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pation de ce point, le plus important de tous, d'enfermer le gros de l'armée française, qui en est encore à cinq ou six marches vers l'est. Novembre 23. Combat de Borisow (sur la Bérésina ). — Le maréchal Oudinot, qui, depuis l'abandon des positions sur la Düna (V. 19 octobre), précède immédiatement l'armée en retraite, reprend le poste de Borisow, enlevé l'avant-veille. C'est là même que doit s'effectuer le passage de la Bérézina, principale difficulté de la marche des Français vers le Niémen. Leur situation est des plus périlleuses. La ligne de la Düna est forcée; le général autrichien Schwartzemberg s'est mis à couvert derrière le Bug (V. 11 octobre); nulle difficulté de position n'arrête l'ennemi dans son opération décisive; tout le pays est à lui, et les Français n'ont que cette ligne étroite sur laquelle ils courent. Il vit dans l'abondance; ils souffrent toutes les privations. Les attelages de l'artillerie russe sont en bon état; les chevaux des Français meurent de faim, de froid; ou, déferrés, ne peuvent se soutenir sur le sol entièrement congelé. Tous ces malheureux Français peuvent avoir leur tombeau dans les marécages de la Bérézina, dont les glaces ne semblent s'amollir tout-à-coup que pour les engloutir. Kutusow les suit avec une fureur augmentée à chaque humiliation qu'éprouve son inhabile poursuite. Pressés sur leur flanc droit par Wittgenstein, sur leur flanc gauche par Tschitchagow qui les prend encore à revers; ayant une artillerie et une cavalerie considérablement réduites; exténués par la disette et la marche; engourdis par le froid, ils n'existent ou ne résistent que par l'espoir de toucher au terme de tant de maux. Un dernier élan de leur bravoure fera leur dernière ressource. Affreuse alternative, et sans exemple dans l'histoire des calamités militaires! Voilà le résultat de l'indomptable orgueil de leur chef, qui sacrifie le plus noble courage, la plus vaillante ardeur qui aient jamais animé d'aussi nombreuses légions.

26-28.Combats et passage de la Bérézina (affluent du Dniéper). Tous les corps de l'armée française (à la réserve de quelques divisions), rassemblés aux environs de Borisow (180 l. O. de Moskow, 38 1. E. de Wilna), offrent encore une masse d'environ 80,000 hommes, avec une assez nombreuse artillerie. Ils ne sont pas encore désorganisés. Le soldat, du moins celui qui vient de Moskow, abattu par les fatigues de 40 jours de marche sur un territoire dévasté, assailli par des essaims de Cosaques, accablé de privations, souffrant, à demi-nu, les excessives rigueurs de la température, retrouve cependant son ardeur, à la vue de l'ennemi qui l'attend dans la pré

somption de la victoire. Les corps venant de Moskow se voient soutenus par ceux des maréchaux Victor, Oudinot, et par la division polonaise qui n'a que peu souffert du défaut de vivres ou de la rigueur du froid. Il faut, en premier lieu, renverser 16,000 Russes avantageusement postés au débouché de Borisow, sur la rive droite, et appartenant à l'armée de Tschitchagow, avant la jonction de Wittgenstein, qui suit de très-près l'arrière-garde du maréchal Victor, sur la rive gauche au-dessus de Borisow, et avant, aussi, que Kutusow, qui marche avec sa grande armée sur le flanc gauche du grand quartier-général français, ait le temps de regagner trois marches qui lui ont été dérobées.

Deux ponts sont jetés à Weselowo, village à quatre lieues et demie au-dessus de Borisow, pendant que plusieurs dispositions annoncent à l'ennemi, que le passage doit s'effectuer sur le pont même de Borisow. La rapide construction de ces deux ponts, dans ces effroyables circonstances, offre un des plus merveilleux exemples de ce que peuvent la bravoure et la science de nos ingénieurs militaires. La Bérézina est large, à Weselowo, de 250 toises. Elle charie des glaces. Le bord opposé s'étend en marécages, que traverse une jetée assez étroite. La berge de Weselowo est, au contraire, élevée.

Le 28, le maréchal Oudinot, qui forme l'avant-garde, étant blessé en repoussant Tschitchagow, dont les forces se sont groupées à la rive droite, le maréchal Ney prend, au milieu de l'action, le commandement des trois corps ( 2o Oudinot; 3° Ney; 5o prince Poniatowski). Ney oblige Tschitchagow de renoncer au combat. C'est dans cette occurrence décisive, pour le salut de tous, que ce maréchal, surnommé déja le brave des braves, étonne le courage de nos plus vaillants soldats. Ils reconnaissent tous devoir leur salut à son inébranlable tenacité, comme à l'extrême promptitude de ses dispositions.

Le maréchal Victor, laissé en arrière-garde sur la rive gauche, soutient aussi, ce même jour 28, avec une grande fermeté, l'attaque de l'armée de Wittgenstein. Sa résistance est très-prolongée, malgré la grande disproportion du nombre; ce maréchal n'ayant que 12,000 hommes depuis la veille, que la division Partouneaux, jetée le même jour sur plusieurs divisions ennemies, et embarrassée par les équipages, a été prise tout entière, tandis que l'ennemi compte au-delà de 40,000 hommes. Le neuvième corps est donc obligé de repasser les ponts. « Aussitôt on les fait sauter, abondonnant, à « l'autre rive, l'artillerie, les bagages, et un grand nombre de mal

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« heureux, presque tous non combattants, qui n'ont pu passer. La plaine assez grande qui se trouve devant Weselowo offre, le soir, « un spectacle dont l'horreur est difficile à peindre. Elle est couverte « de voitures et de fourgons, la plupart renversés les uns sur les au« tres et brisés. Elle est jonchée de cadavres d'individus non mili« taires, parmi lesquels on ne voit que trop de femmes et d'enfants traînés, à la suite de l'armée, jusqu'à Moskow, ou fuyant cette « ville pour suivre leurs compatriotes, et que la mort avait frappés de « différentes manières. Le sort de ces malheureux, au milieu de la « mêlée des deux armées, fut d'être écrasés sous les roues des voiatures ou sous les pieds des chevaux; frappés par les boulets ou par a les balles des deux partis; noyés en voulant passer les ponts avec « les troupes, ou dépouillés par les soldats ennemis, et jetés nus « sur la neige où le froid termina bientôt leurs souffrances. » ( Mém. de Vaudoncourt). En outre, les Russes font près de 20,000 prisonniers sur le champ de bataille, et s'emparent de 150 pièces de canon, et de presque tous les bagages.

Tel est ce trop fameux passage de la Bérézina, où l'armée française échappe à son entière destruction, par l'effet des fausses manœuvres du général Wittgenstein, et sur-tout par les retards dus à l'inhabileté du généralissime Kutusow, qui s'est laissé surprendre trois marches. La réunion, sur Borisow, des deux armées russes, parties, l'une du golfe de Livonie, ainsi que de la Finlande suédoise, l'autre, de la Moldavie; cette réunion accuse éternellement l'imprévoyant orgueil de Napoléon qui, loin de soupçonner la possibilité de leur coopération, campe QUARANTE JOURS Sur les cendres de Moskow, dans la contemplation de sa vaine conquête, et ne doutant pas de clore la campagne, par des négociations qui répareront l'insigne imprudence de sa rapide incursion au cœur de la Russie.

Ce désastre immense, inouï, cet épouvantable résultat des plus fausses conceptions, obscurcit la gloire militaire de Napoléon. Quoiqu'il ait vécu dans une période de haute civilisation, où la réalité des principaux faits historiques ne puisse pas être mise en doute, où elle n'est pas exclusivement confiée à l'incertaine transmission des traditions orales, où la discussion donne aux récits une certitude bien fondée; nos descendants seront, néanmoins, embarrassés pour comprendre la vie de Napoléon, pour rattacher ses revers à ses triomphes, pour concilier la fin de son règne avec le début de sa dictature consulaire, avec ses premiers exploits. La postérité restera confondue à la vue de cette disparité. En effet, que sont, à

côté des fautes commises depuis la prise de Smolensk, depuis le 17 août, les fautes, et de Mélas ( campagne de 1800), et de Mack (campagne de 1805), ces deux chefs d'armée, de tous les généraux autrichiens, ceux qui aient éprouvé les plus humiliantes défaites? Comparerait-on Charles XII à Napoléon? Eh bien! Charles XII, à Pultawa même, excite l'admiration. Quel courage! Sa gloire pâlit, mais ne s'éteint pas. Si l'enchantement cesse, si le prodige s'est évanoui, sa fin étonne encore. L'indomptable volonté de Charles XII n'a rien de bas, rien qui dégrade l'homme, le guerrier, le monarque; il n'use d'aucun moyen vil ou barbare; il ne s'abaisse point à d'indignes stratagêmes, pour se relever de son infortune. Plus tard, ce héros a la force de s'avouer l'égarement de son ame; il recommence sa carrière en grand homme, en habile politique. Une mort inopinée, autant que glorieuse, l'atteint. Mais Napoleon, à la Bérézina, ne se distingue par aucun fait; et plus tard, il deviendra l'objet de la pitié ou de l'indignation de tout ce qui sent et pense en homme. Il ne saura pas mourir en soldat; il subira le sort d'un visir disgracié auquel on fait grace de la vie, et qui se résigne à la terminer dans une avilissante captivité (V. 13 octobre 1815).

Décembre 3. Vingt-neuvième bulletin de la grande armée, daté de Malodeczno ( 20 1. O. de Borisow, 15 1. N.-O. de Winsk ).

Ce bulletin, si peu semblable aux bulletins précédents, parvient à Paris, le 18 décembre. Il découvre enfin aux Français, toujours aussi confiants dans la destinée de celui qui sacrifie leurs enfants qu'éblouis de ses anciens triomphes, la vaste étendue des calamités du jour. Les conjectures ont une teinte sombre, depuis que les bulletins de l'armée n'apparaissent qu'à de longs intervalles. Le 26° bulletin, de Borowsk sur la Moskowa, portait la date du 23 octobre; le 28 celle du 11 novembre.

La nue exposition de tant de malheurs, étalée dans ce 29 bulletin, est un nouveau piége offert au généreux dévouement de cette nation qui, se plaisant à croire que son chef veut saisir la première conjoncture favorable pour ramener la paix, et asseoir enfin les fondements du bonheur général, se prépare sans murmure à de plus grands sacrifices. Toujours plein de ses souvenirs d'orient, le conquérant fugitif, racontant sèchement les détails de cette catastrophe, aime à comparer les cosaques aux hideux Bédouins; et cette similitude, reproduisant à ses yeux une agréable perspective, semble le mettre à l'aise pour la suite de sa narration. Il avoue donc le désastre entier; mais il a soin d'ajouter que : « les hommes que

« la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de << toutes les chances du sort et de la fortune, parurent ébranlés, per« dirent leur gaieté, leur bonne humeur, et ne révèrent que malheurs « et catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout, conser« vaient leur gaieté et leurs manières ordinaires, et virent une nou« velle gloire dans de nouvelles difficultés à surmonter. » Il finit son affreux récit, adressé à 500,000 familles éplorées, en disant que « jamais sa santé n'a été meilleure. » — Voilà l'homme à la voix duquel les Français ont prodigué leur sang pendant quatorze années. Décembre 5. Arrivée de Napoléon à Smorgony (12 1. O. de Willika), et son départ de l'armée. Il confère au roi de Naples (Murat), le commandement des débris de l'armée; et, se mettant, isolément et furtivement, en route vers Paris, laisse à ses soldats, pour dernière ressource, cet exemple de lâche égoïsme. Aussitôt le désordre devient général; la fuite du chef est le signal de la dispersion. La plupart des corps qui ont maintenu, jusqu'à cette heure, une apparence d'organisation, se débandent tout-à-fait. Le froid se soutenant, depuis plusieurs jours, à 25 degrés (de Réaumur), un grand nombre de soldats ont les pieds, les mains, gelés, et sont hors d'état de porter les armes et presque de marcher. Un nombre considérable de chevaux de l'artillerie ayant péri sous leurs harnais, il a fallu abandonner beaucoup de pièces. C'est lorsque Napoléon voit expirer ses victimes par milliers, qu'il les quitte. Il court à Paris, en demander des milliers d'autres, destinées à succomber aussi sous le poids de sa perverse ambition. Car, si l'avenir lui fait retrouver des chances favorables pour rendre le repos au monde, et fermer les plaies de la France, il les repoussera; trop orgueilleux pour consentir à détacher une seule province de son grand empire (V. 12 juillet, 10 août, 31 décembre, 1er art., 1813). N'a-t-il pas annoncé que, des batteries ennemies, placées sur les hauteurs de Montmartre, ne l'ameneraient pas à céder un pouce de terre? En vain dirait-on, pour pallier la honte de cette évasion, que Napoléon, en France, est seul capable d'arrêter la défection de ses alliés, et de trouver les moyens de frayer un passage aux débris de l'armée, il ne prouvera que trop, que le soin de sa puissance est le vrai, l'unique motif de sa détermination. 10, 11. Évacuation de Wilna. · Déroute complète. Le désordre ou le défaut d'administration supérieure, ont été et sont si grands, qu'on n'a fait aux troupes, dans l'espace de deux mois, que trois distributions: à Smolensk, à Orcha et à Kowno; et, dans ces distributions, on ne comprenait que les soldats présents aux appels,

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