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1804.

Mais telle étoit l'impulsion donnée par le génie militaire de l'empereur autant que par la puissance de sa volonté, que, malgré les injustices du ministre, la négligence de ses commis, les dilapidations des fournisseurs, les dégoûts prodigués aux officiers, il a trouvé pendant quatorze ans autant d'hommes qu'il a voulu en dépenser dans les campagnes les plus meurtrières, et pour des intérêts les plus étrangers à ceux de la nation! C'est ici le moment de parler de la conscription, de cette Conscripsource fatale où il puisa tous ces hommes; et nous emprunterons pour signaler ses malheureux effets les paroles qu'un de nos ministres adressa au roi la première année du retour de sa majesté.

« On a vu, dit-il, avec un étonnement mêlé de terreur un peuple civilisé, condamné à échanger son bonheur et son repos contre la vie errante des peuples nomades. Les liens de famille ont été rompus. Les pères ont vieilli loin de leurs enfants, et les enfants sont allés mourir à cinq cents lieues de leurs pères. Aucun espoir de retour n'adoucissoit cette affreuse séparation, que l'on s'étoit accoutumé à regarder comme inévitable et comme éternelle. On a vu des paysans en basse Bretagne qui, après avoir conduit leurs enfants au dépôt, revenoient à l'é

tion.

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glise réciter d'avance les prières des morts (1). »

Il est impossible d'évaluer l'effroyable consommation d'hommes qu'a faite le gouvernement de Napoléon. Les fatigues et les maladies en ont enlevé autant que la guerre. Les entreprises étoient si vastes et si rapides que tout étoit sacrifié au desir d'en assurer le succès. Il n'y avoit de régularité ni dans l'approvisionnement des ambulances, ni dans le service des hôpitaux. Ces soldats, dont la valeur faisoit la gloire de la nation, étoient délaissés dans leurs souffrances, étoient livrés sans secours à des maux insupportables. De là l'obligation de multiplier les levées, et de remplacer sans cesse par de nouvelles armées celles que dévoroient la guerre, les privations et les maladies. On aura peine à croire un jour que, depuis la fin de la campagne de Russie, jusqu'à celle de 1814, c'est-à-dire dans l'espace de quinze mois, les conscriptions et réquisitions se sont élevées à 1,300,000 hommes (2).

(1) Rapport fait au roi en 1814, par M. l'abbé de Montesquiou, ministre de l'intérieur.

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Plusieurs causes ont concouru à réparer une partie de cette immense consommation. Le sort des habitants des campagnes amélioré par la vente des biens du clergé et par la division des grandes propriétés, l'égalité de partage dans les successions, la propagation de la vaccine, et la grande quantité de mariages qu'opéra la crainte de la conscription, ont été les plus puissantes; mais on a évidemment exagéré leurs effets, lorsqu'en voulant tromper la nation sur l'étendue de ses sacrifices, on lui a dit qu'elle pouvoit aisément suffire à ses pertes (1).

Nous avons parlé des mariages que la
crainte de la conscription avoit fait con-
tracter, mais on ne sait
pas assez de com-
bien d'unions scandaleuses, de malheurs,
de désordres et d'immoralités cette même
conscription fut la cause et l'excuse. On a
vu des enfants de seize ans épouser des
femmes de soixante ans. On a vu des
hommes qui, bientôt lassés des femmes
qu'ils n'avoient épousées que pour se sous-

1 er novembre, conscription de 1815, 160,000
15 novembre, rappel de l'an 11 à

1814,

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300,000

17,000

143,000

Total, 1,300,000

(1) Rapport de M. de Champagny, ministre de

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l'intérieur.

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Ministère de la police.

traire aux dangers de la conscription, se précipiter volontairement dans ces mêmes dangers, et marcher gaiement au champ de bataille pour rompre des liens si mal

assortis.

Si, en multipliant les mariages, la conscription accrut le nombre des naissances, il ne faut pas oublier qu'elle enlevoit annuellement à la France les hommes de vingt à quarante ans, qui constituent la force des nations. Les faits prouvent cette * conséquence. La population au-dessous de vingt ans s'est accrue sous le règne de Napoléon; au-dessus de vingt ans la diminution est sensible et incontestable. On

s'apercevra un jour d'une lacune de dix générations dans la série des âges.

po

Que dirons-nous du ministère de la lice? Tout le monde sait qu'il fut une des plus déplorables inventions de la révolution, et, sous le prétendu règne de la liberté, l'instrument le plus actif de la tyrannie.

C'est dans les bureaux de ce ministère que se sont fabriqués tous les complots qui tendoient, les uns à river nos fers, les autres à les briser, pour nous en donner de nouveaux. C'est de là que sortoient les dénonciations contre des classes entières de la société ; les lettres de cachet qui assuroient la vie du tyran; les pièces de théâtre qui célébroient sa gloire, sa bien

faisance et son amour de l'humanité; les journaux qui corrompoient la morale et altéroient toutes les traditions. C'est là

que, sous les titres pompeux d'esprit public et de liberté de la presse, étoient étables deux commissions inquisitoriales, chargées l'une d'étouffer la lumière, et l'autre de tromper le public; l'une d'arrêter l'essor de toute pensée généreuse, et l'autre de publier un code de servitude.

Le ministre de la police avoit parmi ses agents des enfants aimables et des vieillards décorés dont il étoit difficile de se défier, et contre lesquels il étoit impossible de se prémunir. Il avoit, de plus, de beaux hommes et des femmes charmantes qui employoient, les premiers auprès des femmes, les autres auprès des jeunes gens, tous les moyens de séduction pour arracher les secrets de famille, et jeter d'innocentes victimes dans les serres du vautour (1).

Est-il vrai que parmi ces femmes il y en avoit qui portoient un nom distingué, et que parmi les hommes plusieurs occupoient des places éminentes? C'étoit un bruit public: on les nommoit. Mais l'his

(1) On dit que dans ses moments de gaieté, le vautour donnoit le nom de cohorte cythéréenne à cette troupe infame d'hommes et de femmes qui se chargeoient d'alimenter sa voracité par leurs révélations journalières.

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