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937 ses. Mais les faits n'ont point confirmé ces prévisions. Les chambres élues au suffrage universel, pensant surtout à leur réélection, ont au contraire une tendance marquée à accroître les dépenses qui paraissent favoriser les masses électorales et frapper surtout les classes riches. Il arrive souvent ce fait paradoxal que c'est le gouvernement qui demande des économies à une chambre qui veut faire des dépenses. Comme d'autre part les députés, encore dans le but d'assurer leur réélection, sont toujours prêts à supprimer ou à réduire des impôts, il arrive souvent qu'un budget présenté aux chambres par le gouvernement en parfait équilibre sort du vole de la chambre en déficit. C'est ainsi par exemple qu'en 1906 les chambres, à la veille des élections générales, désorganisaient le budget et contribuaient à créer de graves difficultés financières en rétablissant le privilège des bouilleurs de cru (L. 27 février 1906) et en réduisant à 0 fr. 10 le port des lettres (L. 6 mars 1906). On voit que l'on se tromperait fort si l'on croyait que le vole du budget par les chambres suffit pour assurer au pays de bonnes finances. Le système évidemment doit être maintenu. Mais il importe de le réglementer en limitant étroitement l'initiative des députés en matière budgétaire. La tentative en a été déjà faite. Cf. supra, § 124 et Règl. chambre, art. 51 bis.

Ce vote des dépenses par le parlement compris dans la loi générale des finances n'est pas cependant un acte législatif au point de vue matériel. C'est au point de vue interne un acte administratif et pour lequel le parlement doit rester absolument dans la limite de la loi et ne peut rien faire qui soit contraire à la loi. C'est un acte individuel; il doit rester conforme à la règle générale qu'est la loi, laquelle s'impose au parlement comme à tous tant qu'elle n'est pas modifiée ou abrogée par une autre règle générale (cf. § 35).

Cette observation permet de donner la solution très simple d'une question qui a été parfois discutée théoriquement. Les chambres, el particulièrement la chambre des députés, ont à plusieurs reprises manifesté la prétention de supprimer une institution établie régulièrement par une loi ou par un règlement en refusant le crédit nécessaire pour en assurer le fonctionnement. En 1886, ont été supprimées dans ces conditions les facultés de théologie catholique, et en 1888, les inspecteurs généraux de l'enseignement supérieur. En 1906, la chambre des députés a refusé le crédit des sous-préfets. Quand la question est venue devant le sénat (11 avril 1906), le rapporteur du budget de l'intérieur, M. Savary, a fait observer qu'on ne pouvait pas ainsi, par voie budgétaire, faire une réforme administrative; le ministre de l'intérieur, M. Clémenceau, a dit la même chose et le crédit des sous-préfets a été rétabli. En effet,

les sous-préfets sont établis par une loi, la loi du 28 pluviose an VIII. Tant que cette loi existe, elle s'impose; le parlement peut assurément la modifier et supprimer les sous-préfets en faisant une loi nouvelle; mais il ne peut pas les supprimer en refusant le crédit, parce qu'en votant le crédit, il ne fait pas autre chose qu'un acte administratif, qu'il ne peut faire que conformément à la loi.

Le parlement ne peut pas non plus refuser le crédit nécessaire pour exécuter des obligations contractuelles prises par l'Etat. Les contrats faits par l'Etat font naître à sa charge de véritables obligations, et le parlement ne peut point supprimer ces obligations en refusant le crédit nécessaire pour les exécuter. Cf. supra, § 30, el arrêts du conseil d'Etat, 8 août 1896 et 1er juillet 1904, affirmant le caractère obligatoire des contrats passés par l'Etat français en 1860 avec le chapitre de Saint-Jean-de-Maurienne et le chapitre et la fabrique de la cathédrale d'Annecy et condamnant l'Etat français à payer les annuités promises, malgré le vote des chambres qui avaient, en 1892, refusé les crédits. Le 22 décembre 1899, sur la demande de M. Caillaux, ministre des finances, les chambres volèrent le crédit nécessaire pour exécuter l'arrêt du conseil d'Etat du 8 août 1896, M. Caillaux déclarant que l'Etat ne pouvait pas ne pas payer ses dettes.

Les dépenses sont votées annuellement par le parlement, comme les recettes. Le parlement ne pourrait point voter le budget pour plusieurs années, ni même attribuer pour un service déterminé un crédit qui s'étendrait sur plusieurs exercices. Toute décision du parlement qui ferait cela serait, à notre avis, inconstitutionnelle.

Ce principe a toujours été reconnu en France. Le procédé suivi par exemple en Allemagne où le budget de la guerre est voté pour sept ans (septennat militaire) et le budget de la marine pour cinq ans (quinquennat naval) serait, en France, tout à fait inconstitutionnel. Il a toujours été reconnu que lorsque les chambres déclaraient repartir sur plusieurs exercices certaines dépenses, comme par exemple le programme des constructions navales de 1900, chaque année le parlement restait complètement libre de voter ou non la somme afférente à l'exercice.

Le 13 mai 1899, M. Sébline avait déposé un projet de résolution ainsi conçu: « Le sénat invite le gouvernement à provoquer un accord des pouvoirs publics en vue de rendre applicable à l'année 1900 le budget qui sera voté pour 1899 ». Immédiatement, M. le sénateur Strauss fit des réserves très justes sur la constitutionnalité d'une pareille proposition. Elle fut renvoyée cependant à la commission des finances; mais elle n'eut point de suite.

Droits du sénat et de la chambre.

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Le budget est

voté en la forme de loi, c'est-à-dire par les deux chambres; et il n'est voté que lorsqu'un texte identique a été admis. On a montré plus haut les droits particuliers de la chambre, au point de vue de la priorité et de l'initiative (cf. § 124). Cette réserve faite, les droits du sénat et de la chambre pour le vote du budget sont absolument égaux, tant au point de vue des recettes qu'au point de vue des dépenses. Par conséquent, le sénat ne peut jamais être contraint d'accepter, par exemple, le chiffre des dépenses voté par la chambre, ni d'accepter même une suppression de dépenses qui serait votée par la chambre, ni d'accepter l'établissement ou la suppression d'une recette qui seraient votés par la chambre. Le budget devra donc faire indéfiniment la navette entre la chambre et le sénat jusqu'à ce que l'accord soit établi et il n'y a pas de raison pour que l'une des chambres cède plutôt que l'autre. En fait, il intervient le plus souvent entre la chambre et le sénat une transaction dont le ministre des finances est comme le négociateur.

C'est ce qui est arrivé notamment pour le budget de 1906, qui, pendant la journée du 13 avril, la nuit du 13 au 14 avril, la journée du 14 et la nuit du 14 au 15, est allé et revenu six ou sept fois, porté par M. le ministre des finances, du palais Bourbon au Luxembourg et réciproquement. Le point où la divergence existait finalement entre la chambre et le sénat était la remise des droits d'enregistrement à la compagnie du Panama en liquidation; finalement, un texte transactionnel a été voté, qui est devenu l'art. 6 de la loi des finances du 17 avril 1906.

Pendant les quinze premières années de l'application des lois constitutionnelles de 1875, on a contesté les droits du sénat, et on soutenait que lorsque la chambre avait maintenu ses premières décisions, malgré un vote différent du sénat et le renvoi du budget, le sénat n'avait qu'à s'incliner. M. Gambetta, dans l'exposé des motifs du projet de revision présenté le 14 janvier 1882, disait : « Ce qu'il faut affirmer et mettre au-dessus de toute discussion, c'est que lorsque, en matière de lois de finances, la chambre des députés a dit son dernier mot, le sénat a bien le droit... de faire des remontrances à la chambre..., mais que le sénat n'a que ce droit. Les remontrances... une fois présentées à la chambre, le droit du sénat est épuisé. La chambre des députés statue en dernier ressort, dit oui ou non, accepte ou rejette, mais ce vote là est sans appel

et sans cassalion ». Le projet de revision du ministère Gambetta n'aboutit pas. Dans la séance du 20 décembre 1882, M. Wallon, le père de la constitution de 1875, affirma les droits du sénat en matière budgétaire. En 1884, au moment de la revision, M. Jules Ferry, président du conseil, demandait que l'art. 8 de la loi du 24 février 1875 fùt soumis à la revision, pour que les droits du sénat en matière financière fussent précisés; la chambre y consentait; mais le sénat s'y opposa et la loi const. du 14 août 1884 ne toucha pas à l'art. 8. Ainsi l'art. 8 de la loi du 24 février 1875 n'a jamais été modifié et finalement a triomphé la théorie de l'égalité des droits du sénat et de la chambre en matière budgétaire. Cf. en ce sens discours de M. le sénateur Wallon, président d'âge, 12 janvier 1904. M. Milliès-Lacroix, dans son rapport général sur le budget de 1906, a affirmé que le sénat avait sur le budget « des droits de vue, de contrôle et de sanction » (J. off., doc. parl., sénal, 1906, p. 195).

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Du refus du budget. Le droit du parlement de refuser l'impôt n'est pas contestable. L'impôt n'est établi que pour un an; chaque année il est établi par une loi véritable. Les dispositions des lois financières annuelles qui établissent l'impôt sont des actes législatifs proprement dits que le parlement peut ne pas voter. En ne les votant pas, il ne viole aucune loi ef. § 35 et supra, Le vote de l'impôt).

Mais la question peut se poser pour la partie du budget relative aux dépenses. Assurément le parlement a pleine liberté pour refuser tous les crédits relatifs à des dépenses nouvelles ou exceptionnelles et qui ne sont pas relatives à des services publics établis par des lois.

Lorsque par exemple le 21 avril 1896, le sénat refusait des creaits demandés par le gouvernement pour la relève des troupes de Madagascar, il agissait dans la plénitude de son droit; et il en aurait été de même si la demande de crédit avait fait partie du budget. Le but du sénat était de forcer à se retirer le ministère Bourgeois qui avait été mis en minorité par la haute assemblée et qui cependant restait aux affaires. Cf. infra, § 145.

Mais le parlement peut-il refuser la partie du budget des dépenses relatives au fonctionnement des services publics établis par des lois? On a vu qu'il ne peut pas refuser un crédit dans le but de supprimer un service public établi par une loi. Mais d'autre part il ne faut

pas oublier qu'au point de vue des rapports constitutionnels des pouvoirs publics le vote du budget et particulièrement le vote des dépenses est le moyen le plus énergique donné au parlement pour exercer son contrôle et son action sur le gouvernement. Par conséquent si, en refusant les crédits budgétaires, une chambre avait pour but, non point de supprimer un service public établi par une loi, mais de forcer un ministère factieux à se retirer, nous croyons que le parlement resterait dans la correction constitutionnelle en le faisant.

Au mois de novembre 1877, c'est sur la menace du refus du budget par la chambre des députés que le maréchal de Mac-Mahon se décida à renvoyer le ministère de Rochebouet et à prendre le ministère Dufaure dans la majorité de la chambre (André Daniel, Année politique, 1877, p. 386 et suiv.).

En Allemagne, des auteurs de grand renom, M. Laband (Droit public, édit. franç., 1904, VI, p. 268 et 357), M. Bornak (Preussisches Staatsrecht, III, p. 596), soutiennent que le budget est tout simplement un compte portant sur des recettes et des dépenses à réaliser, une sorte de devis (Voranschlag), qu'il est par conséquent un acte purement administratif n'ayant aucun rapport avec le législateur. La portée juridique du budget est ceci, que le gouvernement est dégagé à l'avance de sa responsabilité en tant qu'il se tient dans les limites de la loi du budget. Les auteurs précités en concluent qu'en l'absence d'une loi du budget, le gouvernement n'est point arrêté, qu'il peut faire toutes les dépenses, mais qu'il engage alors ces dépenses sous sa responsabilité politique, c'est-à-dire sous la responsabilité du chancelier devant le Bundesrath et le Reichstag (cf. § 60).

Une pareille solution n'est certainement pas défendable en France. Elle peut être reçue dans un pays de monarchie simplement limitée comme l'Allemagne ; elle est impossible dans un pays de démocratie parlementaire comme la France. Le gouvernement ne peut engager en principe une dépense d'un centime sans une autorisation du parlement, excepté dans les cas qui sont prévus par la loi du 14 décembre 1879 el sous les conditions fixées par cette loi (cf. infra, § 138).

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Douzièmes provisoires. L'année financière commence en France le 1er janvier pour finir le 31 décembre. On a souvent parlé de modifier le point de départ de l'année financière et de le fixer au 1er juillet; mais on a toujours reculé devant l'inconvénient qu'il

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