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Elle conclut, et sans doute la moralité du lai est aussi, que les femmes doivent se garder de se refuser à l'amour, parce qu'elles subissent une punition de leur indifférence quand il n'est plus temps de s'amender.

Ce lai offre des détails gracieux et poétiques, mais le cadre n'en est pas heureux; on ne remarque aucun art dans la composition. Lorois monte à cheval et se propose d'aller toujours en avant dans la forêt jusqu'à ce qu'il ait entendu le rossignol; le trouvère ne nous apprend point si le chevalier a eu ce plaisir; il s'en retourne après l'explication que la dame lui a donnée :

Al Castel de Lorois retorne,
S'a l'aventure racontée
Que la dame ot remembrée
De harnas, et mande as puceles
Qu'eles se gardent del troter,

Car il fait molt meillor ambler."

Le trouvère termine son récit par ces vers:

Un lay en firent li Breton;

Le lay del TROT l'apele l'on.

Ces trois lais méritent d'être rangés parmi les bons ouvrages de l'ancienne littérature française, surtout sous le rapport du style et de la langue. Les éditeurs ont consciencieusement fourni tous les renseignements qu'ils ont pu se procurer relativement aux manuscrits qui contiennent ces ouvrages. Le lai d'Ignaurès et celui de Mélion sont accompagnés du fac-simile d'une colonne des manuscrits d'où ils ont été tirés, ce qui permet de juger de l'âge de leur transcription. On doit encore savoir gré aux éditeurs de ce que, à la description du manuscrit où se trouvent les lais de Mélion et du Trot, ils ont ajouté l'indication des autres pièces qu'il contient en très-grand nombre. Cette manière de faire connaître nos anciennes richesses littéraires devient un véritable service rendu à la science. Je sais que les éditeurs préparent d'autres publications, et je me fais un devoir d'applaudir à leur zèle et de les désigner à l'estime et à la reconnaissance des littérateurs.

J'ai à remplir une tâche moins agréable en jugeant les trois contes successivement publiés par M. Ch. J. Richelet. Ils sont intitulés :

1 Le lai d'Ignaurès se trouve dans le manuscrit de la bibliothèque royale 7595, ancien fonds, au fol. 486. Les lais de Mélion et du Trot sont tirés d'un beau manuscrit du XIIe siècle, conservé à la bibliothèque de l'Arsenal.

du Baro mors et vis, conte du XIIe siècle; li Molnier de Remox, conte de la fin du XIe siècle; li Neps del pastur, conte du XIe siècle. Ces trois opuscules, imprimés au Mans, ont été tirés seulement à vingt-neuf exemplaires, s'il faut en croire l'avis qu'on lit au revers du titre. La préface placée avant le premier conte est intitulée: UN MOT. « Ce conte, dit l'éditeur, doit offrir quelque intérêt aux amateurs de la délicieuse litté»rature du moyen åge; il est extrait d'un manuscrit appartenant à M. le comte de.... Le même recueil en contient plusieurs autres que nous pourrons publier par la suite. Pour le nom de l'auteur du Baro mors et vis, renfermé dans l'anagramme des trois derniers vers : JERS HOSPESECH * TARLILECH, nous nous sommes efforcé de le deviner, mais en vain. » Je dois faire connaître les trois vers qui contiennent la prétendue anagramme:

Enterein en cestui jers

Ajustant cet altre hospesech,
Poi li tiers altre tarlilech.

Observons d'abord que ces trois mots insignifiants ne peuvent être donnés pour une anagramme; le mérite de ce genre de composition consiste à rassembler dans des mots appartenant à une langue connue, et formant un sens quelquefois spirituel, les lettres qui primitivement ont composé le nom qu'on déguise en les déplaçant, circonstance qui ne se trouve pas dans ces trois mots. J'avoue pourtant qu'il est possible que ces trois mots jers, hospesech, tarlilech aient eu une signification très-claire et trèsspirituelle dans l'ancien idiome du pays du Mans, où l'éditeur prétend que le manuscrit a été trouvé; mais puisqu'il avoue ne pouvoir expliquer l'énigme, je me fais un plaisir de venir à son secours, et de lui apprendre que les vingt-une lettres qu'on y trouve, ayant été déplacées et scrupuleusement examinées, ont produit Charles Joseph Richelet, de sorte que cette anagramme nous révèle que M. Richelet est à la fois le trouvère des XI et XIIe siècles et l'éditeur des contes publiés au XIX®.

En commençant la lecture du premier de ces opuscules, je fus un instant déconcerté. Je craignis que la découverte de pareilles pièces ne m'obligeât à retracter presque tout ce que j'ai écrit sur l'ancienne langue française et à faire amende honorable de mon érudition passée; mais je ne tardai pas à me convaincre que l'éditeur avait tendu un piége à l'avidité des amateurs de la délicieuse littérature du moyen âge, et que toutes ces compositions étaient également apocryphes. Je me bornerai à indiques le sujet du moins licencieux de ces trois contes. Dans le Baro mors et vis, un chevalier demande et obtient l'hospitalité dans un château où

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la dame pleurait la mort de son époux, dont le corps était conservé auprès d'elle. Pendant la nuit le chevalier parvient jusqu'au lit de la veuve, se donne pour l'époux ressuscité, et quand la galante supercherie est découverte, la dame consolée lui pardonne de bonne grâce. Quant au style du trouvère moderne, il se compose souvent de vers pillés çà et là dans les ouvrages de ses prédécesseurs 1. Et soit en arrangeant des centons, soit en écrivant d'après lui-même, M. Richelet semble avoir affecté le soin d'être systématiquement barbare. Je crois qu'il n'ignore ni la littérature ni les formes grammaticales de l'époque où il entend se placer, mais il met sa science et son art à dédaigner et à transgresser les règles aujourd'hui reconnues 2; en général il affecte un style baroque, et s'il a visé à n'être pas

1 Quelques exemples suffiront sans doute; je les prendrai seulement dans le Baro mors et vis; on y trouve, page 6:

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Dans le fabliau de la Bourse pleine de sens, Roquefort, glossaire, &c., on lit:

Las chevaucha grand aféure

Les grans tros, non pas l'embléure.

M. Richelet dit, page 13:

M'amour fu so caricative

Com ert ma peine amerative.

Jean de Meug avoit dit dans son Trésor, v. 421 et 422:

S'amour fu si caritative

Et sa mort si amerative.

Deux jolis vers qui se distinguent dans la composition de M. Richelet sont ceux-ci, que je pourrais lui appliquer à lui-même :

Une folie est tost emprise

Mais d'en issir est la maistrise.

Dans l'édition du Roman de la Rose par M. Méon, on trouve cette idée rendue, v. 3073, 3074, en ces termes :

La folie fu tost emprise;

Mes à l'issir a grand maistrise.

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2 Ainsi, au lieu de la préposition de, il se sert de DI, que les trouvères n'em

ployèrent jamais :

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facilement intelligible, on peut dire qu'il y a réussi trop souvent. Une pareille plaisanterie, hasardée une seule fois, si elle eût été faite avec esprit et décence, eût été facilement excusée : on a souvent pardonné à des auteurs d'avoir trompé un moment, parce qu'en trompant ils avaient amusé. Mais puisque M. Richelet, après son premier ouvrage, n'a pas craint de faire deux nouvelles publications, puisqu'il menace de faire imprimer le reste du manuscrit qui n'existe pas, il n'est plus permis de garder le silence sur cette mystification, qui deviendrait d'un plus mauvais goût à mesure qu'elle se prolongerait davantage. Je crois donc convenable de signaler cette sorte de pseudonymie et de marquer d'une réprobation anticipée les productions du faux trouvère, de manière qu'on sache ce qu'elles sont; je tiens surtout à désabuser les étrangers qui aiment ou qui étudient notre ancienne littérature, afin qu'ils n'aient pas à la juger sur de telles pièces. Je dis donc de l'auteur :

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Je crois que M. Richelet est encore jeune; il me paraît avoir assez d'esprit et d'instruction pour sentir l'inconvenance du genre auquel il

Il se sert de li au lieu de LA, article féminin au régime:

Ploroit li mors di son espeux.

En place de SA, MA, adjectifs possessifs féminins au singulier, il dit ses, mes:

En cest est mes vis u mes mort....

Mais de por dieu et ses jostice.

Il va jusqu'à employer so pour sa :

De so grant belté acesmée.

Je crois qu'il suffira de ces exemples tirés du premier conte.

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s'est livré un moment; j'ose me flatter qu'il aspirera désormais à une autre célébrité; il n'a sans doute pas réfléchi qu'un jour, quand il publiera des ouvrages dignes d'un vrai littérateur, il aura à faire oublier le tort de ses espiégleries littéraires, qui pourraient trouver des censeurs, sinon sévères, du moins peu indulgents. Qu'il permette que je lui rappelle la maxime morale contenue dans ces deux jolis vers du roman de la Rose, qu'il a copiés et arrangés dans son premier conte:

Une folie ert tost emprise,

Mais d'en issir ert la maistrise.

RAYNOUARD.

JOURNAL of an embassy from the Governor general of India to the court of Ava in the year 1827, by John Craufurd, Esq. F. R. S. F. L. S. F. G. S. etc., with an appendix containing a description of fossil remains by professor Buckland and M. Clift. London, 1829, in-4°. C'est-à-dire, Journal d'une ambassade envoyée par le Gouverneur général de l'Inde à la cour d'Ava, en 1827, par M. John Craufurd, avec un appendice contenant la description des débris fossiles [recueillis dans le royaume d'Ava] par le professeur Buckland et M. Clift. Londres, 1829, in-4°, pp. xj et 516, avec appendice de 89 pag., une carte de l'empire barman, onze planches et six vignettes.

DEPUIS le commencement de ce siècle, époque à laquelle la domination de la Compagnie des Indes était déjà assez solidement établie pour n'avoir plus à craindre de rivale, les résistances qui à diverses reprises se sont élevées contre son autorité, loin de lui porter atteinte, n'ont au contraire servi qu'à l'étendre et à l'affermir. Les efforts des Mahrattes, des Radjpoutes, des Népalais, pour secouer le joug, ont été autant d'occasions de victoires et d'acquisitions nouvelles pour la Compagnie, et les différends survenus il y a peu d'années entre le gouvernement de Calcutta et l'empire barman ont ouvert au premier la presqu'ile au delà du Gange, et lui ont assuré dans

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