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le comte d'Artois reçut le titre de LIEUTENANT GÉNÉRAL DU

ROYAUME.

Ce partage fait, les deux frères, fatigués du lourd et soupçonneux protectorat des cabinets de Vienne et de Berlin, quittèrent l'Allemagne. Le comte d'Artois alla à Saint-Pétersbourg solliciter de l'impératrice Catherine une intervention plus désintéressée que celle de la Prusse et de l'Autriche. MONSIEUR, appelé sur les côtes de Provence par les insurgés de Lyon et du Midi, et par les royalistes qui venaient de livrer Toulon aux Anglais et aux Espagnols, partit pour Gênes. Le comte d'Artois fut gracieusement accueilli par Catherine II; cette souveraine se montra prodigue de protestations; elle promit au prince une armée, qui ne se mit jamais en marche, et lui donna, pour s'ouvrir, en attendant, le chemin de Paris, une épée enrichie de diamants que le comte, aussitôt son retour, s'empressa de vendre 4,000 livres sterling (100,000 fr.) à un juif de Londres. MONSIEUR, à peine arrivé à Turin, y avait appris la chute de Lyon, ainsi que la reprise de Toulon par les armées républicaines; gendre du roi de Sardaigne, il voulut séjourner dans cette cour; mais, obligé de la quitter après une résidence de quatre mois, il demanda vainement un asile à

1 Voici ce qu'on ́lit, à propos de cette épée, dans les Mémoires du comte de Vauban:

« C'était une épée d'or, dont le pommeau était surmonté d'un très-gros diamant, et sur la lame de laquelle étaient inscrites ces paroles : « Donnée par Dieu, pour le roi. » Cette épée avait été bénite dans la cathédrale de SaintPétersbourg, avec le plus grand cérémonial. A l'audience du départ, au milieu de sa cour, dans l'appareil de toute sa grandeur, l'impératrice s'avança vers le comte d'Artois, et, la donnant elle-même au prince, lui dit : « Je ne vous la << donnerais pas, si je n'étais persuadée que vous périrez plutôt que de différer << de vous en servir. » Le prince prit l'épée et dit, avec trop peu de physionomie: «Je prie Votre Majesté Impériale de n'en pas douter. » L'heure du diner sépara la cour. Le comte d'Esthérazy et moi ne fùmes pas plutôt seuls, qu'il me dit «Que pensez-vous de ce que vous avez vu? · Beaucoup de gran« deur dans l'Impératrice, lui dis-je. Oui, assurément, me répondit il. Et « M. le comte d'Artois? - Il a reçu cette épée, lui répliquai-je, comme un

« homme qui ne s'en servira pas.» Je vis que le comte d'Esthérazy le crai«gnait. »

son parent, le duc de Parme. Enfin il put s'arrêter, au mois de mai 1794, dans les États de Venise, à Vérone, où il organisa sa maison et son conseil. Un des premiers soins de ce conseil, que composaient le duc de Lavauguyon, le marquis de Jaucourt et le baron de Flacheslanden, fut de profiter des événements du 9 thermidor et de la réaction qui suivit cette journée, pour établir à Paris une agence royaliste. Cette agence, au mois de novembre 1794, comptait six membres: MM. de Lavilleheurnois, Duverne de Presles, l'abbé Brottier, le chevalier Despomelles et les deux frères Lemaître, noms ignorés, mais que leur obscurité même dérobait plus facilement à l'attention des autorités conventionnelles.

Outre Vérone, l'émigration, à cette date, comptait deux autres centres d'action ou d'intrigue: Londres, où séjournait le comte d'Artois depuis son retour de Russie, et d'où il correspondait avec les insurgés vendéens et bretons; puis l'armée de Condé, sans quartier général fixe, et dont les différents corps opéraient à la suite des armées coalisées. Ces corps, dans le cours de l'année 1794, et durant les premiers mois de 1795, suivirent la fortune des armées de la Prusse et de l'Autriche. A cette époque, les troupes républicaines, victorieuses à leur tour, avaient refoulé l'invasion au delà du Wahal et du Rhin. Les efforts du comte d'Artois, dans les départements de l'Ouest, n'avaient pas eu un meilleur succès: les 17 février et 20 avril 1795, les Vendéens et les insurgés bretons firent leur première soumission au gouvernement de la République. Les intrigues de MONSIEUR, pour réparer le double échec subi par la cause royale à Lyon et dans le Midi, furent également sans résultat pendant la première année de son séjour à Vérone. Toutefois, ce prince et son frère s'occupaient d'une revanche, le premier, en organisant à l'aide de l'agence royaliste de Paris le mouvement de vendémiaire; le second, en préparant avec le gouvernement anglais l'expédition de Quiberon ainsi que sa descente à l'Ile-Dieu, lorsqu'un événement,

impatiemment attendu par leur entourage, vint changer les titres que tous deux avaient jusqu'alors portés. Louis XVII mourut le 8 juin 1795 (20 prairial an III) dans la prison du Temple. Le régent prit aussitôt le nom de Louis XVIII, le comte d'Artois devint MONSIEUR. Le nouveau souverain notifia son avénement à toutes les cours étrangères et aux sujets de son royaume; en faisant suivre son nom du titre de roi de France et de Navarre.

Vainement la France révolutionnaire avait jugé et fait exécuter un roi; vainement elle était parvenue à comprimer toutes les résistances intérieures et à repousser sur tous les points l'invasion étrangère; pour l'émigration et pour ses chefs, rien n'était changé : la France, pour eux, était encore la monarchie de Louis XV, et ils ne voyaient dans l'énergique population de ses villes, de ses campagnes et de ses camps, qu'un troupeau de sujets mutinés à peine dignes de pardon. Les passages suivants du manifeste publié par Louis XVIII, à l'occasion de son avénement, donneront la mesure des illusions qui dominaient. encore ce prince au début de sa royauté :

« Les impénétrables décrets de la Providence nous ont transmis, avec la couronne, la nécessité de l'arracher à la révolte. Des hommes impies et factieux vous ont entraînés dans l'irréligion et la révolte. Depuis ce moment, un déluge de calamités a fondu sur vous de toutes parts.

« Vous fùtes infidèles au Dieu de vos pères, et ce Dieu, justement irrité, vous a fait sentir tout le poids de sa colère; vous fûtes infidèles à l'autorité qu'il avait établie pour vous gouverner, et un despotisme sanglant, une anarchie non moins cruelle, se succédant tour à tour, vous ont sans cesse déchirés avec une fureur toujours croissante. Vos biens sont devenus la pâture des brigands à l'instant où le trône est devenu la proie des usurpateurs; la servitude et la tyrannie vous ont opprimés dès que l'autorité royale a cessé de vous couvrir de son égide. Propriété, sûreté, liberté, tout a disparu avec le gouvernement monarchique.

« Il faut revenir à cette religion sainte qui avait attiré sur la France les bénédictions du ciel; il faut rétablir ce gouvernement qui fut pen

dant quatorze siècles la gloire de la France et les délices des Français, qui avait fait de votre patrie le plus florissant des États, et de vous-mêmes le plus heureux des peuples.

« Tous les Français qui, abjurant des opinions funestes, viendront se jeter au pied du trône, y seront reçus. Il est cependant des forfaits dont l'atrocité passe les bornes de la clémence. Ces monstres (les régicides), la postérité ne les nommera qu'avec horreur, la France entière appelle sur leurs têtes le glaive de la justice... >>

Le retour pur et simple à la royauté de droit divin, le rétablissement de la noblesse et du clergé dans la plénitude de leurs priviléges et de leurs richesses, voilà les conditions du pardon que Louis XVIII offrait à tous les Français repentants qui viendraient abjurer au pied de son trône leurs erreurs des six dernières années. Après s'être mis ainsi en mesure avec ses sujets révoltés, le nouveau roi organisa son gouvernement et sa cour. Il eut un ministre des affaires étrangères, le duc de Lavauguyon; un chancelier, M. de Flacheslanden; un capitaine des gardes du corps, le comte d'Avaray; un premier gentilhomme de la chambre, le duc de Fleury; puis des ambassadeurs chargés de prouver aux puissances qu'elles ne devaient accorder ni trêve ni merci à la République, et que tous les rois étaient intéressés, autant que lui-même, à seconder, par l'invasion de nos pro-. vinces frontières, les complots des agences royalistes de l'intérieur.

La réaction thermidorienne vint merveilleusement en aide au travail de ces agences. L'ouverture de toutes les prisons de la République jeta sur la scène politique un nombre considérable de royalistes qui n'avaient pas osé ou qui n'avaient pu émigrer; des lois d'amnistie et un régime de large tolérance donnèrent aux exilés volontaires les plus ignorés ou les moins compromis la facilité de rentrer. Cette masse de mécontents se mit à la tête de la réaction. Proscrits la veille, ils se firent proscripteurs. Aidés par quelques Conventionnels en mission, naguère Montagnards fougueux, et qui voulaient

faire oublier leur exaltation révolutionnaire en l'abritant derrière des exagérations nouvelles, les royalistes organisèrent dans plusieurs provinces, dans celles du Midi surtout, des massacres où furent immolés bon nombre de républicains énergiques. Ces représailles sanglantes étaient difficiles à Paris, siége de la Convention, centre du gouvernement. Les éléments royalistes y étaient cependant nombreux. L'agence, chargée de les employer, les organisa, non pas en vue de vengeances isolées, mais pour un coup de main politique : elle résolut d'attaquer le gouvernement lui-même. Le 5.octobre 1795 (13 vendémiaire an IV), les gardes nationaux des quartiers opulents, entraînés sous le prétexte de sauver la liberté menacée par la constitution que préparait alors la Convention nationale, se portèrent sur les Tuileries, pour dissoudre cette assemblée. Un petit nombre de soldats conduits par le général Bonaparte, et soutenus par quelques patriotes résolus, ainsi que par le peuple des faubourgs, firent avorter cette insurrection, qui, fomentée au nom du droit républicain violé, n'avait pour but que le rétablissement de la monarchie.

Cet échec ne fut pas le seul que la cause royale éprouva dans le cours de 1795. Plusieurs mois auparavant, une flotte anglaise avait jeté sur la plage de Quiberon un corps nombreux d'émigrés au nombre desquels, par une fatalité étrange ou par la plus odieuse des prévisions, se trouvait la presque totalité des officiers de notre ancienne marine. Les Vendéens, de leur côté, obéissant à l'appel du comte d'Artois, avaient une seconde fois pris les armes. Arrêtée par le général Hoche et trahie par la rivalité jalouse et par l'impéritie de ses principaux chefs, l'expédition de Quiberon subit l'échec le plus complet des dix mille émigrés débarqués dans la presqu'île, quelques-uns seulement revinrent en Angleterre. Le soulèvement de la Vendée, n'eut pas un meilleur succès. Tout dépendait de la présence du comte d'Artois au milieu de

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