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DE

LA RESTAURATION.

LIVRE PREMIER.

Coup d'œil rétrospectif sur le règne de Napoléon. - Napoléon en 1813. Son retour à Paris. Les armées coalisées sur le Rhin. Convocation du conseil d'État le 11 novembre. Le conseil d'État décrète une levée de 300,000 hommes. - État de la France militaire. - Ouverture du Corps Législatif. Discours de l'empereur au Corps Législatif. Propositions de Francfort.- Fixation d'un congrès à Manheim. - Choix des commissaires chargés par le Sénat et le Corps Législatif de l'examen et du rapport des négociations. Choix hostiles et opposition du Corps Législatif. M. Lainé. M. Raynòuard. Adresse de M. de Fontanes. Cam

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bacérès. - Adresse de M. Lainé. — Indignation de Napoléon. - Savary. - Suppression de l'adresse du Corps Législatif. Sa dissolution. - Réception du 1er janvier 1814. Discours de l'empereur au Corps Législatif. Reconstitution de la garde nationale de Paris. - Présentation de Marie-Louise et de son fils aux officiers de la garde nationale. - Allocution de Napoléon. - Marie-Louise. Départ de Napoléon pour l'armée le 23 janvier. Schwartzenberg et Blücher passent le Rhin le 31 décembre. Situation respective des alliés et de l'empereur.- Lassitude de la France. Arrivée de Napoléon à Châlons le 25 janvier.

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I.

Le règne de Napoléon se rétrécissait. On peut le définir en ces termes : le vieux monde reconstruit par un homme nouveau. Il recrépissait de gloire les siècles usés. Son génie était un génie posthume. Il fut le premier des soldats, non des hommes d'État; très-ouvert au passé, aveugle à l'avenir. Si l'on trouve ce jugement trop rude,

on peut se convaincre d'un coup d'œil de sa justesse. Les hommes se jugent non à leur fortune, mais à leurs œuvres. Il a eu dans la main la plus grande force que la Providence ait remise dans la main d'un mortel pour créer une civilisation ou une nationalité; qu'a-t-il laissé? Rien qu'une patrie conquise et un nom immortel. Il fut le sophisme de la contre-révolution.

Le monde demandait un rénovateur, il s'en était fait le conquérant. La France attendait le génie des réformes, et il lui avait donné le despotisme, la discipline et l'uniforme pour toute institution. A la liberté de conscience il avait répondu par un couronnement, un pacte simoniaque avec Rome, un concordat.

L'impiété couvait sous les pompes officielles de son culte. Au lieu de chercher la religion dans la liberté, il s'était trompé de huit siècles en parodiant le rôle de Charlemagne, sans avoir ni la foi jeune ni la sincérité héroïque de ce Constantin des Gaules et de la Germanie. Au besoin d'égalité de droits, il avait répliqué par la création d'une noblesse militaire et d'une féodalité de l'épée; aux besoins de la pensée libre, par la censure et par le monopole de la presse; au besoin de la discussion, par le silence des tribunes, au pied desquelles une représentation muette du peuple n'avait conservé d'autre droit que le droit d'écouter et d'applaudir les organes de l'empereur. L'intelligence languissait, les lettres s'avilissaient, les arts s'asservissaient, les idées mouraient à ce régime. La victoire seule pouvait contenir l'explosion de l'indépendance des peuples et de l'esprit humain. Le jour où elle cesserait de dorer ce joug de l'univers, il devait paraître ce qu'il était la gloire d'un seul, l'humiliation

de tous, le reproche à la dignité des peuples, l'appel à l'insurrection du continent. Elle avait cessé; l'esprit humain, le génie refoulé de la révolution, l'indépendance des peuples, le remords des nationalités détruites, l'orgueil des souverains humiliés étaient revenus sur les pas du conquérant vaincu du monde, et l'avaient suivi de revers en revers jusqu'au delà du Rhin, pour lui arracher non-seulement l'Espagne, l'Italie, la Hollande, la Belgique, la Prusse rhénane, l'Allemagne, la Suisse, la Savoie, mais la France même, longtemps l'instrument, maintenant le champ de bataille de la dernière lutte de son héros.

II.

Napoléon, dans les dernières années de sa domination, avait cédé aux séductions de sa fortune. Il avait baissé d'intelligence et d'activité à mesure que son empire s'était agrandi. Séparé des hommes par la cour servile dont il s'était entouré, toujours drapé dans son empire, comme s'il eût eu peur d'oublier lui-même que le parvenu de son génie, circonvenu d'étiquette et d'adulations de basempire, l'empereur, avait diminué l'homme. Sa campagne d'Espagne avait ressemblé à une campagne de Darius ou de Louis XIV, voyant tout de loin, commandant d'un geste, ne faisant rien que par ses lieutenants. Sa campagne de Moscou avait embrassé le monde sans pouvoir l'étreindre. Il l'avait dirigée avec mollesse, poursuivie avec aveuglement, achevée avec insouciance, expiée avec insensibilité. Il n'y avait pas un officier de son armée qui n'eût mieux conduit ou mieux ramené ces

restes de sept cent mille hommes dignes d'un autre Xénophon. Il était revenu en poste de la Bérésina aux Tuileries sans jeter un regard derrière lui. Il avait semblé tout céder à la fortune du jour où elle ne lui accordait pas l'univers. Joueur qui avait engagé le continent, et qui ne disputait plus rien après le grand coup perdu. Sa diplomatie n'avait pas été moins aveugle et moins hésitante que sa campagne. Il avait compté à la fois, en aven turant ses légions sous la menace de l'hiver jusqu'à Moscou, sur la guerre et sur la paix : sur la guerre, pour arracher la paix à l'empereur Alexandre; sur la paix, pour arracher son armée aux hasards où sa témérité l'avait engagée. Accoutumé aux peuples énervés de l'Orient et du Midi, qu'il avait facilement domptés, il s'étonnait de trouver une nation décidée à incendier ses foyers plutôt que de les assujettir à un maître. Il ne croyait pas à la résistance, à peine croyait-il au climat. Il avait perdu au Kremlin les jours que l'automne laissait à sa retraite. Ses généraux lui disaient: Restez-y avec l'élite de vos troupes pendant ce long hiver, ou hâtez-vous de vous replier sur une ligne d'opérations en communication avec votre empire et vos renforts. Il n'avait su prendre ni le parti de ce hardi cantonnement, ni le parti d'une prudente retraite. Trompé par les illusions de paix dont il s'obstinait à s'endormir lui-même, il n'était parti que chassé par les premières neiges, flanqué par les Russes, harcelé par les Cosaques, exténué par la faim, séparé de ses auxiliaires désaffectionnés, laissant chaque nuit sur la route des lambeaux de son armée mourante. L'Allemagne, témoin de cette fuite, s'était dérobée à sa main. Ses auxiliaires n'étaient que des vaincus. Sa déroute les rendait au pa

triotisme. Il avait été assez fasciné de son propre prestige pour croire à la fidélité de ses alliés après les revers. Il n'était pas encore entré aux Tuileries que le faible noyau de son armée laissé par lui au commandement de Murat était évanoui, et que Murat lui-même avait quitté son commandement pour aller à Naples méditer sa défection pour sauver son trône.

III.

Son audace plus que son génie avait paru se ranimer dans la campagne d'Allemagne de 1813. Dresde et Leipsick avaient été des victoires et des revers dignes de son nom. Une paix était encore dans ses mains. Mais une paix humiliée ne pouvait satisfaire un homme dont la renommée de général invincible était le titre au respect de l'Europe et au trône absolu de la France. Il avait compté encore sur l'impossible. Il avait négligé de faire revenir d'Espagne et d'Italie ses vieilles légions aguerries, de peur de paraître abandonner une seule de ses pensées de monarchie universelle. Se replier et se concentrer, c'était avouer qu'il était vaincu et qu'il sentait sa faiblesse. Il ne la sentait pas, ou il ne voulait pas en faire l'aveu à la France. Il l'avait sans cesse entretenue de miracles, il lui en promettait de nouveaux; il s'en promettait à lui-même. Il s'était tant fait diviniser par ses flatteurs qu'il avait fini par croire à la divinité de son nom. De là la rupture de toutes négociations sérieuses avec le continent, la dissémination de ses armées de Madrid à Amsterdam, la faiblesse et l'inexpérience

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