à Paris pour s'informer de la situation exacte des choses, pour intervenir, s'il était possible, au traité; et il consentit à attendre à la maison de poste de la Cour-de-France le courrier que le duc devait lui expédier. Ce courrier arriva à quatre heures du matin. Caulaincourt annonçait à l'Empereur que tout était consommé :

1 En 1847, quatre ans après, la première publication de ce volume, le comte de Montholon faisait paraître ses Récits sur la captivité de l'empereur Napoléon à Sainte-Hélène; voici ce qu'on lit dans cet ouvrage, à l'occasion des événements que nous venons de raconter: « Tout le monde regarde Marmont comme un traitre, nous dit l'Empereur, mais il y a bien des gens plus coupables que lui. Les hauteurs de Paris devaient être fortifiées, et elles ne l'étaient pas. La défection se montrait de tous côtés. On approvisionnait, avec des boulets de 8, des pièces de 6; on donnait ordre et contre--ordre; on délibérait quand il fallait se battre. Le roi Joseph a perdu la tête. Il a été frappé d'épouvante par la gravité des événements. Un aide de camp de Marmont n'a pu le rattraper. On a dit que c'était pour me forcer à faire la paix. C'est absurde: Joseph savait bien que tout était perdu avec Paris. Il a vu un corps de cavalerie ennemie qui gagnait sur sa gauche, il a eu peur d'être coupé, il n'est pas militaire, et il est parti. J'ai eu grand tort de le faire roi, surtout en Espagne. Il fallait là un roi ferme et militaire. Joseph ne pensait à Madrid qu'aux femmes et à faire des jardins. Il a de l'esprit; mais il se croit militaire, et il n'en a pas les moindres connaissances. Il m'a fait bien du mal en Espagne. Mes frères n'ont jamais rien compris aux événements; ils les ont toujours vus comme des niais, et cependant ils ont tous beaucoup d'esprit. Lorsque j'étais Premier-Consul, ils n'avaient pas de maison, mais on leur faisait la cour à cause de moi. Lafayette et Mathieu de Montmorency étaient toujours chez Joseph. Lorsque je le fis roi, il me les demanda pour les attacher à sa maison. Je me moquai de lui, mais je le laissai libre de faire ce qu'il voudrait. Ils lui ont ri au nez quand il leur a proposé d'être ses chambellans. Mes frères n'avaient d'idée de rien. Ils m'ont fait bien du mal. Quand les événements leur ont fait perdre leurs couronnes, ils me le reprochèrent, comme si je les avais privés de l'héritage du feu roi notre père. Il est fou; disaient-ils en parlant de moi. Les imbéciles! » (T. II, p. 192, 193 et 194.)

une capitulation, signée à deux heures de la nuit, venait de donner Paris aux Alliés. Cette capitulation, dont il lui transmettait une copie, était ainsi conçue :

«L'armistice de quatre heures dont on est convenu pour traiter des conditions de l'occupation de la ville de Paris et de la retraite des corps qui s'y trouvent ayant conduit à un arrangement à cet égard, les soussignés, dûment autorisés par les commandants respectifs des forces opposées, ont arrêté et signé les articles suivants :

ARTICLE PREMIER.

Les corps des maréchaux ducs de Trévise et de Raguse évacueront la ville de Paris le 31 mars, à sept heures du matin.

ᎪᎡᎢ. 2.

Ils emmèneront avec eux l'attirail de leurs corps d'armée.

ART. 3.

Les hostilités ne pourront recommencer que deux heures après l'évacuation de la ville, c'est-à-dire le 31 mars, à neuf heures du matin.

ART. 4.

Tous les arsenaux, ateliers, établissements et magasins militaires seront laissés dans le même état où ils se trouvaient avant qu'il fût question de la présente capitulation 1.

1 Malgré les termes de cet article, toutes les munitions enfermées dans la poudrière de Grenelle furent mises hors de service.

A quelques jours de là, lorsque les courtisans du nouveau gouvernement inventaient, chaque matin, contre l'Empereur déchu, de nouvelles injures et de nouvelles calomnies, le bruit se répandit dans le public, et les journaux répétèrent que Napoléon avait donné l'ordre de mettre le feu à la poudrière, dans le hut, disait-on, de faire sauter une moitié de Paris. Nous croyons même que la Restauration récompensa un officier du nom de Lescours, qui se vanta d'avoir reçu cette mission et d'y avoir désobéi. Napoléon avait, en effet, laissé des instructions à la direction de l'artillerie, relativement à la poudrière; mais elles prescrivaient uniquement de détériorer toutes les poudres de cet établissement avant que les Alliés pussent être à même de s'en emparer. Ce fut précisément pour obéir à la lettre de ces instructions que, dans la nuit du 30 au 31, les généraux d'Aboville et Caron firent noyer par un détachement de pompiers toutes les munitions de Grenelle. L'opération commença dès que l'on connut la signature de la capitulation. Le 31, au matin, il ne restait plus une seule cartouche en état de servir.

1.

36

22

ART. 5.

La garde nationale ou urbaine est totalement séparée des troupes de ligne; elle sera conservée, désarmée ou licenciée, selon les dispositions des cours alliées.

ART. 6.

Le corps de la gendarmerie municipale partagera entièrement le sort de la garde nationale.

ᎪᎡᎢ . 7.

Les blessés et maraudeurs restés après sept heures à Paris seront prisonniers de guerre.

ART. 8.

La ville de Paris est recommandée à la générosité des hautes puissances alliées.

Fait à Paris, le 31 mars 1814, à deux heures du matin.

Signé Le colonel ORLOFF, aide de camp de S. M. l'Empereur de toutes les Russies;

Le colonel comte PARR, aide de camp de S. A. le maréchal prince de Schwartzenberg;

Le colonel baron FABVIER, attaché à l'état-major de S. E. le maréchal duc de Raguse;

Le colonel DENYS1, premier aide de camp de S. E. le maréchal duc de Raguse. »

Le duc de Vicence parut lui-même au moment où l'Empereur achevait de lire sa dépêche il reçut l'ordre de retourner à Paris et de sonder les intentions d'Alexandre; Napoléon revint à Fontainebleau.

1 Denys de Damrémont, depuis gouverneur général de l'Algérie, et tué devant Constantine.

CHAPITRE VII

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Les

Paris, le matin du 31 mars. - Le conseil municipal au château de Bondy. Message à M. de Talleyrand. Manifestation en faveur des Bourbons. Entrée des Alliés dans Paris; leur défilé sur les boulevards; cavalcade royaliste; attitude de la population; la colonne de la place Vendôme; on essaye de renverser la statue de l'Empereur. souverains sur la place Louis XV; le colonel Fabvier. Alexandre chez M. de Talleyrand; Conseil; délibération; déclaration des souverains. Réunion royaliste dans le faubourg Saint-Honoré, députation à l'empereur de Russie; réponse de M. de Nesselrode. Les journaux. Convocation du Sénat; formation du gouvernement provisoire; séance du Sénat le 1er avril. Le conseil municipal; manifeste de M. Bellart. Séance du Sénat le 2 avril; déclaration de déchéance. Les sénateurs chez Alexandre. Séance du 3 avril; texte du décret de déchéance. Réunion du Corps législatif; déclaration d'adhésion. Adhésions des autres corps constitués. Les souverains à l'Opéra. - Mouvement parmi les troupes alliées.

Les habitants des quartiers placés au nord de Paris, en s'éveillant le matin du 31 mars, purent apercevoir toutes les hauteurs qui dominent cette partie de la ville couronnées par les feux encore allumés des bivacs de l'ennemi et par des lignes formidables d'artillerie. Une batterie de 60 pièces de 12 était établie sur une seule des rampes de Montmartre. Les quelques coups tirés la veille par Blücher, à l'aide des canons que nos soldats avaient laissés sur cette position, avaient été suspendus par la conclusion de l'armistice. Le feu devait recommencer vers une heure du matin, si, à minuit, la capitulation n'était point signée. « Faudra-t-il bien allumer la ville? avait demandé le général Müffling à Alexandre.

Non, répondit le Tzar; je veux seulement les effrayer et leur montrer que nous sommes les maîtres. >> Chaque position

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