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» sauvé. Je vais maneuvrer, répétait-il, de manière à ce

qu'il est possible que vous soyez plusieurs jours sans » avoir de mes nouvelles. Si l'ennemi s’élançait sur Paris » avec des forces telles que toute résistance fut impossible, » faites partir dans la direction de la Loire la régente, » mon fils, les grands dignitaires, les ministres, les grands » officiers de la couronne et le trésor. Ne quittez pas mon » fils, et rappelez-vous que je préférerais le savoir dans » la Seine que dans les mains des ennemis de la France. » Le sort d'Astyanax prisonnier des Grecs m'a toujours » paru le sort le plus malheureux de l'histoire. »

Ainsi son malheur s'élevait déjà dans sa pensée à la hauteur des grandes adversités épiques d'Homère et de Virgile. La poésie, comme la religion, dans les âmes vaincues, entrait dans sa vie par l'adversité.

XV.

Ce qu'il avait prévu se vérifiait à Paris plus tôt même qu'il ne l'avait cru possible. Marmont et Mortier, usés par des retraites sur le vide et par des combats continus d'avant-garde, erraient aux alentours de Paris. Partout où leurs bataillons décimés laissaient un vide, les Cosaques, ces hardis maraudeurs du désert, se précipitaient sur nos villages et refoulaient par la terreur de leurs lances et de leurs pillages les habitants effrayés jusqu'à Paris. On ne savait plus rien de l'empereur. La ville retentissait de bruits sinistres. Les places, les boulevards, les Champs-Élysées, les cours des maisons étaient remplis de fugitifs des campagnes, de voitures chargées de

meubles ou de vins dérobés aux dévastations de la guerre, de bestiaux abrités par les paysans dans l'enceinte de la capitale. Le midi semblait prêt à se détacher de l'Empire et à proclamer un gouvernement inconnu. Lyon, un moment défendu par Augereau à la tête de dix-sept mille hommes et de quelques renforts de cavalerie rentrés d'Espagne, succombait sous le reflux de l'armée de Bianchi. Le cours de la Saône était occupé et délivré tour à tour par ce maréchal, mais la capitulation de Lyon le rejetait sans utilité pour Paris vers les montagnes du Jura. Les provinces de la Loire seules étaient libres. Mais derrière ces provinces, l'ouest de la France pouvait d'un jour à l'autre répondre aux mouvements royalistes couvés à Bordeaux par une insurrection qui aurait pressé Paris entre deux guerres. Joseph et ses frères Louis et Jérôme sentirent la responsabilité qui pesait sur eux. Ils répondaient de l'impératrice et de son fils à leur frère et à la dynastie de Napoléon. En supposant que Napoléon lui-même füt contraint à capituler, à abdiquer ou à mourir, la régence et la transmission du trône napoléonien au roi de Rome étaient un dernier asile pour leur fortune. Chassés de Madrid, de la Hollande, de la Westphalie, ces rois d'un jour resteraient du moins des princes du sang impérial à Paris. Ils convoquèrent un conseil suprême. Ils y appelèrent Cambacérès, les ministres, les présidents du conseil d'État, les grands dignitaires de l'Empire les plus identifiés au nouveau régime, les membres les plus compromis du Sénat. Joseph lut la lettre de l'empereur qui lui ordonnait de sauver sa femme et son fils. L'impératrice elle-même assistait muette et tremblante à ce conseil où ses beaux

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frères allaient décider de sa destinée. Les avis furent partagés.

Boulay (de la Meurthe), accoutumé aux drames révolutionnaires, connaissait par expérience la mobilité du peuple et la puissance d'un enthousiasme. Il savait que le bruit de la fuite de cette princesse, en attestant le désespoir de sa cause,

ferait écrouler l'Empire sur ses traces. Cet avis héroïque rappelait la résolution de MarieThérèse. Mais des résolutions comme celles de MarieThérèse ne conviennent qu'à des dynasties enracinées depuis des siècles dans les cours des populations. Quand elles n'enfantent pas un fanatisme de dévouement religieux aux princes, elles succombent dans les parodies. Le conseil lui-même n'était pas composé d'hommes décidés à sauver une race ou à mourir pour elle. Après une délibération lente, molle, tout officielle, et qui semblait destinée seulement à se renvoyer les uns aux autres la responsabilité d'une retraite, on se sépara à minuit sans avoir conclu. Nul n'osait prendre une résolution qui pouvait devenir un crime si l'empereur venait à vaincre encore et à demander compte à ses frères de sa capitale abandonnée. On s'en référa à la lettre de Napoléon, qui défendait le séjour de Paris à sa femme en cas de péril extrême. On préjugea le péril, on ne le déclara pas.

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XVI.

Cambacérés et Joseph voulaient se décharger sur Marie-Louise elle-même de la résolution qui pouvait sortir de leurs lèvres. Ils la suivirent après le conseil dans ses

appartements intérieurs. Ils l'obsédèrent de leurs instances ambiguës pour obtenir d'elle une volonté qui les couvrit. Soit qu'elle redoutåt la colère de son mari, soit qu'elle inclinât vers l'immobilité dans sa capitale, où elle se sentait plus environnée du respect pour son sexe et pour son rang, soit qu'elle craignit de devenir entre les mains de ses beaux-frères une victime errante de l'ambition de Bonaparte et un instrument de guerre civile rejeté de province en province au milieu des camps, Marie-Louise vainquit sa timidité. Elle répondit avec fermeté à Joseph et à Cambacérès que la résolution leur appartenait, qu'elle ne la prendrait jamais sur elle, qu'ils étaient ses conseillers obligés, et qu'elle n'obéirait, soit qu'elle dùt rester ou partir, qu'à un ordre délibéré et signé par eux. Ils éludèrent cette responsabilité. L'ordre de départ éventuel donné par Napoléon dans sa lettre resta donc comme un texte absolu auquel l'impératrice était résolue à obéir. On prépara la fuite. On chargea le trésor sur des fourgons de suite. Les papiers secrets de l'empereur furent emballés, ainsi que les diamants de la couronne. Le départ fut fixé au 29 mars.

XVII.

Mais chaque galop d'un cheval dans la cour du palais pouvait annoncer un courrier et apporter un contre-ordre de l'empereur. On donna du temps à l'inconnu. L'impératrice, entourée des femmes, des courtisans et des officiers désignés pour la suivre, attendit depuis l'aube jusqu'au milieu du jour le signal du départ. Il devait lui

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ètre donné par Joseph. Ce prince, montant à cheval dans la nuit, était allé visiter et animer les avant-postes aux barrières et sur les principales entrées de Paris. Mais la masse de la population ignorait même cette dernière démonstration de résistance. Elle accusait Joseph d'une mollesse royale contractée sur les trônes de Naples et de Madrid, au sein des voluptés des cours du Midi.

Joseph ne revenait pas et ne faisait rien dire à l'impératrice. Les officiers de la garde nationale dont le poste était au palais la conjurèrent de rester. Ils espéraient que la présence à Paris de la fille de l'empereur d'Autriche serait une sauvegarde contre les extrémités d'une ville bientôt assiégée. Marie-Louise, en larmes, cédait et résistait tour à tour. On voyait qu'une certaine violence faite à sa volonté d'obéir à l'empereur en quittant Paris l'aurait soulagée d'une grande incertitude, en l'enlevant aux obsessions des frères de Napoléon. D'un autre côté, les hommes prévoyants et le parti de M. de Talleyrand, embarrassés de la présence de cette princesse dans les négociations qu'ils nouaient déjà pour livrer son trône à d'autres princes, pressaient secrètement son départ. Clarke, ministre de la guerre, lui envoya dire à midi qu'il ne répondait plus de la sûreté des routes, sillonnées par les bandes des Cosaques, si elle tardait jusqu'au lendemain. Douze voitures de cour, attelées depuis le matin, attendaient dans les cours. Une forte escorte de cavalerie de la garde les entourait. Marie-Louise s'arracha enfin à son palais. Un de ses écuyers portait dans ses bras le roi de Rome. Ce bel enfant, déjà superbe par l'adulation qui devance l'âge, s'attachait aux rampes du grand escalier et refusait de sc laisser cxiler de ce trône. « Je ne veux

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