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mille hommes avec moins de trente mille combattants harassés de marches, infatigables au cœur. Il lance le maréchal Ney et le général Gourgaud, deux hommes entraînants, sur un défilé cerné de marais qui abritait l'armée de Blücher. Les troupes qui les défendent sont écrasées. La nuit seule ajourne la bataille.

Elle s'engage au point du jour. Aux premiers coups de canon une nouvelle accablante tombe sur le cœur de Napoléon sans l'abattre. Marmont, surpris la veille par des forces disproportionnées à sa faiblesse, a perdu trois mille hommes et quarante pièces d'artillerie. L'empereur, consterné, cache sa perte et aborde résolument les cent mille ennemis étagés sous les murs de Laon. En vain, ses bataillons escaladent ces gradins de feu à sa voix; ils les redescendent en lambeaux. L'armée française s'use et se fond contre ces masses que la disposition des lieux rend inaccessibles et que les batteries couvrent de leurs projectiles. C'est l'écueil de Napoléon. Il recule devant l'impossible. Il rallie son armée mutilée et se retire sans être poursuivi du côté de Reims, égaré dans son propre Empire et y cherchant presque en vain une ville ouverte aux pas de son armée. Le général russe Saint-Priest, Français d'une famille illustre, resté au service de Russie après l'émigration, occupait Reims. Il y périt en disputant l'entrée de cette ville aux Français. Quatre mille Russes y périrent avec lui, laissant des canons et des drapeaux à Napoléon, dernier et stérile trophée d'un reste de lutte.

L'empereur, rentré dans Reims, y séjourna trois jours pour réorganiser ses corps affaiblis. De quelque côté qu'il portât ses regards, il ne voyait de route libre que la

route qu'il s'ouvrirait à travers cinq armées. Les dépêches lui arrivaient à peine. Il était réduit aux conjectures. Il errait à tâtons dans ses provinces, se heurtant à chaque pas contre un nouvel ennemi. Conséquence déplorable et fatale du défaut de résolution et de concentration au commencement de la campagne. Son héroïsme même tournait ainsi contre lui. Nul génie et nulle ressource ne suppléent le sens général d'une situation. La guerre offensive dans une guerre essentiellement défensive l'usait, l'égarait, le détrônait.

VII.

Pendant ces huit jours perdus dans la poursuite inutile des corps russes et prussiens de Blücher, les Autrichiens, rassurés par l'éloignement de Napoléon, avaient reflué en masse irrésistible vers Troyes, et de là vers Paris. Oudinot et Macdonald n'avaient, comme Marmont et Mortier, que des armées d'avant-postes à opposer à deux cent mille hommes. Le 16 mars, l'avant-garde autrichienne était à Provins. Une journée de marche la portait sous les hauteurs de Montmartre. Un courrier apporta ces nouvelles à l'empereur. Il n'était plus temps de couvrir sa capitale. Il se fia à la défense de ses barrières par une ville d'un million d'âmes, et reprit la route de Troyes pour rappeler Schwartzenberg en arrière par le sentiment d'une armée française, commandée par l'empereur, entre sa base d'opération et lui.

Ce sentiment avait agi sur Schwartzenberg plus fortement et plus rapidement que Napoléon ne l'avait pré

sumé. Aux premières nouvelles du retour de l'empereur en Champagne, l'armée autrichienne, comme saisie d'épouvante devant un seul nom, avait reculé par toutes les routes des murs de Paris jusqu'à Troyes et à Dijon. L'empereur d'Autriche, tremblant d'être cerné même au cœur de ses troupes, s'était réfugié à Dijon. Alexandre et le roi de Prusse avaient dépassé Troyes. Ces souverains grossissant le danger par le souvenir de tant d'anciennes défaites, et redoutant un piége dans le cœur de la France, cédée si facilement à leurs pas, se concertaient pour envoyer à leurs plénipotentiaires du congrès de Châtillon des instructions avides de paix. L'empereur, s'il eût connu à temps ces terreurs, pouvait signer un accommodement européen au moment où son propre Empire manquait sous lui. Il l'ignora. Épouvanté de son côté des masses qui revenaient sur lui, il s'enfonça vers Arcis-sur-Aube. Il y rencontra, sans le soupçonner, l'armée de Schwartzenberg. Une bataille acharnée s'engagea, à l'insu des deux généraux, entre les Autrichiens et les Français. Napoléon y combattit comme au hasard, sans autre plan que la nécessité de combattre et la volonté de mourir ou de vaincre. Il y renouvela les miracles de sang-froid et d'élan des ponts de Lodi et de Rivoli. Les jeunes soldats rougirent d'abandonner un chef qui se prodiguait ainsi lui-même. On le vit plusieurs fois lancer son cheval au galop sur les canons ennemis et reparaître, comme inaccessible à la mort, après les fumées des décharges. Un obus enflammé étant tombé devant un de ses jeunes bataillons qui s'intimidait et qui flottait en attendant l'explosion, Napoléon, pour les rassurer, pousse son cheval vers le projectile, lui fait flairer la mèche, attend im

passible que l'obus éclate, roule foudroyé dans la poussière avec son cheval mutilé, et, se relevant sans blessures aux applaudissements des soldats, demande avec calme un autre cheval et continue à braver la mitraille et à voler aux coups. Sa garde arrive enfin et rétablit le combat.

VIII.

La nuit et les masses croissantes de Schwartzenberg forcent l'empereur à se renfermer dans la ville et à la créneler pour défendre son noyau d'armée. Il contint cent cinquante mille hommes pendant cette nuit. Il profita des ténèbres pour faire construire plusieurs ponts de retraite sur l'Aube. Dans l'impuissance de briser ces masses autrichiennes qui lui fermaient le retour sur Paris, le conseil du désespoir lui inspira tardivement l'idée qui l'aurait rendu invincible, s'il l'avait adoptée à temps. Il résolut d'abandonner Paris et le cœur de la France à son sort, de se jeter sur la Lorraine, sur la Meuse, sur le Rhin, de rallier, en les débloquant, les garnisons de Metz, de Verdun, de Mayence, de soulever enfin les départements d'outre-Rhin, qu'on lui disait si dévoués à son sceptre. Il espérait rentrer avec cent mille hommes sur le sol français, se jeter comme un lion à travers les colonnes de l'armée d'invasion, les rompre, les disperser, les frapper en détail, les emprisonner épars entre le Rhin et la Loire, soulever sous leurs pas ses grandes villes, ses campagnes, et donner au monde le spectacle d'un million d'hommes dévorés par la terre qu'ils avaient imprudemment foulée. C'était un rêve héroïque encore, mais

c'était un rêve. Pour une campagne pareille, il fallait un chef adoré, le fanatisme d'une cause unanime, une nation neuve et non usée par la tyrannie et affaissée par la lassitude. Les Vendées ne se font pas avec des soldats, mais avec des citoyens, des enfants, des vieillards, des femmes décidés à mourir, et pour qui les défaites mêmes sont des martyres. Les lettres de Jérôme sur l'esprit de paix, la langueur de l'opinion, la désertion dans les dépôts, l'immobilité de la France entière sous les pas de l'invasion, la résignation, la mollesse, les murmures même de ses maréchaux et de ses plus fidèles lieutenants, disaient assez à Napoléon que la patrie ne se réveillerait plus qu'à la voix de la liberté. Le général expiait les fautes du despote. Sa garde le suivait et mourait pour lui, mais elle le suivait par esprit de corps et par souvenir de leur gloire commune plus que par espérance. C'étaient les martyrs de l'honneur militaire. Ils suivaient jusqu'à la mort, non la cause, mais le chef et le drapeau.

IX.

Le reste du peuple regardait et gémissait. Napoléon avait en vain décrété des levées en masse, l'armement des gardes civiques, l'insurrection des foyers, le tocsin sonné, les routes coupées, la fusillade courant sur les flancs de l'ennemi. Partout où son canon ne retentissait pas, la France était muette. Tout se bornait à deux ou trois corps de partisans recrutés dans la Bourgogne par trois gentilshommes, intrépides aventuriers de guerre, le comte Gustave de Damas dans les montagnes qui sépa

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